Dans le milieu théâtral, comme ailleurs, les campagnes de sociofinancement sont de plus en plus courantes. Regard sur le phénomène.
Vous êtes fraîchement diplômé d’une école de théâtre. Déterminés à évoluer le plus rapidement possible au sein du milieu, quelques collègues de votre classe et vous fondez une compagnie. Vous déposez dans un théâtre un projet de spectacle, et celui-ci est retenu. Bravo ! Reste maintenant à le financer.
Si bien peu de formations théâtrales abordent de front l’aspect administratif inhérent au métier de comédien, plusieurs acteurs auront néanmoins à développer des habiletés dans le domaine dès la fin de leurs études. En effet, pour ne pas attendre que le téléphone sonne, plusieurs jeunes comédiens décident d’être proactifs en devenant leur propre employeur. Mais voilà, lorsqu’une compagnie de théâtre démarre, elle n’a souvent pas droit aux subventions octroyées par les différents conseils des arts (lesquelles sont de plus en plus difficiles à obtenir même pour des compagnies plus aguerries) et doit donc se tourner vers le financement privé. Si quelques comédiens décident de financer complètement leurs projets théâtraux grâce à un emploi qu’ils occupent en parallèle ou à des contrats à la télé ou au cinéma, la plupart devront se lancer dans des campagnes de financement. Parmi les moyens les plus utilisés, on retrouve les partys de financement et les tirages, mais aussi, de plus en plus, les plateformes de sociofinancement.
Simplissime, l’inscription à une des centaines de plateformes de financement en ligne se fait en quelques clics. Il suffit de décrire le projet, la démarche de ceux qui le portent et l’objectif à atteindre. Bien que l’enregistrement soit gratuit, il faut savoir qu’un petit pourcentage de l’argent récolté devra être versé à la plateforme de financement sélectionnée. De plus, pour remercier les donateurs, les concepteurs d’un projet offrent la plupart du temps une récompense. Ces contreparties sont souvent modestes et liées de très près au spectacle (un don de 5 $ donne droit à un courriel de remerciement ; un don de 50 $, à une paire de billets ou à une rencontre avec les artistes à l’issue de la représentation, etc.). Quelquefois, un appui de certains commanditaires permet d’offrir aux donateurs des récompenses plus recherchées (repas dans les restaurants, massages, coupons-cadeaux, etc.). Bien que cela demande du temps, de l’énergie et le courage de frapper à plusieurs portes, il est parfois plus facile de se faire encourager par un commanditaire de cette façon . La campagne de financement gagne alors en intérêt pour les donateurs potentiels.
Combien peut-on espérer amasser grâce à une plateforme de financement ? La plupart des objectifs des jeunes compagnies varient de 1 000 à 3 000 $, loin des 12 000 $ qu’il faut pour boucler le budget d’un spectacle théâtral professionnel, même minimaliste. Pourquoi demander si peu ? Pour Martin Lebrun, du Théâtre de la Trotteuse, mieux vaut atteindre ou dépasser un objectif conservateur que de viser trop haut et « décourager ceux qui seraient prêts à donner ». Pour lui, le « sentiment de satisfaction » qui en découle « a un impact important sur le déroulement de la campagne ». L’objectif, une fois atteint, créerait donc un sentiment de devoir accompli. S’il était trop élevé, cela provoquerait l’effet inverse et repousserait des donateurs potentiels, qui pourraient croire que leur don importe peu puisque le seuil ne sera pas atteint de toute façon. Lorsqu’on se fixe un but modeste, pour équilibrer le budget et trouver les quelque 10 000 $ manquants, on comptera sur les revenus de la billetterie, le fait que les comédiens et les concepteurs acceptent un salaire moindre, et l’apport d’autres commanditaires.
Pour que l’objectif financier soit atteint, le réseau de contacts est d’une importance capitale. La promotion de la campagne de financement se fait par les réseaux sociaux et vise la famille et les amis, mais aussi différents contacts des membres de la compagnie. Plus les gens sentent qu’on fait appel à eux personnellement, meilleures sont les chances d’obtenir des dons. Le Théâtre de la Trotteuse a ainsi eu l’idée de « diviser ses contacts par groupe d’intérêt (famille, amis d’école et anciens professeurs, activité sportive, contacts internationaux, etc.) » et de lancer des discussions avec chacun de ces groupes. Les dons des uns ont stimulé les autres, et il y a eu un effet d’entraînement grâce à ces regroupements. Il est, par ailleurs, pratique d’utiliser des plateformes de financement pour joindre ceux qui ne pourront venir au spectacle, ou qui ne pourraient être présents à une activité de financement. Une promotion efficace de la campagne fera toute la différence. On pourrait, par exemple, produire une capsule vidéo, qui idéalement deviendrait virale. Le travail d’équipe est primordial dans ce genre d’entreprise ; il est évident que plus l’équipe est grande, plus le réseau de contacts le sera, et plus les chances d’atteindre l’objectif seront multipliées.
Un des avantages d’utiliser Internet pour mener une campagne de financement est la distance que cela permet de garder entre soi et les donateurs potentiels. Pour Caroline Gendron, en quête de financement pour son solo Gabie, présenté à l’Espace Libre en 2013, il était hors de question de faire du porte-à-porte pour rejoindre des commanditaires, ce qu’elle avait déjà fait auparavant. Elle trouve les campagnes de sociofinancement moins humiliantes que d’aller voir un commanditaire pour lui présenter son dossier.
Bien que ces campagnes à petits objectifs fonctionnent relativement bien, le malaise de demander de l’argent est palpable, que ce soit par crainte d’épuiser son réseau, ou parce que les amis comédiens mènent eux aussi leur propre campagne. Marcelle Dubois, directrice artistique et générale du Festival du Jamais Lu, se sent ainsi plus à l’aise de mettre sur pied une collecte de « microdons » pour le Festival, qu’elle considère en quelque sorte comme un service à la communauté, car des textes de gens provenant d’horizons divers y sont lus, plusieurs comédiens y participent et cette lecture est souvent une étape de travail pour un texte qui sera monté plus tard. Mais elle finance autrement les projets de sa compagnie les Porteuses d’aromates. Cette peur d’épuiser son réseau est aussi la raison pour laquelle certaines compagnies ne font pas campagne sur les plateformes de financement, privilégiant des tirages ou d’autres activités.
Il existe des événements pour lesquels le financement participatif, s’il a été le principal moyen d’amasser de l’argent, ne représente maintenant plus qu’une petite part du budget, mais demeure tout de même d’une importance capitale. C’est le cas du Festival du Jamais Lu, dont la campagne du Microdon comble un vide laissé par le manque de financement de l’État. « Le Microdon nous permet d’aller au bout de nos désirs artistiques », résume Marcelle Dubois. Qui plus est, l’événement est ludique et rassembleur. En effet, les individus achètent des mots qu’un auteur doit insérer dans un texte qu’il lira lors de la soirée d’ouverture du Festival. En 2014, environ 150 personnes ont pris plaisir à acheter un mot pour donner du fil à retordre à l’auteur Simon Boulerice. Pour Marcelle Dubois, « le sens de la collectivité au Jamais Lu se retrouve donc à la fois dans l’artistique et dans son financement ». Lorsqu’on lui demande si elle a l’impression que le financement privé encourage le désengagement de l’État, Marcelle Dubois répond du tac au tac : « Non, parce qu’il n’est pas là, le soutien de l’État. » Elle ne sait pas s’il y a un effet pernicieux à trouver ailleurs l’argent qui n’est pas donné par l’État, et « [s]on cœur balance entre l’urgence du quotidien et le combat politique » à mener à long terme. Elle ajoute que, dans le cas du Jamais Lu, la campagne du Microdon devrait encourager le soutien de l’État puisqu’elle prouve que le Festival est soutenu par le milieu.
Si mettre sur pied une campagne de financement sur Internet peut sembler alléchant parce qu’une fois la page créée, il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre les dons, il n’en est rien. De nombreuses heures doivent être investies pour que la campagne en vaille le coup, notamment en recherches de commandites pour offrir des récompenses aux donateurs, ou simplement pour faire la promotion de la campagne. Bien organisée, bien menée et avec un objectif raisonnable, la campagne peut toutefois permettre de rejoindre un maximum de gens en peu de temps. Cet objectif, atteint grâce à la participation d’un grand nombre, permet non seulement au projet d’avoir lieu, mais donne un réel sentiment de satisfaction à ceux qui donnent comme à ceux qui reçoivent. Cependant, malgré tout le talent d’une jeune troupe à mener une campagne de financement efficace, « il est essentiel, comme le dit Marcelle Dubois, de développer sa parole artistique avant de développer sa capacité à se financer ».
Dans le milieu théâtral, comme ailleurs, les campagnes de sociofinancement sont de plus en plus courantes. Regard sur le phénomène.
Vous êtes fraîchement diplômé d’une école de théâtre. Déterminés à évoluer le plus rapidement possible au sein du milieu, quelques collègues de votre classe et vous fondez une compagnie. Vous déposez dans un théâtre un projet de spectacle, et celui-ci est retenu. Bravo ! Reste maintenant à le financer.
Si bien peu de formations théâtrales abordent de front l’aspect administratif inhérent au métier de comédien, plusieurs acteurs auront néanmoins à développer des habiletés dans le domaine dès la fin de leurs études. En effet, pour ne pas attendre que le téléphone sonne, plusieurs jeunes comédiens décident d’être proactifs en devenant leur propre employeur. Mais voilà, lorsqu’une compagnie de théâtre démarre, elle n’a souvent pas droit aux subventions octroyées par les différents conseils des arts (lesquelles sont de plus en plus difficiles à obtenir même pour des compagnies plus aguerries) et doit donc se tourner vers le financement privé. Si quelques comédiens décident de financer complètement leurs projets théâtraux grâce à un emploi qu’ils occupent en parallèle ou à des contrats à la télé ou au cinéma, la plupart devront se lancer dans des campagnes de financement. Parmi les moyens les plus utilisés, on retrouve les partys de financement et les tirages, mais aussi, de plus en plus, les plateformes de sociofinancement.
Simplissime, l’inscription à une des centaines de plateformes de financement en ligne se fait en quelques clics. Il suffit de décrire le projet, la démarche de ceux qui le portent et l’objectif à atteindre. Bien que l’enregistrement soit gratuit, il faut savoir qu’un petit pourcentage de l’argent récolté devra être versé à la plateforme de financement sélectionnée. De plus, pour remercier les donateurs, les concepteurs d’un projet offrent la plupart du temps une récompense. Ces contreparties sont souvent modestes et liées de très près au spectacle (un don de 5 $ donne droit à un courriel de remerciement ; un don de 50 $, à une paire de billets ou à une rencontre avec les artistes à l’issue de la représentation, etc.). Quelquefois, un appui de certains commanditaires permet d’offrir aux donateurs des récompenses plus recherchées (repas dans les restaurants, massages, coupons-cadeaux, etc.). Bien que cela demande du temps, de l’énergie et le courage de frapper à plusieurs portes, il est parfois plus facile de se faire encourager par un commanditaire de cette façon . La campagne de financement gagne alors en intérêt pour les donateurs potentiels.
Combien peut-on espérer amasser grâce à une plateforme de financement ? La plupart des objectifs des jeunes compagnies varient de 1 000 à 3 000 $, loin des 12 000 $ qu’il faut pour boucler le budget d’un spectacle théâtral professionnel, même minimaliste. Pourquoi demander si peu ? Pour Martin Lebrun, du Théâtre de la Trotteuse, mieux vaut atteindre ou dépasser un objectif conservateur que de viser trop haut et « décourager ceux qui seraient prêts à donner ». Pour lui, le « sentiment de satisfaction » qui en découle « a un impact important sur le déroulement de la campagne ». L’objectif, une fois atteint, créerait donc un sentiment de devoir accompli. S’il était trop élevé, cela provoquerait l’effet inverse et repousserait des donateurs potentiels, qui pourraient croire que leur don importe peu puisque le seuil ne sera pas atteint de toute façon. Lorsqu’on se fixe un but modeste, pour équilibrer le budget et trouver les quelque 10 000 $ manquants, on comptera sur les revenus de la billetterie, le fait que les comédiens et les concepteurs acceptent un salaire moindre, et l’apport d’autres commanditaires.
Pour que l’objectif financier soit atteint, le réseau de contacts est d’une importance capitale. La promotion de la campagne de financement se fait par les réseaux sociaux et vise la famille et les amis, mais aussi différents contacts des membres de la compagnie. Plus les gens sentent qu’on fait appel à eux personnellement, meilleures sont les chances d’obtenir des dons. Le Théâtre de la Trotteuse a ainsi eu l’idée de « diviser ses contacts par groupe d’intérêt (famille, amis d’école et anciens professeurs, activité sportive, contacts internationaux, etc.) » et de lancer des discussions avec chacun de ces groupes. Les dons des uns ont stimulé les autres, et il y a eu un effet d’entraînement grâce à ces regroupements. Il est, par ailleurs, pratique d’utiliser des plateformes de financement pour joindre ceux qui ne pourront venir au spectacle, ou qui ne pourraient être présents à une activité de financement. Une promotion efficace de la campagne fera toute la différence. On pourrait, par exemple, produire une capsule vidéo, qui idéalement deviendrait virale. Le travail d’équipe est primordial dans ce genre d’entreprise ; il est évident que plus l’équipe est grande, plus le réseau de contacts le sera, et plus les chances d’atteindre l’objectif seront multipliées.
Un des avantages d’utiliser Internet pour mener une campagne de financement est la distance que cela permet de garder entre soi et les donateurs potentiels. Pour Caroline Gendron, en quête de financement pour son solo Gabie, présenté à l’Espace Libre en 2013, il était hors de question de faire du porte-à-porte pour rejoindre des commanditaires, ce qu’elle avait déjà fait auparavant. Elle trouve les campagnes de sociofinancement moins humiliantes que d’aller voir un commanditaire pour lui présenter son dossier.
Bien que ces campagnes à petits objectifs fonctionnent relativement bien, le malaise de demander de l’argent est palpable, que ce soit par crainte d’épuiser son réseau, ou parce que les amis comédiens mènent eux aussi leur propre campagne. Marcelle Dubois, directrice artistique et générale du Festival du Jamais Lu, se sent ainsi plus à l’aise de mettre sur pied une collecte de « microdons » pour le Festival, qu’elle considère en quelque sorte comme un service à la communauté, car des textes de gens provenant d’horizons divers y sont lus, plusieurs comédiens y participent et cette lecture est souvent une étape de travail pour un texte qui sera monté plus tard. Mais elle finance autrement les projets de sa compagnie les Porteuses d’aromates. Cette peur d’épuiser son réseau est aussi la raison pour laquelle certaines compagnies ne font pas campagne sur les plateformes de financement, privilégiant des tirages ou d’autres activités.
Il existe des événements pour lesquels le financement participatif, s’il a été le principal moyen d’amasser de l’argent, ne représente maintenant plus qu’une petite part du budget, mais demeure tout de même d’une importance capitale. C’est le cas du Festival du Jamais Lu, dont la campagne du Microdon comble un vide laissé par le manque de financement de l’État. « Le Microdon nous permet d’aller au bout de nos désirs artistiques », résume Marcelle Dubois. Qui plus est, l’événement est ludique et rassembleur. En effet, les individus achètent des mots qu’un auteur doit insérer dans un texte qu’il lira lors de la soirée d’ouverture du Festival. En 2014, environ 150 personnes ont pris plaisir à acheter un mot pour donner du fil à retordre à l’auteur Simon Boulerice. Pour Marcelle Dubois, « le sens de la collectivité au Jamais Lu se retrouve donc à la fois dans l’artistique et dans son financement ». Lorsqu’on lui demande si elle a l’impression que le financement privé encourage le désengagement de l’État, Marcelle Dubois répond du tac au tac : « Non, parce qu’il n’est pas là, le soutien de l’État. » Elle ne sait pas s’il y a un effet pernicieux à trouver ailleurs l’argent qui n’est pas donné par l’État, et « [s]on cœur balance entre l’urgence du quotidien et le combat politique » à mener à long terme. Elle ajoute que, dans le cas du Jamais Lu, la campagne du Microdon devrait encourager le soutien de l’État puisqu’elle prouve que le Festival est soutenu par le milieu.
Si mettre sur pied une campagne de financement sur Internet peut sembler alléchant parce qu’une fois la page créée, il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre les dons, il n’en est rien. De nombreuses heures doivent être investies pour que la campagne en vaille le coup, notamment en recherches de commandites pour offrir des récompenses aux donateurs, ou simplement pour faire la promotion de la campagne. Bien organisée, bien menée et avec un objectif raisonnable, la campagne peut toutefois permettre de rejoindre un maximum de gens en peu de temps. Cet objectif, atteint grâce à la participation d’un grand nombre, permet non seulement au projet d’avoir lieu, mais donne un réel sentiment de satisfaction à ceux qui donnent comme à ceux qui reçoivent. Cependant, malgré tout le talent d’une jeune troupe à mener une campagne de financement efficace, « il est essentiel, comme le dit Marcelle Dubois, de développer sa parole artistique avant de développer sa capacité à se financer ».