Sous le nom de Montag, Antoine Bédard a donné naissance à une pop électronique qui l’a entraîné sur trois continents. Depuis 2006, il compose, sous son véritable nom, pour le théâtre et la danse, mais aussi pour le cinéma, la télévision et le Web.
Après avoir collaboré avec des metteurs en scène comme Joël Beddows, Serge Denoncourt, Claude Poissant, Chris Abraham et Sylvain Scott, Antoine Bédard signe maintenant, pour Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier, l’environnement sonore de Quills, un spectacle coproduit par la compagnie Ex Machina et le Théâtre du Trident. La pièce de l’États-Unien Doug Wright sur les derniers jours du marquis de Sade sera présentée au Grand Théâtre de Québec en janvier et à l’Usine C en mars. Le jeune compositeur à l’agenda bien rempli a accepté de répondre à nos questions sur sa démarche plurielle.
Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Antoine Bédard : J’ai commencé à suivre des cours particuliers de violon à l’âge de 5 ans. C’est au moment d’entrer à l’université (en droit à McGill, puis en communication à l’UQAM), que j’ai dû abandonner mon instrument. Je ne sais pas au juste ce qui a été pour moi la plus grande école : mes étés au Camp musical de Lanaudière sous la direction du regretté père Lindsay ou les innombrables heures passées comme animateur dans le studio de CISM entre 1995 et 2002 ? Chose certaine, la musique a toujours été une passion. Mais elle a mis du temps à faire partie de mon plan de carrière. De loisir, elle est peu à peu devenue un métier.
Qu’est-ce qui vous a orienté vers la musique électronique ?
A. B. : Mon amour pour des groupes tels que Stereolab et Broadcast m’a poussé, très jeune, à m’intéresser aux synthétiseurs analogiques. À l’UQAM, j’ai appris les fondements du montage audio numérique et quelques techniques de base en prise de son. J’avais 23 ans quand Montag est né. À cette époque, Mathilde Géromin, une amie française avec qui je coanimais une émission de radio, m’a incité à envoyer mes toutes premières maquettes à une étiquette de disque parisienne qui s’appelait Gooom. Jean-Philippe Talaga, la tête pensante de Gooom, est tombé sous le charme de ma musique. C’est grâce à lui que j’ai compris le potentiel de ce que je composais. Par la suite, les événements se sont enchaînés de manière très naturelle : un premier album est paru en France, puis un deuxième, et une licence de ce dernier disque a été accordée à un label américain, Carpark Records, qui est devenu ma seconde famille, une famille musicale.
À quel moment le théâtre apparaît-il dans votre parcours ?
A. B. : C’est en déménageant à Vancouver en 2005 que j’ai commencé à travailler pour le théâtre. J’ai été présenté à un groupe d’amis qui avaient étudié en théâtre ensemble. J’ai ainsi eu la chance d’assister à la naissance de plusieurs compagnies, dont certaines étaient à la recherche de concepteurs sonores. Mes années à Vancouver m’ont permis de développer un réseau pancanadien, de collaborer avec des équipes très diverses, aux méthodes de travail parfois diamétralement opposées. En somme, pour pouvoir vivre de la musique, j’ai misé sur la pluralité des pratiques artistiques et sur l’exploitation de tout un réseau de connaissances que j’ai entretenu au fil des ans. En revenant à Montréal, en 2008, j’ai lancé quelques appels à des metteurs en scène et mon réseau d’amis m’a permis de poursuivre dans le domaine. Peu à peu, la composition pour le théâtre est devenue le cœur de mes activités professionnelles.
Qu’est-ce qui distingue Montag d’Antoine Bédard ?
A. B. : Montag, c’est bien simple, c’est la musique que je compose par moi-même, sans contraintes venues de l’extérieur, c’est un projet qui m’appartient. Antoine Bédard, lui, compose pour les autres. Il m’est quelques fois arrivé de signer des musiques sous le nom de Montag pour des projets artistiques, mais c’était vraiment lorsque le résultat se rapprochait beaucoup du son que j’ai développé en solo, une musique électronique mélodique et souvent onirique. La division est importante à mes yeux. C’est un peu comme tracer une frontière entre le travail et la vie quotidienne quand on est travailleur autonome. Il faut bien s’assurer de garder des espaces consacrés entièrement à soi, pour ne pas perdre la tête.
Savez-vous pour quelles raisons, précisément, les metteurs en scène font appel à vous ?
A. B. : On ne peut pas facilement définir l’univers musical qu’on développe. Mais je crois pouvoir dire que ma musique est rêveuse, qu’elle incite à la contemplation, qu’elle met l’accent sur la beauté qui nous entoure, qu’elle est sensible. C’est sûrement ce qui intéresse les metteurs en scène. Quoi de mieux, pour exprimer une gamme infinie d’émotions, que de faire appel à la musique ? À vrai dire, je ne sais pas exactement ce que les metteurs en scène viennent chercher chez moi, mais je sais précisément ce qu’ils m’apportent. J’apprends énormément de ces collaborations artistiques. Claude Poissant est un grand créateur, plein d’humour et de rigueur. Chris Abraham est un perfectionniste, un artiste d’une intelligence phénoménale. Robert Lepage est un conteur extraordinaire, un homme au vécu fascinant.
Qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement dans le fait de composer pour le théâtre ?
A. B. : Ce qui me comble le plus, c’est d’avoir à m’adapter à un récit, d’avoir à épouser sa poésie. La composition doit être faite sur mesure, c’est-à-dire qu’elle doit soutenir la lecture de l’œuvre par le metteur en scène. Pour arriver à comprendre ce que ce dernier souhaite exprimer, il faut bien entendu une bonne communication, mais il faut aussi de l’intuition, pour ne pas dire de la psychologie, une capacité à lire dans les pensées. Disons qu’on est loin du concert rock. Comme je n’ai jamais aimé être sous les projecteurs, ce travail me convient parfaitement. On dit d’une conception sonore au théâtre qu’elle est réussie si on ne l’a pas remarquée. C’est un peu poussé, mais ce n’est pas totalement faux.
Comment conjuguez-vous les attentes du metteur en scène et vos propres obsessions créatrices ?
A. B. : Il y a dans ce métier plus de liberté qu’on pourrait le croire. La plupart des metteurs en scène comprennent que la création se déroulera mieux si leurs concepteurs jouissent d’une marge de manœuvre. Il y a des lignes directrices à suivre, bien entendu, mais il y a aussi de multiples voies d’exploration. Ce que j’aime particulièrement dans ce travail, c’est la recherche. Quelle musique écoutait-on à Venise en 1889 ? J’ai déjà dû trouver la réponse à cette question pour une pièce ! D’autres exemples : trouver un groupe de hip-hop finlandais, trouver l’opéra favori de Napoléon, trouver des rythmes de la musique traditionnelle congolaise… Je tombe parfois sur une mine d’or. Ce trésor, c’est certain, je ne l’aurais jamais trouvé si j’étais resté assis devant mon synthétiseur pour composer une chanson de Montag. C’est donc l’exploration musicale qui fait du métier de concepteur sonore un métier qui n’est jamais exactement le même d’un projet à l’autre. Je ne sais pas ce que c’est que de faire deux fois la même chose.
Vous créez depuis peu des parcours sonores qui relient musique et architecture. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans cette nouvelle avenue ?
A. B. : Ça remonte à ma rencontre avec l’architecte Sophie Mankowski, qui m’a engagé en 2009 pour faire le montage d’un audioguide sur l’histoire de l’architecture moderne à Montréal. Depuis, on a cofondé la compagnie Portrait sonore et créé différents parcours du même genre. On a également lancé une application mobile qui regroupe toutes nos productions. Dans ces parcours, je me suis demandé comment la musique pouvait aider à décoder le langage souvent statique et « froid » de l’architecture, comment elle pouvait traduire l’émotion que souhaitait produire l’architecte.
Il y a quelque chose de théâtral dans ce dialogue entre les notes, les mots, les matières et les formes ?
A. B. : En effet, c’est un travail très riche. Comme je fais à la fois la narration et la coréalisation des parcours, en plus de la conception sonore et du montage, le volet composition est souvent celui sur lequel je passe le moins de temps. À l’avenir, je vais demander à des musiciens originaires des villes sur lesquelles vont porter nos parcours de créer des œuvres musicales inspirées de certains bâtiments. C’est vraiment un des volets de mon travail qui me passionne le plus : je sors de mon studio, je marche dans la ville pour m’en inspirer, j’apprends un tas de choses sur l’histoire des villes, je rencontre des experts dans le domaine… tout ça en continuant de créer des sons et de la musique.
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Quills au Trident du 12 janvier au 6 février 2016 | Quills à l’Usine C du 16 mars au 9 avril 2016
Sous le nom de Montag, Antoine Bédard a donné naissance à une pop électronique qui l’a entraîné sur trois continents. Depuis 2006, il compose, sous son véritable nom, pour le théâtre et la danse, mais aussi pour le cinéma, la télévision et le Web.
Après avoir collaboré avec des metteurs en scène comme Joël Beddows, Serge Denoncourt, Claude Poissant, Chris Abraham et Sylvain Scott, Antoine Bédard signe maintenant, pour Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier, l’environnement sonore de Quills, un spectacle coproduit par la compagnie Ex Machina et le Théâtre du Trident. La pièce de l’États-Unien Doug Wright sur les derniers jours du marquis de Sade sera présentée au Grand Théâtre de Québec en janvier et à l’Usine C en mars. Le jeune compositeur à l’agenda bien rempli a accepté de répondre à nos questions sur sa démarche plurielle.
Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Antoine Bédard : J’ai commencé à suivre des cours particuliers de violon à l’âge de 5 ans. C’est au moment d’entrer à l’université (en droit à McGill, puis en communication à l’UQAM), que j’ai dû abandonner mon instrument. Je ne sais pas au juste ce qui a été pour moi la plus grande école : mes étés au Camp musical de Lanaudière sous la direction du regretté père Lindsay ou les innombrables heures passées comme animateur dans le studio de CISM entre 1995 et 2002 ? Chose certaine, la musique a toujours été une passion. Mais elle a mis du temps à faire partie de mon plan de carrière. De loisir, elle est peu à peu devenue un métier.
Qu’est-ce qui vous a orienté vers la musique électronique ?
A. B. : Mon amour pour des groupes tels que Stereolab et Broadcast m’a poussé, très jeune, à m’intéresser aux synthétiseurs analogiques. À l’UQAM, j’ai appris les fondements du montage audio numérique et quelques techniques de base en prise de son. J’avais 23 ans quand Montag est né. À cette époque, Mathilde Géromin, une amie française avec qui je coanimais une émission de radio, m’a incité à envoyer mes toutes premières maquettes à une étiquette de disque parisienne qui s’appelait Gooom. Jean-Philippe Talaga, la tête pensante de Gooom, est tombé sous le charme de ma musique. C’est grâce à lui que j’ai compris le potentiel de ce que je composais. Par la suite, les événements se sont enchaînés de manière très naturelle : un premier album est paru en France, puis un deuxième, et une licence de ce dernier disque a été accordée à un label américain, Carpark Records, qui est devenu ma seconde famille, une famille musicale.
À quel moment le théâtre apparaît-il dans votre parcours ?
A. B. : C’est en déménageant à Vancouver en 2005 que j’ai commencé à travailler pour le théâtre. J’ai été présenté à un groupe d’amis qui avaient étudié en théâtre ensemble. J’ai ainsi eu la chance d’assister à la naissance de plusieurs compagnies, dont certaines étaient à la recherche de concepteurs sonores. Mes années à Vancouver m’ont permis de développer un réseau pancanadien, de collaborer avec des équipes très diverses, aux méthodes de travail parfois diamétralement opposées. En somme, pour pouvoir vivre de la musique, j’ai misé sur la pluralité des pratiques artistiques et sur l’exploitation de tout un réseau de connaissances que j’ai entretenu au fil des ans. En revenant à Montréal, en 2008, j’ai lancé quelques appels à des metteurs en scène et mon réseau d’amis m’a permis de poursuivre dans le domaine. Peu à peu, la composition pour le théâtre est devenue le cœur de mes activités professionnelles.
Qu’est-ce qui distingue Montag d’Antoine Bédard ?
A. B. : Montag, c’est bien simple, c’est la musique que je compose par moi-même, sans contraintes venues de l’extérieur, c’est un projet qui m’appartient. Antoine Bédard, lui, compose pour les autres. Il m’est quelques fois arrivé de signer des musiques sous le nom de Montag pour des projets artistiques, mais c’était vraiment lorsque le résultat se rapprochait beaucoup du son que j’ai développé en solo, une musique électronique mélodique et souvent onirique. La division est importante à mes yeux. C’est un peu comme tracer une frontière entre le travail et la vie quotidienne quand on est travailleur autonome. Il faut bien s’assurer de garder des espaces consacrés entièrement à soi, pour ne pas perdre la tête.
Savez-vous pour quelles raisons, précisément, les metteurs en scène font appel à vous ?
A. B. : On ne peut pas facilement définir l’univers musical qu’on développe. Mais je crois pouvoir dire que ma musique est rêveuse, qu’elle incite à la contemplation, qu’elle met l’accent sur la beauté qui nous entoure, qu’elle est sensible. C’est sûrement ce qui intéresse les metteurs en scène. Quoi de mieux, pour exprimer une gamme infinie d’émotions, que de faire appel à la musique ? À vrai dire, je ne sais pas exactement ce que les metteurs en scène viennent chercher chez moi, mais je sais précisément ce qu’ils m’apportent. J’apprends énormément de ces collaborations artistiques. Claude Poissant est un grand créateur, plein d’humour et de rigueur. Chris Abraham est un perfectionniste, un artiste d’une intelligence phénoménale. Robert Lepage est un conteur extraordinaire, un homme au vécu fascinant.
Qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement dans le fait de composer pour le théâtre ?
A. B. : Ce qui me comble le plus, c’est d’avoir à m’adapter à un récit, d’avoir à épouser sa poésie. La composition doit être faite sur mesure, c’est-à-dire qu’elle doit soutenir la lecture de l’œuvre par le metteur en scène. Pour arriver à comprendre ce que ce dernier souhaite exprimer, il faut bien entendu une bonne communication, mais il faut aussi de l’intuition, pour ne pas dire de la psychologie, une capacité à lire dans les pensées. Disons qu’on est loin du concert rock. Comme je n’ai jamais aimé être sous les projecteurs, ce travail me convient parfaitement. On dit d’une conception sonore au théâtre qu’elle est réussie si on ne l’a pas remarquée. C’est un peu poussé, mais ce n’est pas totalement faux.
Comment conjuguez-vous les attentes du metteur en scène et vos propres obsessions créatrices ?
A. B. : Il y a dans ce métier plus de liberté qu’on pourrait le croire. La plupart des metteurs en scène comprennent que la création se déroulera mieux si leurs concepteurs jouissent d’une marge de manœuvre. Il y a des lignes directrices à suivre, bien entendu, mais il y a aussi de multiples voies d’exploration. Ce que j’aime particulièrement dans ce travail, c’est la recherche. Quelle musique écoutait-on à Venise en 1889 ? J’ai déjà dû trouver la réponse à cette question pour une pièce ! D’autres exemples : trouver un groupe de hip-hop finlandais, trouver l’opéra favori de Napoléon, trouver des rythmes de la musique traditionnelle congolaise… Je tombe parfois sur une mine d’or. Ce trésor, c’est certain, je ne l’aurais jamais trouvé si j’étais resté assis devant mon synthétiseur pour composer une chanson de Montag. C’est donc l’exploration musicale qui fait du métier de concepteur sonore un métier qui n’est jamais exactement le même d’un projet à l’autre. Je ne sais pas ce que c’est que de faire deux fois la même chose.
Vous créez depuis peu des parcours sonores qui relient musique et architecture. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans cette nouvelle avenue ?
A. B. : Ça remonte à ma rencontre avec l’architecte Sophie Mankowski, qui m’a engagé en 2009 pour faire le montage d’un audioguide sur l’histoire de l’architecture moderne à Montréal. Depuis, on a cofondé la compagnie Portrait sonore et créé différents parcours du même genre. On a également lancé une application mobile qui regroupe toutes nos productions. Dans ces parcours, je me suis demandé comment la musique pouvait aider à décoder le langage souvent statique et « froid » de l’architecture, comment elle pouvait traduire l’émotion que souhaitait produire l’architecte.
Il y a quelque chose de théâtral dans ce dialogue entre les notes, les mots, les matières et les formes ?
A. B. : En effet, c’est un travail très riche. Comme je fais à la fois la narration et la coréalisation des parcours, en plus de la conception sonore et du montage, le volet composition est souvent celui sur lequel je passe le moins de temps. À l’avenir, je vais demander à des musiciens originaires des villes sur lesquelles vont porter nos parcours de créer des œuvres musicales inspirées de certains bâtiments. C’est vraiment un des volets de mon travail qui me passionne le plus : je sors de mon studio, je marche dans la ville pour m’en inspirer, j’apprends un tas de choses sur l’histoire des villes, je rencontre des experts dans le domaine… tout ça en continuant de créer des sons et de la musique.
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Quills au Trident du 12 janvier au 6 février 2016 | Quills à l’Usine C du 16 mars au 9 avril 2016