Depuis 2011, les Prix de la danse de Montréal (PDM) ont pour mandat de promouvoir Montréal comme centre international de création et de diffusion en danse, ainsi que de valoriser le dynamisme des personnalités, organismes et institutions œuvrant dans ce domaine. Les PDM offrent annuellement des distinctions honorifiques, dont le Grand Prix de la danse de Montréal, accompagnées de bourses allant de 5 000$ à 25 000$. Depuis la création des PDM, plusieurs discussions animées ont eu lieu au sujet de leur impact sur le milieu. Le débat nous donnant l’impression de tourner en rond, il nous semble nécessaire de l’orienter autour d’enjeux fondamentaux, tout en évitant les arguments stériles entendus de part et d’autre.

Selon celles et ceux qui les défendent, ces prix n’enlèvent rien à personne et doivent être considérés comme un ajout positif: les critiquer relèverait de la mauvaise foi. À l’opposé, nous considérons que les PDM constituent un obstacle supplémentaire à l’évolution et à l’enrichissement de notre milieu professionnel. La consécration d’une poignée d’artistes et de leurs œuvres par un jury d’experts participe d’une dynamique hiérarchique qui nous semble dépassée. Nous estimons que la tenue annuelle de cette remise de prix contribue à maintenir et à promouvoir une logique ascensionniste présentée comme nécessaire pour la survie du milieu – voire de l’art – alors que d’autres manières de créer, de diffuser et de célébrer l’excellence sont possibles. Aussi, nous souhaitons un climat qui relèverait davantage du collectif et de l’horizontalité, laissant de côté les logiques sportives qui confinent à l’apologie du champion.

Quelques prix secondaires accompagnent le Grand Prix de la danse – prix pour l’interprétation, la diversité, la gestion culturelle, etc. –, lesquels semblent forcés d’exister pour contrebalancer un piédestal monumental. Cette manière d’élever un prix plus que les autres, de même que les écarts entre les montants associés aux différents prix, renforcent l’idée de hiérarchie entre les récipiendaires. De plus, la majorité des prix de second ordre sont offerts par des organismes du milieu qui peinent déjà à atteindre leurs objectifs financiers réguliers. Bref, nous croyons que les PDM sont mortifères, contre-productifs et énergivores: ils bouffent du temps et des ressources à nos structures déjà pressurisées, en plus de miner nos efforts d’équité.

Pour celles et ceux qui s’inquiètent de ce que la danse soit en reste par rapport aux autres disciplines, ajoutons que, depuis 2008, le milieu du théâtre a bravement survécu à la disparition de la Soirée des Masques et sa jolie brochette de prix.

Les PDM sont à la fois l’origine et la destination, l’initiative et le résultat: la mention «Prix de la danse de Montréal» est une incitation à faire circuler l’œuvre et l’artiste, prouvant l’impact des PDM et justifiant leur raison d’être. Une fois primée, l’œuvre devient un outil pour confirmer l’excellence d’une programmation et la pertinence des PDM. Retour à l’envoyeur. D’ailleurs, depuis qu’existent les PDM, la création chorégraphique est-elle mieux soutenue? Les salles de spectacles connaissent-elles une hausse de fréquentation? Sommes-nous en meilleure santé, sommes-nous plus équilibré·e·s? Le public s’intéresse-t-il davantage à la danse parce qu’elle a enfin ses vedettes? Nonobstant la qualité des personnes primées, et au-delà de leur ascension individuelle, les PDM ne nous élèvent nullement. Ils génèrent surtout une visibilité médiatique qui ne nous sert pas: celle-ci répond plutôt aux impératifs d’un marché friand d’une hiérarchie qui lubrifie son fonctionnement. Les lois du capital exigent ce type de différenciation factice entre le commun et l’élite, entre l’ordinaire et l’excellence. Les PDM s’appuient sur des candidatures vedettes et des commanditaires au sommet de la pyramide néolibérale pour jouer le jeu de la compétition.

Les PDM et leurs allié·e·s désamorcent toute critique à leur endroit en l’identifiant à la marge, à des rêveries communautaires, ou à de la jalousie de non-élu·e·s. Lorsque nous nous aventurons à remettre en cause le processus distinctif mis en place par les PDM, nous sommes encouragé·e·s à venir changer le système «par en dedans» en devenant membre du jury. Mais c’est là précisément le plus redoutable aspect de ces prix: lorsqu’il n’y a plus de dehors possible, lorsque ce «dedans» devient totalisant. Nous rallier aux PDM pour les réfléchir de l’intérieur serait notre seule avenue. S’il est possible de remettre en question comment, quand et à qui ces prix sont octroyés, leur existence semble d’ores et déjà intouchable. Par le simple fait d’exister, le Grand Prix de la danse semble avoir une autorité inébranlable, une intériorité irréductible. On croirait qu’il a une âme, criant de toutes ses majuscules! Il nous apparaît primordial de refuser l’injonction à célébrer la danse de cette manière et d’ouvrir l’accolade: ensemble, il est possible d’imaginer d’autres stratégies d’émulation et de reconnaissance.

Nous prenons donc le parti de rester «en dehors» de la célébration des PDM. Et c’est avec allégresse que nous affirmons qu’il est utile de remettre en question l’existence de ces prix. Nous croyons qu’ils constituent un obstacle tangible au sain développement de notre collectivité. Notre position est passionnément divergente et ne peut être réduite à de la dissidence jalouse ni à un simple refus de célébrer: c’est autrement que nous souhaitons célébrer autre chose.