Comment mettre en scène la mort ? Comment représenter la lente déchéance du corps et la lutte de l’esprit devant la mort ? Lors de deux entretiens, l’un avec Michel Nadeau et l’autre avec Denise Guilbault, menés autour de la mise en scène de W;t, nous avons tenté de trouver une réponse à ces questions.
« Ne va t’enorgueillir, ô Mort, que l’on t’ait dite / Puissante et redoutable : tu ne l’es nullement, / Car ils ne meurent point ceux que tu crois abattre, / Pauvre Mort, et tu ne peux non plus me tuer. » John Donne
W;t est l’unique pièce de Margaret Edson, écrite en 1991, créée à New York en 1999 et récompensée du prix Pulitzer. Elle a été mise en scène par Denise Guilbault au Théâtre de Quat’Sous en 2006, et le sera par Michel Nadeau au Théâtre de la Bordée en mars 2015. Elle a par ailleurs fait l’objet d’un excellent téléfilm réalisé par Mike Nichols en 2001, avec Emma Thompson dans le rôle principal.
La pièce met en scène une femme, Vivian Bearing, professeure universitaire de littérature et spécialiste de la poésie du XVIIe siècle. Atteinte d’un cancer des ovaires, elle accepte d’entrer dans un protocole de soins particulièrement intense, un traitement chimiothérapique qui va briser ses dernières résistances. W;t est le récit de son agonie.
Dire et montrer
« L’agonie est rarement représentée au théâtre, constate Denise Guilbault. En général, on meurt vite et bien, et de préférence en coulisses. Ce que j’ai aimé de ce texte, c’est son esprit, son wit, son intelligence. Loin du pathos que pourrait faire craindre un tel sujet, l’auteure a émaillé son propos de traits d’humour et de références à la poésie de John Donne. Vivian fait souvent appel à la poésie métaphysique, aux concepts abstraits, pendant qu’on lui demande de mesurer ce qu’elle ingère et ce qu’elle rejette – car elle se refuse à n’être réduite qu’à ça. Ce personnage érudit donne une distance nécessaire afin que nous puissions supporter ce spectacle de la déchéance, de la finitude. Cette pièce représente une peur profonde : elle nous rappelle que le compte à rebours a commencé. La mort de l’autre est une projection de sa propre mortalité. Certains décident de ne pas y penser, pour ne pas assombrir l’existence. La maladie et la mort freinent le rythme, obligent à changer son horaire, à modifier ses habitudes, et par les temps qui courent, dans la frénésie dans laquelle nous sommes plongés, c’est difficile à accepter. On consomme du jeune, du productif, du neuf, de la vitesse. Alors, au moment où on commence à ralentir, à grisonner, la panique intervient… »
Pour Michel Nadeau, « il est très difficile de représenter la mort. Là, ce qu’on voit, c’est la décrépitude du corps, les vomissements, la diminution du corps. L’auteur le décrit de façon très concrète, mais comment le montrer ? Difficile de représenter un corps, parce qu’au théâtre il y a un espace qui nous sépare de la scène et il faut en tenir compte : on ne peut pas montrer un tressaillement de joue comme au cinéma. Margaret Edson représente la mort sur les plans physique, intellectuel et émotif. Elle a une manière très poétique, très sensible d’en parler. La mort est perçue comme une virgule après la vie. »
Il poursuit : « Dans W;t, le sujet est traité avec humour, avec une certaine distance. Pas de froideur, mais une sorte d’élégance. Dans le combat que Vivian mène par rapport à son corps, cette distance la rend attachante. On comprend que c’est une impossibilité pour elle d’entrer en contact avec ses émotions. Comment représenter la mort au théâtre ? Tout dépend du point de vue et de la pièce, jusqu’où aller chercher l’émotion et la réflexion : tout se joue dans cette tension. Ce que j’aimerais montrer, c’est la prise de conscience de cette femme, elle qui a fréquenté la mort d’un point de vue poétique toute sa vie. Quand elle est confrontée à la douleur, au traitement, aux effets secondaires, comment la poésie peut lui être utile – et finalement pas tant que ça – lors de cette soudaine conscience de la mort et de la réalité de la mort ? La chose qui m’intéresse, c’est la prise de conscience. Montrer comment la fin proche fait resurgir les choses lointaines, comment elles reviennent à la surface, comme une nappe phréatique qui remonte, ça m’intéresse plus que de montrer la réalité d’un corps souffrant. En danse contemporaine, dans le butô par exemple, on a développé une esthétique du corps souffrant, tordu, mais, au théâtre, le corps qui agonise devient rapidement intolérable. Car le théâtre est le lieu du discours, et le corps mourant n’a pas grand-chose à dire… » Et Nadeau ajoute avec un demi-sourire : « On n’est pas chez Castellucci… »
Entre le fil ténu et la corde raide
Récemment apparue dans le débat public, la fin de vie n’est pas un sujet dont raffolent les dramaturges. Au théâtre, c’est le moment où l’on supporte le moins bien les longueurs. Le théâtre se réunit autour des vivants − nombre de pièces ont comme point de départ un deuil ou une cérémonie funéraire −, on parle donc de l’après et de ceux qui restent. Dans W;t, la mort se conjugue au présent et au « je », elle est vécue « en direct », si on peut dire, même si l’on sait que ce n’est qu’un jeu.
« Ma crainte était de tomber dans le mélodramatique, dit Denise Guilbault. Il y a pourtant l’espace pour le faire, dans cette pièce. Mais je voulais privilégier l’observation à l’identification, susciter le respect plutôt que l’apitoiement – et c’est ainsi que Louise Turcot le jouait. Bien sûr, la mort et la maladie nous concernent tous, mais je voulais qu’on puisse se reculer, observer, être ému, et pour cela retenir tout ce qui pouvait basculer. Il me fallait garder une tension entre élan de vie et conscience de la mort, être capable de tirer son fil là-dedans tout en gardant un juste équilibre, pour faire en sorte que la pièce, sans éviter la partie sensible, ne tombe pas dans le trou… »
« On est entre le fil ténu et la corde raide, dit Michel Nadeau. Je pense que la pièce demande une certaine distance, qui permettra au spectateur d’aller vers elle et non le contraire. Le danger : le poids de la pièce repose sur l’actrice principale, qui est de toutes les scènes. D’une part, on passe à côté si on édulcore trop pour en faire une pièce cute sur un sujet pas agréable, et l’autre écueil serait de tout miser sur la performance d’actrice. Il faut trouver un équilibre. Heureusement, on se connaît bien, Lorraine et moi… »
Jouer la mort
Michel Nadeau a confié le rôle à Lorraine Côté : « Elle a très peur, ça fait deux ou trois fois qu’elle le dit. Je sens qu’elle a des appréhensions. Mais je sais qu’elle est capable d’aller loin. Elle va y aller, et je vais y aller avec elle, avec délicatesse. On ne peut pas tricher avec cette pièce ; Lorraine ne peut pas jouer à l’actrice ; on doit plonger humainement tout en gardant une distance pour ne pas s’abîmer. Il y a un espace de jeu à trouver. Je vais la diriger, mais je vais aussi l’accompagner. C’est un rôle difficile, aussi nous allons prendre soin les uns des autres, avec sincérité. Ça va égratigner nos cœurs, mais on va essayer de faire fleurir cette chose-là, afin que le spectateur ressente la qualité et la sincérité de l’émotion, sans complaisance. Lorraine dit souvent qu’elle a hâte et pas hâte d’entrer là-dedans. On a déjà fait des spectacles ensemble où elle mourait tous les soirs : c’est difficile pour un comédien ! La pièce contient des paliers de décompression, qui vont amener un autre niveau du jeu, dans la plus grande simplicité possible : un être humain qui finit… Le personnage ne dit jamais “j’aurais dû”, elle n’est pas dans l’introspection, elle n’a pas de regrets. Doucement, délicatement, simplement, le texte et les personnages, la distance, la politesse de l’humour et la poésie vont nous amener à l’émotion. »
« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne suis pas allée chercher une actrice sombre ni une tragédienne, raconte Denise Guilbault. Je me félicite d’avoir choisi Louise Turcot. Son rapport au travail est très sain. Sachant l’énergie que ça allait lui demander d’agoniser chaque jour, elle s’est entraînée plusieurs mois avant les répétitions. À la fin de la pièce, quand elle est très malade, quand elle se tourne vers le public pour dire ce qui est en train de lui arriver, elle doit donner l’impression d’être vidée de sa vitalité profonde. Seule une actrice exceptionnelle comme Louise peut faire ça. »
La maquilleuse, Florence Cornet, avait elle aussi préféré la simplicité à l’artifice. Elle ne voulait ni d’un faux crâne (Louise Turcot s’était rasé les cheveux pour le rôle, « mais elle était plus belle et plus féminine que jamais ! », fait remarquer Denise Guilbault) ni de traits noirs pour marquer les cernes sous les yeux. Aussi, elle a maquillé tous les acteurs sauf Louise, afin de créer un contraste qui lui donnait l’air vraiment malade.
Bilan et perspectives
Plonger dans un tel univers ne se fait pas sans risques ni craintes, reconnaissent les metteurs en scène. Mais le bilan serein de l’une devrait dissiper les peurs de l’autre. « C’est rare qu’une pièce vienne nous bousculer si intimement, observe Michel Nadeau. Il s’agira de départager les choses, d’intellectualiser pour conjurer l’angoisse, la sortir de soi, l’objectiver pour ne pas la communiquer. La pièce nous fait mesurer notre vie dans la perspective de l’agonie : ai-je investi mes efforts à la bonne place ? La mort est un tabou, et le sujet pourrait éloigner certains spectateurs. On ne fait pas des spectacles avec pour seul but de remplir les salles ni en fonction de ce que les gens aiment. Bien sûr, je voudrais que les gens viennent partager cela. Le théâtre a un discours, il parle des choses difficiles à vivre… »
« Nous avons traversé cette aventure avec beaucoup de grâce, se souvient Denise Guilbault, personne n’en est ressorti abîmé, au contraire : la finesse d’esprit du personnage nous a remplis, enrichis. Les relations humaines dans la production étaient très respectueuses et les gens, bienveillants. La réception du spectacle a été extraordinaire. Tout comme Tu te souviendras de moi de François Archambault, une pièce qui parle de l’Alzheimer créée au Théâtre la Licorne en 2014, W;t a fait salle comble au moment de sa création. Ça veut dire quelque chose… C’est la vie, et c’est ce qu’on veut au théâtre : se faire raconter des histoires, des histoires de la vie. »
Comment mettre en scène la mort ? Comment représenter la lente déchéance du corps et la lutte de l’esprit devant la mort ? Lors de deux entretiens, l’un avec Michel Nadeau et l’autre avec Denise Guilbault, menés autour de la mise en scène de W;t, nous avons tenté de trouver une réponse à ces questions.
« Ne va t’enorgueillir, ô Mort, que l’on t’ait dite / Puissante et redoutable : tu ne l’es nullement, / Car ils ne meurent point ceux que tu crois abattre, / Pauvre Mort, et tu ne peux non plus me tuer. » John Donne
W;t est l’unique pièce de Margaret Edson, écrite en 1991, créée à New York en 1999 et récompensée du prix Pulitzer. Elle a été mise en scène par Denise Guilbault au Théâtre de Quat’Sous en 2006, et le sera par Michel Nadeau au Théâtre de la Bordée en mars 2015. Elle a par ailleurs fait l’objet d’un excellent téléfilm réalisé par Mike Nichols en 2001, avec Emma Thompson dans le rôle principal.
La pièce met en scène une femme, Vivian Bearing, professeure universitaire de littérature et spécialiste de la poésie du XVIIe siècle. Atteinte d’un cancer des ovaires, elle accepte d’entrer dans un protocole de soins particulièrement intense, un traitement chimiothérapique qui va briser ses dernières résistances. W;t est le récit de son agonie.
Dire et montrer
« L’agonie est rarement représentée au théâtre, constate Denise Guilbault. En général, on meurt vite et bien, et de préférence en coulisses. Ce que j’ai aimé de ce texte, c’est son esprit, son wit, son intelligence. Loin du pathos que pourrait faire craindre un tel sujet, l’auteure a émaillé son propos de traits d’humour et de références à la poésie de John Donne. Vivian fait souvent appel à la poésie métaphysique, aux concepts abstraits, pendant qu’on lui demande de mesurer ce qu’elle ingère et ce qu’elle rejette – car elle se refuse à n’être réduite qu’à ça. Ce personnage érudit donne une distance nécessaire afin que nous puissions supporter ce spectacle de la déchéance, de la finitude. Cette pièce représente une peur profonde : elle nous rappelle que le compte à rebours a commencé. La mort de l’autre est une projection de sa propre mortalité. Certains décident de ne pas y penser, pour ne pas assombrir l’existence. La maladie et la mort freinent le rythme, obligent à changer son horaire, à modifier ses habitudes, et par les temps qui courent, dans la frénésie dans laquelle nous sommes plongés, c’est difficile à accepter. On consomme du jeune, du productif, du neuf, de la vitesse. Alors, au moment où on commence à ralentir, à grisonner, la panique intervient… »
Pour Michel Nadeau, « il est très difficile de représenter la mort. Là, ce qu’on voit, c’est la décrépitude du corps, les vomissements, la diminution du corps. L’auteur le décrit de façon très concrète, mais comment le montrer ? Difficile de représenter un corps, parce qu’au théâtre il y a un espace qui nous sépare de la scène et il faut en tenir compte : on ne peut pas montrer un tressaillement de joue comme au cinéma. Margaret Edson représente la mort sur les plans physique, intellectuel et émotif. Elle a une manière très poétique, très sensible d’en parler. La mort est perçue comme une virgule après la vie. »
Il poursuit : « Dans W;t, le sujet est traité avec humour, avec une certaine distance. Pas de froideur, mais une sorte d’élégance. Dans le combat que Vivian mène par rapport à son corps, cette distance la rend attachante. On comprend que c’est une impossibilité pour elle d’entrer en contact avec ses émotions. Comment représenter la mort au théâtre ? Tout dépend du point de vue et de la pièce, jusqu’où aller chercher l’émotion et la réflexion : tout se joue dans cette tension. Ce que j’aimerais montrer, c’est la prise de conscience de cette femme, elle qui a fréquenté la mort d’un point de vue poétique toute sa vie. Quand elle est confrontée à la douleur, au traitement, aux effets secondaires, comment la poésie peut lui être utile – et finalement pas tant que ça – lors de cette soudaine conscience de la mort et de la réalité de la mort ? La chose qui m’intéresse, c’est la prise de conscience. Montrer comment la fin proche fait resurgir les choses lointaines, comment elles reviennent à la surface, comme une nappe phréatique qui remonte, ça m’intéresse plus que de montrer la réalité d’un corps souffrant. En danse contemporaine, dans le butô par exemple, on a développé une esthétique du corps souffrant, tordu, mais, au théâtre, le corps qui agonise devient rapidement intolérable. Car le théâtre est le lieu du discours, et le corps mourant n’a pas grand-chose à dire… » Et Nadeau ajoute avec un demi-sourire : « On n’est pas chez Castellucci… »
Entre le fil ténu et la corde raide
Récemment apparue dans le débat public, la fin de vie n’est pas un sujet dont raffolent les dramaturges. Au théâtre, c’est le moment où l’on supporte le moins bien les longueurs. Le théâtre se réunit autour des vivants − nombre de pièces ont comme point de départ un deuil ou une cérémonie funéraire −, on parle donc de l’après et de ceux qui restent. Dans W;t, la mort se conjugue au présent et au « je », elle est vécue « en direct », si on peut dire, même si l’on sait que ce n’est qu’un jeu.
« Ma crainte était de tomber dans le mélodramatique, dit Denise Guilbault. Il y a pourtant l’espace pour le faire, dans cette pièce. Mais je voulais privilégier l’observation à l’identification, susciter le respect plutôt que l’apitoiement – et c’est ainsi que Louise Turcot le jouait. Bien sûr, la mort et la maladie nous concernent tous, mais je voulais qu’on puisse se reculer, observer, être ému, et pour cela retenir tout ce qui pouvait basculer. Il me fallait garder une tension entre élan de vie et conscience de la mort, être capable de tirer son fil là-dedans tout en gardant un juste équilibre, pour faire en sorte que la pièce, sans éviter la partie sensible, ne tombe pas dans le trou… »
« On est entre le fil ténu et la corde raide, dit Michel Nadeau. Je pense que la pièce demande une certaine distance, qui permettra au spectateur d’aller vers elle et non le contraire. Le danger : le poids de la pièce repose sur l’actrice principale, qui est de toutes les scènes. D’une part, on passe à côté si on édulcore trop pour en faire une pièce cute sur un sujet pas agréable, et l’autre écueil serait de tout miser sur la performance d’actrice. Il faut trouver un équilibre. Heureusement, on se connaît bien, Lorraine et moi… »
Jouer la mort
Michel Nadeau a confié le rôle à Lorraine Côté : « Elle a très peur, ça fait deux ou trois fois qu’elle le dit. Je sens qu’elle a des appréhensions. Mais je sais qu’elle est capable d’aller loin. Elle va y aller, et je vais y aller avec elle, avec délicatesse. On ne peut pas tricher avec cette pièce ; Lorraine ne peut pas jouer à l’actrice ; on doit plonger humainement tout en gardant une distance pour ne pas s’abîmer. Il y a un espace de jeu à trouver. Je vais la diriger, mais je vais aussi l’accompagner. C’est un rôle difficile, aussi nous allons prendre soin les uns des autres, avec sincérité. Ça va égratigner nos cœurs, mais on va essayer de faire fleurir cette chose-là, afin que le spectateur ressente la qualité et la sincérité de l’émotion, sans complaisance. Lorraine dit souvent qu’elle a hâte et pas hâte d’entrer là-dedans. On a déjà fait des spectacles ensemble où elle mourait tous les soirs : c’est difficile pour un comédien ! La pièce contient des paliers de décompression, qui vont amener un autre niveau du jeu, dans la plus grande simplicité possible : un être humain qui finit… Le personnage ne dit jamais “j’aurais dû”, elle n’est pas dans l’introspection, elle n’a pas de regrets. Doucement, délicatement, simplement, le texte et les personnages, la distance, la politesse de l’humour et la poésie vont nous amener à l’émotion. »
« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne suis pas allée chercher une actrice sombre ni une tragédienne, raconte Denise Guilbault. Je me félicite d’avoir choisi Louise Turcot. Son rapport au travail est très sain. Sachant l’énergie que ça allait lui demander d’agoniser chaque jour, elle s’est entraînée plusieurs mois avant les répétitions. À la fin de la pièce, quand elle est très malade, quand elle se tourne vers le public pour dire ce qui est en train de lui arriver, elle doit donner l’impression d’être vidée de sa vitalité profonde. Seule une actrice exceptionnelle comme Louise peut faire ça. »
La maquilleuse, Florence Cornet, avait elle aussi préféré la simplicité à l’artifice. Elle ne voulait ni d’un faux crâne (Louise Turcot s’était rasé les cheveux pour le rôle, « mais elle était plus belle et plus féminine que jamais ! », fait remarquer Denise Guilbault) ni de traits noirs pour marquer les cernes sous les yeux. Aussi, elle a maquillé tous les acteurs sauf Louise, afin de créer un contraste qui lui donnait l’air vraiment malade.
Bilan et perspectives
Plonger dans un tel univers ne se fait pas sans risques ni craintes, reconnaissent les metteurs en scène. Mais le bilan serein de l’une devrait dissiper les peurs de l’autre. « C’est rare qu’une pièce vienne nous bousculer si intimement, observe Michel Nadeau. Il s’agira de départager les choses, d’intellectualiser pour conjurer l’angoisse, la sortir de soi, l’objectiver pour ne pas la communiquer. La pièce nous fait mesurer notre vie dans la perspective de l’agonie : ai-je investi mes efforts à la bonne place ? La mort est un tabou, et le sujet pourrait éloigner certains spectateurs. On ne fait pas des spectacles avec pour seul but de remplir les salles ni en fonction de ce que les gens aiment. Bien sûr, je voudrais que les gens viennent partager cela. Le théâtre a un discours, il parle des choses difficiles à vivre… »
« Nous avons traversé cette aventure avec beaucoup de grâce, se souvient Denise Guilbault, personne n’en est ressorti abîmé, au contraire : la finesse d’esprit du personnage nous a remplis, enrichis. Les relations humaines dans la production étaient très respectueuses et les gens, bienveillants. La réception du spectacle a été extraordinaire. Tout comme Tu te souviendras de moi de François Archambault, une pièce qui parle de l’Alzheimer créée au Théâtre la Licorne en 2014, W;t a fait salle comble au moment de sa création. Ça veut dire quelque chose… C’est la vie, et c’est ce qu’on veut au théâtre : se faire raconter des histoires, des histoires de la vie. »