Émilie Monnet, Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine sont trois artistes autochtones aux parcours exceptionnels, qui en ont long à dire sur le silence et l’invisibilité. L’acte de création conjugue pour elles transmission, mémoire et héritage. Contre quoi leurs voix s’élèvent-elles et à quoi résistent-elles?
La question de la liberté, du devoir et du droit de parole se lie tout naturellement aux enjeux d’autodétermination des Premières Nations, comme à ceux des femmes artistes d’ailleurs. Lors de la projection de son documentaire We Can’t Make the Same Mistake Twice (2016) aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal après des démarches qui se sont étalées sur près d’une décennie, la grande cinéaste Alanis Obomsawin exprimait qu’il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue, qu’un droit de parole empoigné vivement, qu’une voix enfin entendue. Rappelons que le film porte sur les services de protection à l’enfance auprès de communautés autochtones canadiennes, opérant dans une logique de continuité avec le régime des écoles résidentielles et le drame des Sixties Scoop, pendant lequel des milliers d’enfants ont été arrachés à leur famille en bas âge et, du même coup, dépossédés de leur culture.
Le temps de la parole
Cette nouvelle ère prompte aux débats effervescents dans l’espace public, serait-ce enfin un terrain propice à la diversité des voix et aux identités plurielles qui composent le mouvement de revendication autochtone? Quoi qu’il en soit, pour l’artiste interdisciplinaire Émilie Monnet, reconnaître l’humanité et les singularités de chacun est primordial. Née d’une mère anishinaabe et d’un père français, elle possède un double héritage qui lui confère une voix d’artiste complexe: «On est le résultat d’une multitude d’expériences qui nous constituent, qui font qu’on a plusieurs voix. Elles coexistent à l’intérieur de nous. Dans ma pratique artistique, je me suis toujours intéressée aux questions d’identité, d’histoire, de mémoire, de transformation. Je porte plusieurs identités en moi. J’ai un bagage métissé, à la fois européen et autochtone. Comment est-ce que ça coexiste en moi, qui vis au Québec?»
Ayant œuvré entre autres à l’Association des femmes autochtones du Québec et à l’Organisation des Nations Unies, elle remarque à propos de son bagage en justice sociale: «Mon parcours est venu teinter toute mon existence et mon désir, mon sentiment de responsabilité, d’engagement dans la société. À l’époque, quand je travaillais à Kahnawake, j’étais constamment confrontée aux injustices, aux rapports de pouvoir. La colonisation, ça n’appartient pas au passé. Ça se passe maintenant. Les structures de pouvoir sont encore colonialistes, et il n’y a aucun mouvement vers le changement. L’art me semblait être un outil. Mon arme, c’est la relation avec le public, la possibilité de le rejoindre sur le plan émotionnel, de cœur à cœur. L’art a aussi cette capacité de transformer une colère ou un sentiment, à travers l’abstraction, l’expression, les rencontres et les collaborations.»
Élaborée de concert avec la chorégraphe Lara Kramer, sa dernière création, This Time Will Be Different, traite du statu quo adopté par le gouvernement canadien au sujet de cette «industrie» de la réconciliation. De longs échanges sur des expériences collectives et personnelles, qui les affectent aussi en tant que femmes, ont été à la base du processus. «La pratique artistique de la plupart des artistes autochtones est très politisée, estime Monnet. Nous avons tous besoin de nous exprimer sur des enjeux qui nous touchent de façon quotidienne et réelle. L’art a un pouvoir à la fois de guérison, de sensibilisation et d’expression. Parce que nous avons plein de choses à négocier, à transformer et à comprendre, l’art devient un exutoire.»
Les enjeux identitaires, sociopolitiques et collectifs dont leurs œuvres traitent sans équivoque laissent voir la nécessité brûlante qu’ont ces peuples de se reconstruire. Ils sont marqués par le silence de l’histoire, l’arrachement de leur langue, de leur culture, de leurs traditions, de leur spiritualité et plus encore. Vivre avec cette perte constitue aussi ce qu’est être autochtone de nos jours. Monnet acquiesce: «Ç’a été une longue destitution de nous arracher notre voix, notre autodétermination, notre droit d’exister en tant que femmes anishinaabe, tout particulièrement depuis cinq générations.» Comment, en tant qu’artiste, rendre compte de cette destitution, faire voir ce qui n’existe plus et ce qui est invisibilisé? Comment rendre compréhensibles ces ruines sur lesquelles notre société avance? Comment faire face à cet oubli collectif qui progresse à la vitesse d’une coupe à blanc? En se réappropriant sa langue, comme un moyen de s’enraciner davantage dans son identité, Monnet croit que son travail est aussi «de se donner le droit de s’exprimer et d’exister, de défendre des choses qui sont importantes pour nous, comme l’eau, l’autodétermination et la fin de l’injustice».
Mémoire et transmission
Pour la poétesse et documentariste innue Joséphine Bacon, tout repose sur la mémoire et la tradition orale. Elle a d’ailleurs reçu en juin dernier le prix Ostana, récompense internationale soulignant la force de l’œuvre de celle qui crée dans sa langue maternelle, l’innu-aimun, et la protège. Avec une grande économie de mots, ses textes nous transportent dans les voyages de la mémoire et de l’imaginaire. Dans ses paysages, tout parle : la terre, les rivières, les arbres, les ancêtres, les rêves et la mémoire. Son œuvre est intime, mais elle naît d’une blessure coloniale, d’une certaine nostalgie et d’un constat de ruine.
Dans son recueil Bâtons à message, on peut lire: «Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture». «Comme la terre et le rêve», ajoute-t-elle. Ce moment où la poésie l’habite sans pourtant encore être écrite figure ce lieu fragile du souvenir et de l’oralité. «Souvent les poèmes, je les vis bien avant de les écrire. Je suis là dans le temps présent, mais mon temps présent ressemble au passé. D’abord un rêve, puis une image, et enfin un voyage dans la mémoire.» Par la suite, Bacon adapte pour ses lecteurs francophones ces voyages impossibles à traduire complètement.
La parole l’amène toujours à la transmission. La poétesse confie: «Je pense que mon savoir, ce que je raconte quand j’accepte de parler, ce n’est jamais ma propre parole. Je fais voix: je fais nomadiser la parole des anciens. Je sais parler parce qu’ils m’ont parlé avant.» Les voix des anciens l’habitent constamment: «Tous ces vieux, ils sont encore tellement vivants dans ma mémoire, ils n’arrêtent pas de me raconter. Je les entends.» Bien qu’elle se demande si elle vit dans une nostalgie continuelle, elle se charge de poursuivre ce périple de la voix, cette transmission et ce partage. Elle «continue leur parole» à travers son œuvre: «C’est la seule façon pour moi de continuer à exister. Ils m’ont donné ma façon de m’exprimer». Joséphine Bacon préfère militer avec sa poésie, qualifiant sa colère de tranquille. La poésie est l’endroit où elle sait parler; elle laisse le micro à d’autres.
Diversité des voix
Auteure, poète et activiste innue, Natasha Kanapé Fontaine se questionne, quant à elle, sur l’impact des mots et de la poésie sur la collectivité, sur l’équilibre entre le «je» et le «nous», entre la création et l’éducation. Toujours marquée par ses débuts, à un moment qu’elle qualifie de «grand dérangement» et de réveil social, elle se sent engagée dans l’échange entre les peuples, à expliquer qui sont les Innus de nos jours et leurs batailles pour la «liberté d’expression, l’autodétermination et le droit à l’auto-identification». Depuis cet «éveil à soi en tant qu’individu appartenant à un peuple au sein d’une société qui n’est pas la sienne, d’une population qui ne peut pas s’exprimer et exprimer son histoire», l’artiste prend la parole sous la bannière de plusieurs groupes militants. Elle s’exprime en termes géopolitiques, écrit sa poésie, slamme et partage la scène avec bien d’autres artistes. L’idée du multiple et de la collectivité la définit fondamentalement.
Elle confie: «Je n’ai jamais vraiment été individuelle. C’est le nous qui m’a fait. C’est une espèce de conscience qui ne me lâche plus.» Très lucide quant à la tribune dont elle bénéficie et à la responsabilité inhérente à un tel espace de parole, elle en prend soin et souhaite être un modèle pour les gens de sa région. Pour elle, ce sont les artistes qui favorisent la circulation du sens dans la société, un peu à l’image de la sève ou du sang. Pourtant, ce n’est pas toujours simple, notamment lors de la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, où l’envie de s’exprimer personnellement et le devoir de partager l’information le plus objectivement possible se retrouvent en conflit. «Pour former une société, chaque individu doit se mettre dans cette conscience des autres. C’est un travail d’éducation, d’empathie, de cohésion», selon Kanapé Fontaine.
Quant à Émilie Monnet, malgré qu’on la sollicite de plus en plus pour prendre la parole publiquement sur des enjeux collectifs, ce qui l’anime vraiment, c’est de trouver sa voix: «Je ne prétends pas que ma voix représente la voix d’autres personnes de la communauté. Le plus intéressant et le plus riche, c’est la diversité qui forme tout ce maillage de voix autochtones. Je suis donc consciente et prudente. C’est ma voix personnelle. C’est ma liberté à moi.»
Ces femmes de parole œuvrent pour la mémoire, en lutte contre l’oubli et en dialogue avec les voix de leurs ancêtres. Elles sont reconnaissantes envers les femmes résilientes qui les ont précédées. «C’est grâce à elles, à leur résistance que je suis là aujourd’hui et que je suis une femme autochtone qui prend sa place», assure Monnet. C’est aussi grâce à une continuité d’artistes, hommes comme femmes, dont il faut reconnaître la contribution. Ces artistes agissent dans la constante négociation de leur liberté de création et d’être. L’héritage et la responsabilité consolident les collectivités. Il s’agit d’un engagement, vis-à-vis des générations futures, à continuer de créer des espaces non discriminatoires et accessibles. Quant aux femmes de la jeune génération, Émilie Monnet les encourage à ne pas «avoir peur de célébrer qui elles sont et de célébrer leur voix, leurs opinions, leurs passions, leur liberté, d’être exubérantes, de ne pas avoir peur d’exister, d’exprimer leur plein potentiel, parce que c’est comme ça qu’elles vont inspirer les autres, les générations à venir».
Émilie Monnet, Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine sont trois artistes autochtones aux parcours exceptionnels, qui en ont long à dire sur le silence et l’invisibilité. L’acte de création conjugue pour elles transmission, mémoire et héritage. Contre quoi leurs voix s’élèvent-elles et à quoi résistent-elles?
La question de la liberté, du devoir et du droit de parole se lie tout naturellement aux enjeux d’autodétermination des Premières Nations, comme à ceux des femmes artistes d’ailleurs. Lors de la projection de son documentaire We Can’t Make the Same Mistake Twice (2016) aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal après des démarches qui se sont étalées sur près d’une décennie, la grande cinéaste Alanis Obomsawin exprimait qu’il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue, qu’un droit de parole empoigné vivement, qu’une voix enfin entendue. Rappelons que le film porte sur les services de protection à l’enfance auprès de communautés autochtones canadiennes, opérant dans une logique de continuité avec le régime des écoles résidentielles et le drame des Sixties Scoop, pendant lequel des milliers d’enfants ont été arrachés à leur famille en bas âge et, du même coup, dépossédés de leur culture.
Le temps de la parole
Cette nouvelle ère prompte aux débats effervescents dans l’espace public, serait-ce enfin un terrain propice à la diversité des voix et aux identités plurielles qui composent le mouvement de revendication autochtone? Quoi qu’il en soit, pour l’artiste interdisciplinaire Émilie Monnet, reconnaître l’humanité et les singularités de chacun est primordial. Née d’une mère anishinaabe et d’un père français, elle possède un double héritage qui lui confère une voix d’artiste complexe: «On est le résultat d’une multitude d’expériences qui nous constituent, qui font qu’on a plusieurs voix. Elles coexistent à l’intérieur de nous. Dans ma pratique artistique, je me suis toujours intéressée aux questions d’identité, d’histoire, de mémoire, de transformation. Je porte plusieurs identités en moi. J’ai un bagage métissé, à la fois européen et autochtone. Comment est-ce que ça coexiste en moi, qui vis au Québec?»
Ayant œuvré entre autres à l’Association des femmes autochtones du Québec et à l’Organisation des Nations Unies, elle remarque à propos de son bagage en justice sociale: «Mon parcours est venu teinter toute mon existence et mon désir, mon sentiment de responsabilité, d’engagement dans la société. À l’époque, quand je travaillais à Kahnawake, j’étais constamment confrontée aux injustices, aux rapports de pouvoir. La colonisation, ça n’appartient pas au passé. Ça se passe maintenant. Les structures de pouvoir sont encore colonialistes, et il n’y a aucun mouvement vers le changement. L’art me semblait être un outil. Mon arme, c’est la relation avec le public, la possibilité de le rejoindre sur le plan émotionnel, de cœur à cœur. L’art a aussi cette capacité de transformer une colère ou un sentiment, à travers l’abstraction, l’expression, les rencontres et les collaborations.»
Élaborée de concert avec la chorégraphe Lara Kramer, sa dernière création, This Time Will Be Different, traite du statu quo adopté par le gouvernement canadien au sujet de cette «industrie» de la réconciliation. De longs échanges sur des expériences collectives et personnelles, qui les affectent aussi en tant que femmes, ont été à la base du processus. «La pratique artistique de la plupart des artistes autochtones est très politisée, estime Monnet. Nous avons tous besoin de nous exprimer sur des enjeux qui nous touchent de façon quotidienne et réelle. L’art a un pouvoir à la fois de guérison, de sensibilisation et d’expression. Parce que nous avons plein de choses à négocier, à transformer et à comprendre, l’art devient un exutoire.»
Les enjeux identitaires, sociopolitiques et collectifs dont leurs œuvres traitent sans équivoque laissent voir la nécessité brûlante qu’ont ces peuples de se reconstruire. Ils sont marqués par le silence de l’histoire, l’arrachement de leur langue, de leur culture, de leurs traditions, de leur spiritualité et plus encore. Vivre avec cette perte constitue aussi ce qu’est être autochtone de nos jours. Monnet acquiesce: «Ç’a été une longue destitution de nous arracher notre voix, notre autodétermination, notre droit d’exister en tant que femmes anishinaabe, tout particulièrement depuis cinq générations.» Comment, en tant qu’artiste, rendre compte de cette destitution, faire voir ce qui n’existe plus et ce qui est invisibilisé? Comment rendre compréhensibles ces ruines sur lesquelles notre société avance? Comment faire face à cet oubli collectif qui progresse à la vitesse d’une coupe à blanc? En se réappropriant sa langue, comme un moyen de s’enraciner davantage dans son identité, Monnet croit que son travail est aussi «de se donner le droit de s’exprimer et d’exister, de défendre des choses qui sont importantes pour nous, comme l’eau, l’autodétermination et la fin de l’injustice».
Mémoire et transmission
Pour la poétesse et documentariste innue Joséphine Bacon, tout repose sur la mémoire et la tradition orale. Elle a d’ailleurs reçu en juin dernier le prix Ostana, récompense internationale soulignant la force de l’œuvre de celle qui crée dans sa langue maternelle, l’innu-aimun, et la protège. Avec une grande économie de mots, ses textes nous transportent dans les voyages de la mémoire et de l’imaginaire. Dans ses paysages, tout parle : la terre, les rivières, les arbres, les ancêtres, les rêves et la mémoire. Son œuvre est intime, mais elle naît d’une blessure coloniale, d’une certaine nostalgie et d’un constat de ruine.
Dans son recueil Bâtons à message, on peut lire: «Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture». «Comme la terre et le rêve», ajoute-t-elle. Ce moment où la poésie l’habite sans pourtant encore être écrite figure ce lieu fragile du souvenir et de l’oralité. «Souvent les poèmes, je les vis bien avant de les écrire. Je suis là dans le temps présent, mais mon temps présent ressemble au passé. D’abord un rêve, puis une image, et enfin un voyage dans la mémoire.» Par la suite, Bacon adapte pour ses lecteurs francophones ces voyages impossibles à traduire complètement.
La parole l’amène toujours à la transmission. La poétesse confie: «Je pense que mon savoir, ce que je raconte quand j’accepte de parler, ce n’est jamais ma propre parole. Je fais voix: je fais nomadiser la parole des anciens. Je sais parler parce qu’ils m’ont parlé avant.» Les voix des anciens l’habitent constamment: «Tous ces vieux, ils sont encore tellement vivants dans ma mémoire, ils n’arrêtent pas de me raconter. Je les entends.» Bien qu’elle se demande si elle vit dans une nostalgie continuelle, elle se charge de poursuivre ce périple de la voix, cette transmission et ce partage. Elle «continue leur parole» à travers son œuvre: «C’est la seule façon pour moi de continuer à exister. Ils m’ont donné ma façon de m’exprimer». Joséphine Bacon préfère militer avec sa poésie, qualifiant sa colère de tranquille. La poésie est l’endroit où elle sait parler; elle laisse le micro à d’autres.
Diversité des voix
Auteure, poète et activiste innue, Natasha Kanapé Fontaine se questionne, quant à elle, sur l’impact des mots et de la poésie sur la collectivité, sur l’équilibre entre le «je» et le «nous», entre la création et l’éducation. Toujours marquée par ses débuts, à un moment qu’elle qualifie de «grand dérangement» et de réveil social, elle se sent engagée dans l’échange entre les peuples, à expliquer qui sont les Innus de nos jours et leurs batailles pour la «liberté d’expression, l’autodétermination et le droit à l’auto-identification». Depuis cet «éveil à soi en tant qu’individu appartenant à un peuple au sein d’une société qui n’est pas la sienne, d’une population qui ne peut pas s’exprimer et exprimer son histoire», l’artiste prend la parole sous la bannière de plusieurs groupes militants. Elle s’exprime en termes géopolitiques, écrit sa poésie, slamme et partage la scène avec bien d’autres artistes. L’idée du multiple et de la collectivité la définit fondamentalement.
Elle confie: «Je n’ai jamais vraiment été individuelle. C’est le nous qui m’a fait. C’est une espèce de conscience qui ne me lâche plus.» Très lucide quant à la tribune dont elle bénéficie et à la responsabilité inhérente à un tel espace de parole, elle en prend soin et souhaite être un modèle pour les gens de sa région. Pour elle, ce sont les artistes qui favorisent la circulation du sens dans la société, un peu à l’image de la sève ou du sang. Pourtant, ce n’est pas toujours simple, notamment lors de la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, où l’envie de s’exprimer personnellement et le devoir de partager l’information le plus objectivement possible se retrouvent en conflit. «Pour former une société, chaque individu doit se mettre dans cette conscience des autres. C’est un travail d’éducation, d’empathie, de cohésion», selon Kanapé Fontaine.
Quant à Émilie Monnet, malgré qu’on la sollicite de plus en plus pour prendre la parole publiquement sur des enjeux collectifs, ce qui l’anime vraiment, c’est de trouver sa voix: «Je ne prétends pas que ma voix représente la voix d’autres personnes de la communauté. Le plus intéressant et le plus riche, c’est la diversité qui forme tout ce maillage de voix autochtones. Je suis donc consciente et prudente. C’est ma voix personnelle. C’est ma liberté à moi.»
Ces femmes de parole œuvrent pour la mémoire, en lutte contre l’oubli et en dialogue avec les voix de leurs ancêtres. Elles sont reconnaissantes envers les femmes résilientes qui les ont précédées. «C’est grâce à elles, à leur résistance que je suis là aujourd’hui et que je suis une femme autochtone qui prend sa place», assure Monnet. C’est aussi grâce à une continuité d’artistes, hommes comme femmes, dont il faut reconnaître la contribution. Ces artistes agissent dans la constante négociation de leur liberté de création et d’être. L’héritage et la responsabilité consolident les collectivités. Il s’agit d’un engagement, vis-à-vis des générations futures, à continuer de créer des espaces non discriminatoires et accessibles. Quant aux femmes de la jeune génération, Émilie Monnet les encourage à ne pas «avoir peur de célébrer qui elles sont et de célébrer leur voix, leurs opinions, leurs passions, leur liberté, d’être exubérantes, de ne pas avoir peur d’exister, d’exprimer leur plein potentiel, parce que c’est comme ça qu’elles vont inspirer les autres, les générations à venir».