Béatrice Flynn

Les festivals du Jamais Lu de Québec 2015 et du Jamais Lu de Montréal 2016 ont été le théâtre de combats sans merci. Devant des jurys impassibles et épris de justice, des auteur(e)s et des comédien(ne)s se sont affrontés, armés d’arguments et d’onomatopées, pour décider du sort d’œuvres du répertoire théâtral québécois : faut-il vendre (ne plus porter à la scène) ou bien rénover (revamper et remonter) ?

Sous la gouverne de Marcelle Dubois, directrice artistique du Festival, et d’Alexandre Fecteau, concepteur de l’événement Vendre ou rénover ? Combat théâtral autour des classiques de la dramaturgie, les belligérants ont eu à faire, somme toute, ce qu’ils font le mieux : créer un personnage, adopter son point de vue, puis le défendre avec éloquence et sincérité. Certains ont pu livrer une charge plutôt honnête puisque le mandat imposé – descendre l’œuvre en flammes ou la glorifier – concordait avec leur opinion ; d’autres ont dû redoubler d’ardeur, d’ingéniosité et parfois de mauvaise foi pour soutenir une position qui leur était étrangère, voire contre nature. Dans tous les cas, l’impossibilité de nuancer leurs propos a donné lieu à de nombreux éclats de rire, à des dérapages rhétoriques semi-contrôlés, mais, surtout, à une quantité impressionnante de questions légitimes, stimulantes, nécessaires.

Jeu a décidé de rendre compte par écrit de ces joutes – mises à jour et augmentées, accompagnées de deux inédits – afin de tisonner notre réflexion collective sur le répertoire. Avons-nous de bonnes et de mauvaises raisons de mettre des œuvres au rancart ? Sommes-nous parfois coupables d’âgisme ou, au contraire, d’acharnement ? Comment envisageons-nous notre devoir de mémoire ? Et celui de constituer un répertoire national ? Faisons-nous du théâtre muséal ? Si la forme vieillit mal, nous risquons l’ennui, mais qu’en est-il du fond des œuvres : peut-il devenir toxique à force de vieillissement ? Négligeons-nous l’histoire au profit d’un présent toujours renouvelé ? À quel point peut-on « rénover » une œuvre avant qu’elle n’en devienne une autre ? Comment, concrètement, peut-on réactiver certaines œuvres ? Y a-t-il des textes indéfendables ? Et des incontournables ?

Raymond Bertin ouvre la réflexion en compagnie d’Alexandre Fecteau, de Marie-Claude Verdier et d’Alexandre Cadieux, fouillant, entre autres, la propension québécoise à la création tous azimuts, l’écart entre le théâtre étudié et celui qui est porté à la scène, les cas particuliers des pièces écrites par des femmes et celles destinées aux jeunes publics, de même que les notions de risque, de responsabilité et d’identité. Dans un affrontement en terrain glissant, Guillaume Corbeil et Marianne Dansereau abordent la pièce Médium saignant de Françoise Loranger à travers le prisme du combat pour la langue française et, par conséquent, des relations de pouvoir à l’œuvre dans le texte.

Lorsqu’il est question de Being at home with Claude (René-Daniel Dubois), Marc Beaupré et Édith Patenaude s’affrontent sur la réelle qualité dramaturgique du texte, mais aussi sur ce qu’il véhicule : éclairante tragédie ou « darling » malsain ? Devant le défi de revamper Citrouille de Jean Barbeau, Maryse Lapierre opte pour des arguments aussi radicaux que la pièce elle-même, alors que Jean-Denis Beaudoin préfère laisser aux lecteurs le soin de juger du destin du texte, en toute neutralité…

Isabelle Hubert et Maxime Beauregard-Martin se mesurent à Bousille et les justes de Gratien Gélinas dans deux envolées ratissant large : un texte peut-il être nuisible ? Qui aime Bousille ? Pour quelles raisons peu reluisantes rejetons-nous certains textes ? De quoi avons-nous besoin et envie, collectivement ? La question incontournable de la place des femmes et du féminisme dans notre histoire théâtrale a été confiée à Marie-Claude Garneau et à Julie-Michèle Morin, qui cherchent à déterminer si l’existence même, ou alors la forme et le fond, ou encore l’auteure de La Saga des poules mouillées (Jovette Marchessault) en font une œuvre qui mériterait d’être réactivée périodiquement sur nos scènes.

Le cas Wouf Wouf est analysé par Amélie Bergeron et Guillaume Pepin pour tenter de trancher la question suivante : avec cette œuvre fulgurante, démesurée et intrigante d’Yves Sauvageau, qui n’a jamais réellement trouvé le chemin des planches, avons-nous échappé un bijou de notre répertoire ou sommes-nous passés, avec raison, à autre chose ? Pour finir, Sarah Berthiaume construit un empire colossal pour Zone de Marcel Dubé, alors qu’Étienne Lepage annonce au fantôme de M. Dubé que sa pièce n’a pas particulièrement bien vieilli. Bien sûr, les deux auteurs ne peuvent résister à la tentation de faire exploser les contraintes de l’exercice et d’ouvrir davantage le débat : qu’est-ce que le théâtre pour adolescents, qu’est-ce que le théâtre, tout court ?

Pour la couverture de ce numéro, nous avons demandé à Sarah Berthiaume si elle avait envie de dire au revoir à la Médiathèque littéraire Gaëtan-Dostie, ce musée exposant des centaines d’œuvres littéraires, théâtrales et visuelles québécoises, abritant des dizaines de microfiches et de captations vidéo historiques, accueillant régulièrement des tournages, des débuts de révolutions et des groupes de recherche, mais dont la porte a été verrouillée et le conservateur expulsé, sans solution de rechange, par la Commission scolaire de Montréal à l’automne 2016 pour cause de moisissures (et probablement un peu à cause de la valeur indécente du terrain…). Au moment d’envoyer ce numéro sous presse, après un combat mené par Gaëtan Dostie lui-même pour sauver ce patrimoine inestimable et en préserver l’accès public, des négociations pour une relocalisation dans une église du Mile-End étaient en cours.

Un commentaire

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