Elle est jeune, elle est belle, elle exerce un métier qui la passionne. Peut-on dire que Catherine Vidal mène une vie de rêve? L’intéressée ne le dément pas, tout en posant un regard vif et acéré sur ce merveilleux monde qu’est le théâtre.
Catherine Vidal est un oiseau rare: elle est metteure en scène. Dans sa génération, ses consœurs se comptent sur les doigts d’une main. Mais la rareté ne tient pas qu’au nombre. Catherine Vidal a un talent, une finesse, une précision rares, dans l’écriture de l’espace et la direction d’acteurs. C’est avec la mise en scène du Grand Cahier, d’après le roman d’Agota Kristof, qu’elle se fait connaître. Créé au Théâtre Prospero en 2009, il est présenté en reprise au Théâtre de Quat’Sous la saison suivante. Le spectacle fera ensuite deux tournées au Québec.
Elle aime les textes costauds, qui proposent des univers singuliers. En 2012, elle met en scène Robin et Marion, une pastorale adaptée par Étienne Lepage, au Théâtre d’Aujourd’hui. Au Prospero, elle monte Des couteaux dans les poules de David Harrower et Avant la retraite de Thomas Bernhard, qui sera repris la saison suivante. En octobre 2015, elle s’attaque à son premier spectacle de marionnettes avec Le Cœur en hiver, d’après un conte d’Andersen, encore une fois revisité par Étienne Lepage. Au moment de l’entrevue, elle planchait sur Le miel est plus doux que le sang, une pièce de Simone Chartrand et Philippe Soldevila créée en 1995, qui relate la rencontre entre Dalí, Buñuel et Lorca à Madrid, pendant les années folles qui ont précédé la guerre d’Espagne. «Avant la retraite est un texte très sombre, dit Catherine Vidal, et j’avais envie de lumière!» Le spectacle a été présenté en février dernier au Théâtre Denise-Pelletier.
Rêver d’être alchimiste
Pour Catherine Vidal, le théâtre a toujours été une certitude: «À 8 ou 9 ans, je faisais déjà de la mise en scène. C’est moi qui plaçais tout et, pour mieux diriger mes sœurs, je me donnais les rôles secondaires, ou celui de la méchante. Je peux dire que j’ai réalisé mon rêve d’enfant, alors que je croyais que, pour être metteur en scène, il fallait être un homme et, qui plus est, très vieux…» Elle ajoute: «Pour qu’on t’écoute…»
Ses rêves de metteure en scène, curieusement, sont ceux de la spectatrice absolue. Elle ne rêve pas de diriger des acteurs célèbres ou d’une scénographie grandiose, mais de spectacles: «J’aurais aimé voir Les Belles-Sœurs au moment de leur création, les spectacles de Jean-Pierre Ronfard, de Robert Gravel, d’André Brassard, ceux du Théâtre Expérimental des Femmes et du Grand Cirque Ordinaire, les créations de Claude Gauvreau ou encore celles de Jean Marc Dalpé et Brigitte Haentjens à Sudbury… J’aurais aimé être dans la salle et recevoir le spectacle en direct, être parmi les spectateurs de ces époques. Voir La Classe morte de Kantor, ou Les fées ont soif, ou encore Dans la solitude des champs de coton avec Patrice Chéreau et Pascal Greggory, La Fausse Suivante avec Jane Birkin, À quelle heure on meurt?, monté par Martin Faucher, ou les premiers spectacles de Brecht, L’Opéra de quat’sous dans les années 20… Et même les tragédies grecques! J’aimerais pouvoir suivre le processus de travail de Romeo Castellucci ou de Gisèle Vienne, entrer quand je veux dans une salle de répétition, découvrir comment font des metteurs en scène comme Ostermeier ou Pommerat pour se rendre là où ils vont.»
Plus stimulée par le chemin à parcourir que par le résultat, Catherine Vidal ne nourrit pas de fantasmes sur le spectacle idéal ou absolu. Pour elle, imaginer cette finalité revient à croire au hasard ou… à la loterie! Pour rêver du théâtre, il faut savoir pourquoi on l’aime: «Qu’est-ce qui fait qu’en tant que spectatrice j’ai envie d’y retourner? reprend-elle. Quand j’ai vu Kroum, dans la mise en scène de Warlikowski, j’en suis sortie shootée, comme si j’étais droguée tellement c’était fort! Par la suite, comme une junkie en manque, j’ai cherché à ressentir à nouveau cette joie, ce soulèvement, cette expérience sensuelle de l’adrénaline. Quand toute la salle éprouve le même tremblement et que, à la sortie du théâtre, les spectateurs bouleversés se regardent sans dire un mot, reconnaissant dans l’autre le même état de choc, l’expérience n’en est que décuplée! Cette sensation, bien que très rare, nous marque à jamais. C’est là mon rêve de théâtre: être cet alchimiste au moins une fois. Ai-je besoin de dire que c’est dans la préparation de l’objet que ça se joue, dans le choix des éléments et des alliés, dans notre capacité d’écoute et de communiquer notre vision, dans le degré d’acuité sensorielle, intellectuelle et formelle, dans le temps pour expérimenter et éprouver, dans le transfert de l’énergie du plateau à la salle? La forme et le fond doivent sans aucun doute se répondre, oui, et même plus. Que la forme probablement propose des nouveaux codes et que le fond peut-être déstabilise le socle d’une vérité trop consensuelle, que le fond dévoile l’angle mort d’un sujet qu’on croit connaître par cœur. Les écueils, les pièges sont tellement nombreux et les processus, multiples. Pour rien au monde, je ne voudrais renoncer à ce travail. Je devrai sans doute passer à travers une forêt que j’aurai moi-même créée, une forêt de spectacles plus ou moins réussis, vaniteux, ennuyeux ou simplement bien, honnêtes mais trop sages, souvent pétris d’influences reconnaissables, pour en retirer un certain savoir. Pour arriver à être cet alchimiste. Peut-être. Un projet qui, certes, comporte son lot de vanité…»
Le temps et la diversité
Autre rêve de Catherine Vidal: avoir le temps. «Le temps de travailler les spectacles plus longtemps, le temps pour trouver des solutions quand surviennent les problèmes. Parfois, je vois des spectacles où l’on sent que le metteur en scène a manqué de temps pour développer des idées, ou qu’il a dû être confronté à des impasses. Nous avons tendance à croire que, si nous ne faisons pas un spectacle par année, nous n’existons pas. Est-ce de la boulimie ou de la tentation? J’aimerais réunir une troupe de concepteurs et de comédiens et travailler avec eux pendant cinq ans, constituer une famille de théâtre. Se concentrer sur une seule chose à la fois, prendre le temps de réfléchir, de chercher et d’être ensemble, je suis certaine que ça donnerait quelque chose de grand et que le théâtre s’améliorerait. Avoir la bonne idée, le bon concept, ça demande du temps. Quand je m’assois dans une salle, je me demande souvent: à qui on s’adresse? Est-on vraiment en dialogue avec les spectateurs? Souvent, j’ai l’impression qu’on s’adresse aux praticiens, aux diffuseurs et aux programmateurs de festivals, mais que le contact avec le public est perdu. Ce n’est peut-être pas conscient, mais on parle parfois dans un jargon: les initiés comprennent, et les autres sont largués…»
Dans cette relation avec le public, la metteure en scène prône l’accessibilité au théâtre pour tous: «Si l’on veut que les communautés culturelles viennent au théâtre, il faudrait qu’elles se voient sur scène, qu’elles se sentent concernées par ce qu’on leur propose. Mais nous faisons un théâtre blanc pour les Blancs. La diversité des spectateurs ne se rencontre réellement qu’avec les jeunes publics en sortie scolaire. À une représentation du Cœur en hiver à la Maison Théâtre, j’étais assise à côté d’enfants noirs et je me disais qu’il aurait pu y avoir un personnage noir dans la distribution, comme Kay, le petit garçon. Assise dans la salle à côté de ces enfants, j’ai regretté de ne pas l’avoir fait.»
Pour Catherine Vidal, la diversité n’est pas seulement culturelle, elle doit également se retrouver dans le genre de théâtre: «Plus c’est diversifié, mieux c’est; il n’y a pas un théâtre meilleur que l’autre. Le divertissement n’est pas forcément de la merde. Tout le monde devrait essayer d’être excellent dans son genre. Au top du théâtre d’été, par exemple. C’est absurde de se donner des étiquettes. J’aime beaucoup cette citation d’Émile Zola: “Chaque fois qu’on voudra vous enfermer dans un code en déclarant: ceci est du théâtre, ceci n’est pas du théâtre, répondez carrément: le théâtre n’existe pas. Il y a des théâtres, et je cherche le mien.” Il faut être le plus libre possible, le plus personnel possible, sans obligatoirement s’affirmer féministe ou engagé, et sans se draper dans une bonne conscience. Comme si le théâtre ne se suffisait pas à lui-même et qu’il fallait lui ajouter une valeur, un message! On peut être traversé par des valeurs, mais de là à s’inscrire sous une étiquette… J’aimerais qu’on ne s’enferme pas dans des carcans. Cela ne concerne pas le spectateur; c’est un débat interne qui agite un milieu sclérosé comme toutes les formes d’art le sont, mais qui se trouve dans une dynamique de séduction. Et puis, n’est-ce pas naturel de se ranger dans un groupe, si profondément humain? Être vraiment libre, c’est difficile. Travailler sans balises… On les crée parce qu’on a peur. Et puis, on veut plaire… On ne peut pas créer en ne voulant plaire à personne. En tant que metteur en scène, la tentation est grande de faire des gestes pour démontrer une certaine intelligence. Parfois, ce que je vois sur scène, c’est ça: regardez comme j’ai tellement d’idées, comme je suis brillant! Savoir regarder l’objet, surtout dans ce travail où on a l’impression d’avoir le nez collé sur la vitre, savoir prendre de la distance, ça aussi, ça demande du temps…»
Ce qui pourrait arriver de mieux aux artistes
Dans le monde rêvé de Catherine Vidal, la politique culturelle est aussi forte que l’économie. Le ministre de la Culture est une personne qui aime et fréquente les arts, un fin connaisseur, voire un expert: «Ceux qui nous gouvernent devraient croire en l’art et avoir une réelle politique culturelle, dit-elle, ne pas considérer la culture seulement d’un point de vue économique, en ne voyant que les fameuses retombées… Chaque fois qu’on veut défendre la culture, on bute sur un discours marchand. Comment changer l’image de l’artiste? C’est en partie la responsabilité du gouvernement, qui, malheureusement, développe un discours incohérent, célébrant les artistes qui rayonnent dans le monde sans apporter la moindre reconnaissance à ceux qui travaillent ici. Il semblerait actuellement que rien ne peut exister entre le divertissement et les spectacles très exigeants. Mais c’est comme pour le vin: il faut éduquer et former le goût et, pour cela, ne pas commencer la dégustation par le vin le plus tannique.»
Ce dont les artistes ont également besoin, selon la metteure en scène, c’est d’une critique juste qui évite la complaisance: «La critique va bien cerner la dramaturgie, la mise en scène ou le concept, mais le jeu de l’acteur n’est jamais bien critiqué. Que les critiques prennent des cours de jeu pour l’apprécier! L’acteur est la matière vivante du théâtre, mais la critique est très pauvre sur ce plan. Si quelque chose cloche dans un spectacle et que le journaliste le nomme, ça permet de comprendre. Aucun spectacle n’est parfait, il y a toujours des bémols. Il faudrait que les artistes sachent lire une critique, bonne ou mauvaise, et qu’ils la reçoivent “sportivement”, avec philosophie, sans se sentir attaqués personnellement. Qu’ils aient foi en leur instinct, aussi, pour oser la contredire! La critique gagnerait à être plus précise dans son analyse. Ça me frappe que la matière vivante ne soit parfois même pas citée, alors que beaucoup de choses passent par là, la direction, la théâtralité.»
L’avenir du théâtre se rêve-t-il en couleur? «Technologiquement, on fera des prouesses, prédit Catherine Vidal, avec la vidéo et des lunettes en 3D et je ne sais quoi encore, mais on va toujours revenir à un groupe de personnes, à une collectivité vivant une expérience humaine. La technologie ne remplacera pas l’expérience humaine.»
Elle est jeune, elle est belle, elle exerce un métier qui la passionne. Peut-on dire que Catherine Vidal mène une vie de rêve? L’intéressée ne le dément pas, tout en posant un regard vif et acéré sur ce merveilleux monde qu’est le théâtre.
Catherine Vidal est un oiseau rare: elle est metteure en scène. Dans sa génération, ses consœurs se comptent sur les doigts d’une main. Mais la rareté ne tient pas qu’au nombre. Catherine Vidal a un talent, une finesse, une précision rares, dans l’écriture de l’espace et la direction d’acteurs. C’est avec la mise en scène du Grand Cahier, d’après le roman d’Agota Kristof, qu’elle se fait connaître. Créé au Théâtre Prospero en 2009, il est présenté en reprise au Théâtre de Quat’Sous la saison suivante. Le spectacle fera ensuite deux tournées au Québec.
Elle aime les textes costauds, qui proposent des univers singuliers. En 2012, elle met en scène Robin et Marion, une pastorale adaptée par Étienne Lepage, au Théâtre d’Aujourd’hui. Au Prospero, elle monte Des couteaux dans les poules de David Harrower et Avant la retraite de Thomas Bernhard, qui sera repris la saison suivante. En octobre 2015, elle s’attaque à son premier spectacle de marionnettes avec Le Cœur en hiver, d’après un conte d’Andersen, encore une fois revisité par Étienne Lepage. Au moment de l’entrevue, elle planchait sur Le miel est plus doux que le sang, une pièce de Simone Chartrand et Philippe Soldevila créée en 1995, qui relate la rencontre entre Dalí, Buñuel et Lorca à Madrid, pendant les années folles qui ont précédé la guerre d’Espagne. «Avant la retraite est un texte très sombre, dit Catherine Vidal, et j’avais envie de lumière!» Le spectacle a été présenté en février dernier au Théâtre Denise-Pelletier.
Rêver d’être alchimiste
Pour Catherine Vidal, le théâtre a toujours été une certitude: «À 8 ou 9 ans, je faisais déjà de la mise en scène. C’est moi qui plaçais tout et, pour mieux diriger mes sœurs, je me donnais les rôles secondaires, ou celui de la méchante. Je peux dire que j’ai réalisé mon rêve d’enfant, alors que je croyais que, pour être metteur en scène, il fallait être un homme et, qui plus est, très vieux…» Elle ajoute: «Pour qu’on t’écoute…»
Ses rêves de metteure en scène, curieusement, sont ceux de la spectatrice absolue. Elle ne rêve pas de diriger des acteurs célèbres ou d’une scénographie grandiose, mais de spectacles: «J’aurais aimé voir Les Belles-Sœurs au moment de leur création, les spectacles de Jean-Pierre Ronfard, de Robert Gravel, d’André Brassard, ceux du Théâtre Expérimental des Femmes et du Grand Cirque Ordinaire, les créations de Claude Gauvreau ou encore celles de Jean Marc Dalpé et Brigitte Haentjens à Sudbury… J’aurais aimé être dans la salle et recevoir le spectacle en direct, être parmi les spectateurs de ces époques. Voir La Classe morte de Kantor, ou Les fées ont soif, ou encore Dans la solitude des champs de coton avec Patrice Chéreau et Pascal Greggory, La Fausse Suivante avec Jane Birkin, À quelle heure on meurt?, monté par Martin Faucher, ou les premiers spectacles de Brecht, L’Opéra de quat’sous dans les années 20… Et même les tragédies grecques! J’aimerais pouvoir suivre le processus de travail de Romeo Castellucci ou de Gisèle Vienne, entrer quand je veux dans une salle de répétition, découvrir comment font des metteurs en scène comme Ostermeier ou Pommerat pour se rendre là où ils vont.»
Plus stimulée par le chemin à parcourir que par le résultat, Catherine Vidal ne nourrit pas de fantasmes sur le spectacle idéal ou absolu. Pour elle, imaginer cette finalité revient à croire au hasard ou… à la loterie! Pour rêver du théâtre, il faut savoir pourquoi on l’aime: «Qu’est-ce qui fait qu’en tant que spectatrice j’ai envie d’y retourner? reprend-elle. Quand j’ai vu Kroum, dans la mise en scène de Warlikowski, j’en suis sortie shootée, comme si j’étais droguée tellement c’était fort! Par la suite, comme une junkie en manque, j’ai cherché à ressentir à nouveau cette joie, ce soulèvement, cette expérience sensuelle de l’adrénaline. Quand toute la salle éprouve le même tremblement et que, à la sortie du théâtre, les spectateurs bouleversés se regardent sans dire un mot, reconnaissant dans l’autre le même état de choc, l’expérience n’en est que décuplée! Cette sensation, bien que très rare, nous marque à jamais. C’est là mon rêve de théâtre: être cet alchimiste au moins une fois. Ai-je besoin de dire que c’est dans la préparation de l’objet que ça se joue, dans le choix des éléments et des alliés, dans notre capacité d’écoute et de communiquer notre vision, dans le degré d’acuité sensorielle, intellectuelle et formelle, dans le temps pour expérimenter et éprouver, dans le transfert de l’énergie du plateau à la salle? La forme et le fond doivent sans aucun doute se répondre, oui, et même plus. Que la forme probablement propose des nouveaux codes et que le fond peut-être déstabilise le socle d’une vérité trop consensuelle, que le fond dévoile l’angle mort d’un sujet qu’on croit connaître par cœur. Les écueils, les pièges sont tellement nombreux et les processus, multiples. Pour rien au monde, je ne voudrais renoncer à ce travail. Je devrai sans doute passer à travers une forêt que j’aurai moi-même créée, une forêt de spectacles plus ou moins réussis, vaniteux, ennuyeux ou simplement bien, honnêtes mais trop sages, souvent pétris d’influences reconnaissables, pour en retirer un certain savoir. Pour arriver à être cet alchimiste. Peut-être. Un projet qui, certes, comporte son lot de vanité…»
Le temps et la diversité
Autre rêve de Catherine Vidal: avoir le temps. «Le temps de travailler les spectacles plus longtemps, le temps pour trouver des solutions quand surviennent les problèmes. Parfois, je vois des spectacles où l’on sent que le metteur en scène a manqué de temps pour développer des idées, ou qu’il a dû être confronté à des impasses. Nous avons tendance à croire que, si nous ne faisons pas un spectacle par année, nous n’existons pas. Est-ce de la boulimie ou de la tentation? J’aimerais réunir une troupe de concepteurs et de comédiens et travailler avec eux pendant cinq ans, constituer une famille de théâtre. Se concentrer sur une seule chose à la fois, prendre le temps de réfléchir, de chercher et d’être ensemble, je suis certaine que ça donnerait quelque chose de grand et que le théâtre s’améliorerait. Avoir la bonne idée, le bon concept, ça demande du temps. Quand je m’assois dans une salle, je me demande souvent: à qui on s’adresse? Est-on vraiment en dialogue avec les spectateurs? Souvent, j’ai l’impression qu’on s’adresse aux praticiens, aux diffuseurs et aux programmateurs de festivals, mais que le contact avec le public est perdu. Ce n’est peut-être pas conscient, mais on parle parfois dans un jargon: les initiés comprennent, et les autres sont largués…»
Dans cette relation avec le public, la metteure en scène prône l’accessibilité au théâtre pour tous: «Si l’on veut que les communautés culturelles viennent au théâtre, il faudrait qu’elles se voient sur scène, qu’elles se sentent concernées par ce qu’on leur propose. Mais nous faisons un théâtre blanc pour les Blancs. La diversité des spectateurs ne se rencontre réellement qu’avec les jeunes publics en sortie scolaire. À une représentation du Cœur en hiver à la Maison Théâtre, j’étais assise à côté d’enfants noirs et je me disais qu’il aurait pu y avoir un personnage noir dans la distribution, comme Kay, le petit garçon. Assise dans la salle à côté de ces enfants, j’ai regretté de ne pas l’avoir fait.»
Pour Catherine Vidal, la diversité n’est pas seulement culturelle, elle doit également se retrouver dans le genre de théâtre: «Plus c’est diversifié, mieux c’est; il n’y a pas un théâtre meilleur que l’autre. Le divertissement n’est pas forcément de la merde. Tout le monde devrait essayer d’être excellent dans son genre. Au top du théâtre d’été, par exemple. C’est absurde de se donner des étiquettes. J’aime beaucoup cette citation d’Émile Zola: “Chaque fois qu’on voudra vous enfermer dans un code en déclarant: ceci est du théâtre, ceci n’est pas du théâtre, répondez carrément: le théâtre n’existe pas. Il y a des théâtres, et je cherche le mien.” Il faut être le plus libre possible, le plus personnel possible, sans obligatoirement s’affirmer féministe ou engagé, et sans se draper dans une bonne conscience. Comme si le théâtre ne se suffisait pas à lui-même et qu’il fallait lui ajouter une valeur, un message! On peut être traversé par des valeurs, mais de là à s’inscrire sous une étiquette… J’aimerais qu’on ne s’enferme pas dans des carcans. Cela ne concerne pas le spectateur; c’est un débat interne qui agite un milieu sclérosé comme toutes les formes d’art le sont, mais qui se trouve dans une dynamique de séduction. Et puis, n’est-ce pas naturel de se ranger dans un groupe, si profondément humain? Être vraiment libre, c’est difficile. Travailler sans balises… On les crée parce qu’on a peur. Et puis, on veut plaire… On ne peut pas créer en ne voulant plaire à personne. En tant que metteur en scène, la tentation est grande de faire des gestes pour démontrer une certaine intelligence. Parfois, ce que je vois sur scène, c’est ça: regardez comme j’ai tellement d’idées, comme je suis brillant! Savoir regarder l’objet, surtout dans ce travail où on a l’impression d’avoir le nez collé sur la vitre, savoir prendre de la distance, ça aussi, ça demande du temps…»
Ce qui pourrait arriver de mieux aux artistes
Dans le monde rêvé de Catherine Vidal, la politique culturelle est aussi forte que l’économie. Le ministre de la Culture est une personne qui aime et fréquente les arts, un fin connaisseur, voire un expert: «Ceux qui nous gouvernent devraient croire en l’art et avoir une réelle politique culturelle, dit-elle, ne pas considérer la culture seulement d’un point de vue économique, en ne voyant que les fameuses retombées… Chaque fois qu’on veut défendre la culture, on bute sur un discours marchand. Comment changer l’image de l’artiste? C’est en partie la responsabilité du gouvernement, qui, malheureusement, développe un discours incohérent, célébrant les artistes qui rayonnent dans le monde sans apporter la moindre reconnaissance à ceux qui travaillent ici. Il semblerait actuellement que rien ne peut exister entre le divertissement et les spectacles très exigeants. Mais c’est comme pour le vin: il faut éduquer et former le goût et, pour cela, ne pas commencer la dégustation par le vin le plus tannique.»
Ce dont les artistes ont également besoin, selon la metteure en scène, c’est d’une critique juste qui évite la complaisance: «La critique va bien cerner la dramaturgie, la mise en scène ou le concept, mais le jeu de l’acteur n’est jamais bien critiqué. Que les critiques prennent des cours de jeu pour l’apprécier! L’acteur est la matière vivante du théâtre, mais la critique est très pauvre sur ce plan. Si quelque chose cloche dans un spectacle et que le journaliste le nomme, ça permet de comprendre. Aucun spectacle n’est parfait, il y a toujours des bémols. Il faudrait que les artistes sachent lire une critique, bonne ou mauvaise, et qu’ils la reçoivent “sportivement”, avec philosophie, sans se sentir attaqués personnellement. Qu’ils aient foi en leur instinct, aussi, pour oser la contredire! La critique gagnerait à être plus précise dans son analyse. Ça me frappe que la matière vivante ne soit parfois même pas citée, alors que beaucoup de choses passent par là, la direction, la théâtralité.»
L’avenir du théâtre se rêve-t-il en couleur? «Technologiquement, on fera des prouesses, prédit Catherine Vidal, avec la vidéo et des lunettes en 3D et je ne sais quoi encore, mais on va toujours revenir à un groupe de personnes, à une collectivité vivant une expérience humaine. La technologie ne remplacera pas l’expérience humaine.»