Christian Lapointe, metteur en scène et professeur de théâtre à l’UQAM, a conçu et porté, durant plus d’un an, un projet qu’on ne peut que décrire comme très ambitieux : celui de permettre la rédaction, par et pour le peuple québécois, de ce qui serait, si on l’adoptait, la constitution du Québec.
En juin 2019, les résultats de l’expérience Constituons !, qui soulève de nombreuses et passionnantes questions, sont présentés au Festival TransAmériques. Avant d’aborder celles-ci, rappelons les grandes étapes qui ont conduit à cette présentation fort attendue.
Comment faire rédiger une constitution
Le projet avait été annoncé en conférence de presse à la Bibliothèque nationale du Québec à la mi-mai 2018. Il supposait bien entendu, avant toute chose, de concevoir une manière de consulter la population et de réunir le financement nécessaire pour ce faire. La solution a été de procéder par échantillon, et, donc, à une fraction du prix qu’il en coûterait au gouvernement, qui devrait, lui, tout faire pour consulter le plus largement possible la population dans son ensemble. Les coûts engagés ont notamment été payés par les Fonds de recherche du Québec et par les différentes instances concernées.
Toutefois, puisque cette consultation émane de la société civile, les chercheurs et chercheuses ne pouvaient, comme l’aurait pu le gouvernement, avoir accès à la liste électorale. Cette difficulté a été contournée en confiant à la firme de sondage Léger 360 la tâche de constituer un échantillon représentatif. Par deux tirages au sort, réalisés à partir de ses propres banques de données réunissant des personnes disposées à participer à des études, cette firme a constitué un échantillon représentatif (en matière de langue, de sexe, de classe sociale, de scolarité et ainsi de suite) de la société québécoise.
L’Institut du Nouveau Monde (INM) a ensuite proposé que, pour les besoins de cette expérience, l’on retienne 42 personnes. Celles-ci ont été rémunérées, transportées, et touchaient une allocation journalière. Elles se sont réunies pour la première fois en août, lors d’une assemblée d’inauguration durant laquelle elles ont reçu, par divers conférenciers et conférencières et sous la coprésidence de Daniel Turp et de la bâtonnière du Québec, Claudia P. Prémont, une indispensable formation les préparant au travail à accomplir. Lors d’une deuxième rencontre au Centre des sciences de l’UQAM, ces personnes se sont regroupées pour former six commissions et formuler des questions à poser à la société québécoise.
Ces commissions sont les suivantes : 1. Préambule, valeurs et principes, symboles nationaux ; 2. Droits et devoirs fondamentaux ; 3. Institutions et pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ; 4. Organisation territoriale et attribution des compétences régionales et municipales ; 5. Partenariats autochtones, affaires canadiennes et relations internationales ; 6. Procédures de révision et participation citoyenne.
À compter du mois de novembre, et à partir de ces questions, l’INM amorçait, notamment dans une dizaine de théâtres sur l’ensemble du territoire, une série de forums citoyens, comme autant de consultations publiques destinées à enrichir sa réflexion. Le public était alors invité à répondre aux questions qui lui étaient posées. Un questionnaire auquel il était possible de répondre en ligne et une invitation à présenter des mémoires élargissaient encore les moyens par lesquels le public intéressé à la démarche pouvait y prendre part. Toutes ces idées, réactions, suggestions ont ensuite été colligées par l’INM et été utilisées par les commissions pour rédiger les articles qui composeraient la constitution du Québec.
C’est elle qui est dévoilée dans le cadre du FTA. Cette ambitieuse démarche invite à méditer sur les possibilités, pour le théâtre, de contribuer à la vie politique. Avant de rappeler en quels termes le professeur Lapointe situe sur ce plan l’expérience qu’il a menée, et pour mieux en apprécier l’originalité et la portée, tentons un sommaire survol de quelques positions classiques sur cette délicate question des possibles rapports entre théâtre et politique.
Un rôle citoyen pour le théâtre ?
La question du possible rôle politique de l’art en général et du théâtre en particulier s’est posée dès que ces disciplines et ces pratiques sont apparues. Platon, on s’en souviendra, est persuadé qu’elles éloignent de la vérité et sont de trompeuses imitations et de séduisants mensonges : il chasse pour cette raison les poètes de la cité idéale qu’il imagine. Son célèbre élève, Aristote, rappelle pour sa part les mérites de l’imitation (d’ailleurs, n’apprenons-nous pas souvent par ce moyen ?) et se porte vigoureusement à la défense de la valeur cognitive du théâtre et de la poésie. Il suggère qu’ils peuvent donner une vision juste du monde, des êtres, parce qu’ils décrivent l’universel, sans s’embarrasser des contingences du particulier avéré, avec ses imperfections, et parce qu’ils visent ce qui est possible et ce qui est vraisemblable.
Aristote écrit, parlant ici du poète :
« Il est évident, d’après ce qui précède, que l’affaire du poète, ce n’est pas de parler de ce qui est arrivé, mais bien de ce qui aurait pu arriver et des choses possibles, selon la vraisemblance ou la nécessité. En effet, la différence entre l’historien et le poète ne consiste pas en ce que l’un écrit en vers, et l’autre en prose. Quand l’ouvrage d’Hérodote serait écrit en vers, ce n’en serait pas moins une histoire, indépendamment de la question de vers ou de prose. Cette différence consiste en ce que l’un parle de ce qui est arrivé, et l’autre de ce qui aurait pu arriver. Aussi la poésie est quelque chose de plus philosophique et de plus élevé que l’histoire ; car la poésie parle plutôt de généralités, et l’histoire de détails particuliers.1 »
L’effet particulier que produit la tragédie est longuement analysé par Aristote sous le concept de catharsis, et il n’est pas interdit de penser que cette manière de purgation par le théâtre de pulsions malsaines peut avoir sur les citoyen·nes un bénéfique rôle politique dans la Cité.
Entre cette condamnation par Platon et cette défense par Aristote, de nombreuses positions ont été défendues sur les possibles rôles et fonctions politiques du théâtre. Brecht suggère par exemple divers moyens par lesquels une distanciation interrompt le processus d’identification aux personnages et aux péripéties, distanciation propice à la réflexion critique que le théâtre doit permettre, notamment sur des enjeux sociaux et politiques. Les adeptes du théâtre d’agitprop, qui a connu ses plus grandes heures entre les deux guerres en Europe, ont proposé de rédiger très vite et de jouer aussitôt des pièces en réaction à des événements sociaux ou politiques (grève, contestations, par exemple) qui sont alors des moyens d’intervenir dans ce qui fait débat, en prenant position et en incitant à l’action. Le trop méconnu théâtre de Jacques Prévert peut être donné comme un modèle du genre.
Sans poursuivre cette énumération qui s’allongerait aussi facilement qu’inutilement, disons simplement que, chez nous, Christine Beaulieu, avec J’aime Hydro, ou Dominic Champagne, avec son Aujourd’hui, je passe à l’Histoire !, en prélude au Pacte de transition qu’il a lancé, ont récemment montré comment le théâtre pouvait, de manière significative, prendre une part active dans la conversation démocratique. Comment Christian Lapointe situe-t-il son projet sur ce plan ?
Un théâtre citoyen
Quand je l’interroge à ce sujet, Lapointe cite d’abord comme inspiration le geste de Denys Tremblay qui, dans le cadre d’un postdoctorat en art contemporain, s’était, en 1997 et avec la nécessaire complicité des institutions et des autorités qui acceptèrent de jouer le jeu, fait couronner Roi de la municipalité de L’Anse-Saint-Jean. Il suggère d’y voir une manière de pièce de théâtre performative, qui a finalement eu valeur légale et dans laquelle Tremblay, devenu acteur, joua le rôle principal. Une autre inspiration revendiquée est ce projet d’assemblée constituante ouverte, immédiatement rédigée par le peuple et que portait Québec Solidaire avant d’y renoncer pour la constituante fermée, rédigée, elle, une fois le pays formé.
Sa démarche, explique encore Lapointe, « s’inscrit dans la perspective académique d’un projet de recherche universitaire qui veut, par le théâtre, reproduire, simuler au plus près la rédaction d’une constituante ouverte. C’est en quelque sorte un exercice dans lequel on met à l’épreuve le théâtre comme agora populaire. » Dans cette recherche, le théâtre légitime permet et rend possible une démarche politique de démocratie directe. Pour le chercheur, le Québec, qui n’a pas signé la Constitution canadienne de 1982, est un cas singulier en Occident, un lieu où les citoyen·nes pourraient écrire les règles de leur vivre-ensemble. L’exercice de démocratie directe qui leur est proposé ici par le théâtre fournit un exemple de ce qui pourrait alors arriver.
Cependant, au cas où on l’aurait oublié ces dernières années, et de récentes controverses comme les affaires SLĀV et Kanata en témoignent : ce n’est pas sans risques que le théâtre prend la parole sur le terrain politique. Le chercheur est conscient que des polémiques pourraient surgir et reconnaît même que sa démarche, sur le plan politique, ne fait pas l’unanimité. « Les membres du regroupement OUI Québec s’en désolent, explique-t-il, notamment parce qu’ils craignent qu’elle créera de la confusion dans la population. » Mais il considère aussi qu’en tant qu’artiste, il lance un processus qui, une fois enclenché, ne lui appartient pas plus que les contenus précis qui en sortiront. En fait, et à proportion que ce qui est produit dans cette simulation ressemble au plus près possible au réel, on doit, dit-il, convenir que ce qu’il exprime est ce que souhaiterait la société civile — et que dès lors s’estompe la distinction entre cette représentation et le réel.
Comment situe-t-il finalement sa démarche dans le contexte plus large de cette manière de redéfinition des rôles respectifs des acteurs et actrices du théâtre, ces mots étant entendus au sens le plus large du terme, incluant désormais ceux et celles qu’on nomme parfois ses spectacteurs et spectactrices ? Peut-on y voir une nouvelle manière de favoriser et d’encourager cette participation active du public à la création théâtrale et à son écriture ? « Toute la matière provient des citoyen·nes, explique-t-il, et nous aurons à réunir, à archiver et à utiliser tout cela : la matière fournie par ces 42 personnes choisies au hasard, bien entendu, mais aussi par celles qui viennent dans les théâtres répondre dans les assemblées constituantes aux questions qui leur sont posées, et encore tout ce qui est écrit sur notre page Facebook en réaction à ce que l’on y publie ou sur notre compte YouTube. Le spectateur ou la spectatrice est donc aussi, ici, celui ou celle qui ne sera pas dans la salle. »
Notes :
- Poétique, IX, 1-3.
Christian Lapointe, metteur en scène et professeur de théâtre à l’UQAM, a conçu et porté, durant plus d’un an, un projet qu’on ne peut que décrire comme très ambitieux : celui de permettre la rédaction, par et pour le peuple québécois, de ce qui serait, si on l’adoptait, la constitution du Québec.
En juin 2019, les résultats de l’expérience Constituons !, qui soulève de nombreuses et passionnantes questions, sont présentés au Festival TransAmériques. Avant d’aborder celles-ci, rappelons les grandes étapes qui ont conduit à cette présentation fort attendue.
Comment faire rédiger une constitution
Le projet avait été annoncé en conférence de presse à la Bibliothèque nationale du Québec à la mi-mai 2018. Il supposait bien entendu, avant toute chose, de concevoir une manière de consulter la population et de réunir le financement nécessaire pour ce faire. La solution a été de procéder par échantillon, et, donc, à une fraction du prix qu’il en coûterait au gouvernement, qui devrait, lui, tout faire pour consulter le plus largement possible la population dans son ensemble. Les coûts engagés ont notamment été payés par les Fonds de recherche du Québec et par les différentes instances concernées.
Toutefois, puisque cette consultation émane de la société civile, les chercheurs et chercheuses ne pouvaient, comme l’aurait pu le gouvernement, avoir accès à la liste électorale. Cette difficulté a été contournée en confiant à la firme de sondage Léger 360 la tâche de constituer un échantillon représentatif. Par deux tirages au sort, réalisés à partir de ses propres banques de données réunissant des personnes disposées à participer à des études, cette firme a constitué un échantillon représentatif (en matière de langue, de sexe, de classe sociale, de scolarité et ainsi de suite) de la société québécoise.
L’Institut du Nouveau Monde (INM) a ensuite proposé que, pour les besoins de cette expérience, l’on retienne 42 personnes. Celles-ci ont été rémunérées, transportées, et touchaient une allocation journalière. Elles se sont réunies pour la première fois en août, lors d’une assemblée d’inauguration durant laquelle elles ont reçu, par divers conférenciers et conférencières et sous la coprésidence de Daniel Turp et de la bâtonnière du Québec, Claudia P. Prémont, une indispensable formation les préparant au travail à accomplir. Lors d’une deuxième rencontre au Centre des sciences de l’UQAM, ces personnes se sont regroupées pour former six commissions et formuler des questions à poser à la société québécoise.
Ces commissions sont les suivantes : 1. Préambule, valeurs et principes, symboles nationaux ; 2. Droits et devoirs fondamentaux ; 3. Institutions et pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ; 4. Organisation territoriale et attribution des compétences régionales et municipales ; 5. Partenariats autochtones, affaires canadiennes et relations internationales ; 6. Procédures de révision et participation citoyenne.
À compter du mois de novembre, et à partir de ces questions, l’INM amorçait, notamment dans une dizaine de théâtres sur l’ensemble du territoire, une série de forums citoyens, comme autant de consultations publiques destinées à enrichir sa réflexion. Le public était alors invité à répondre aux questions qui lui étaient posées. Un questionnaire auquel il était possible de répondre en ligne et une invitation à présenter des mémoires élargissaient encore les moyens par lesquels le public intéressé à la démarche pouvait y prendre part. Toutes ces idées, réactions, suggestions ont ensuite été colligées par l’INM et été utilisées par les commissions pour rédiger les articles qui composeraient la constitution du Québec.
C’est elle qui est dévoilée dans le cadre du FTA. Cette ambitieuse démarche invite à méditer sur les possibilités, pour le théâtre, de contribuer à la vie politique. Avant de rappeler en quels termes le professeur Lapointe situe sur ce plan l’expérience qu’il a menée, et pour mieux en apprécier l’originalité et la portée, tentons un sommaire survol de quelques positions classiques sur cette délicate question des possibles rapports entre théâtre et politique.
Un rôle citoyen pour le théâtre ?
La question du possible rôle politique de l’art en général et du théâtre en particulier s’est posée dès que ces disciplines et ces pratiques sont apparues. Platon, on s’en souviendra, est persuadé qu’elles éloignent de la vérité et sont de trompeuses imitations et de séduisants mensonges : il chasse pour cette raison les poètes de la cité idéale qu’il imagine. Son célèbre élève, Aristote, rappelle pour sa part les mérites de l’imitation (d’ailleurs, n’apprenons-nous pas souvent par ce moyen ?) et se porte vigoureusement à la défense de la valeur cognitive du théâtre et de la poésie. Il suggère qu’ils peuvent donner une vision juste du monde, des êtres, parce qu’ils décrivent l’universel, sans s’embarrasser des contingences du particulier avéré, avec ses imperfections, et parce qu’ils visent ce qui est possible et ce qui est vraisemblable.
Aristote écrit, parlant ici du poète :
« Il est évident, d’après ce qui précède, que l’affaire du poète, ce n’est pas de parler de ce qui est arrivé, mais bien de ce qui aurait pu arriver et des choses possibles, selon la vraisemblance ou la nécessité. En effet, la différence entre l’historien et le poète ne consiste pas en ce que l’un écrit en vers, et l’autre en prose. Quand l’ouvrage d’Hérodote serait écrit en vers, ce n’en serait pas moins une histoire, indépendamment de la question de vers ou de prose. Cette différence consiste en ce que l’un parle de ce qui est arrivé, et l’autre de ce qui aurait pu arriver. Aussi la poésie est quelque chose de plus philosophique et de plus élevé que l’histoire ; car la poésie parle plutôt de généralités, et l’histoire de détails particuliers.1 »
L’effet particulier que produit la tragédie est longuement analysé par Aristote sous le concept de catharsis, et il n’est pas interdit de penser que cette manière de purgation par le théâtre de pulsions malsaines peut avoir sur les citoyen·nes un bénéfique rôle politique dans la Cité.
Entre cette condamnation par Platon et cette défense par Aristote, de nombreuses positions ont été défendues sur les possibles rôles et fonctions politiques du théâtre. Brecht suggère par exemple divers moyens par lesquels une distanciation interrompt le processus d’identification aux personnages et aux péripéties, distanciation propice à la réflexion critique que le théâtre doit permettre, notamment sur des enjeux sociaux et politiques. Les adeptes du théâtre d’agitprop, qui a connu ses plus grandes heures entre les deux guerres en Europe, ont proposé de rédiger très vite et de jouer aussitôt des pièces en réaction à des événements sociaux ou politiques (grève, contestations, par exemple) qui sont alors des moyens d’intervenir dans ce qui fait débat, en prenant position et en incitant à l’action. Le trop méconnu théâtre de Jacques Prévert peut être donné comme un modèle du genre.
Sans poursuivre cette énumération qui s’allongerait aussi facilement qu’inutilement, disons simplement que, chez nous, Christine Beaulieu, avec J’aime Hydro, ou Dominic Champagne, avec son Aujourd’hui, je passe à l’Histoire !, en prélude au Pacte de transition qu’il a lancé, ont récemment montré comment le théâtre pouvait, de manière significative, prendre une part active dans la conversation démocratique. Comment Christian Lapointe situe-t-il son projet sur ce plan ?
Un théâtre citoyen
Quand je l’interroge à ce sujet, Lapointe cite d’abord comme inspiration le geste de Denys Tremblay qui, dans le cadre d’un postdoctorat en art contemporain, s’était, en 1997 et avec la nécessaire complicité des institutions et des autorités qui acceptèrent de jouer le jeu, fait couronner Roi de la municipalité de L’Anse-Saint-Jean. Il suggère d’y voir une manière de pièce de théâtre performative, qui a finalement eu valeur légale et dans laquelle Tremblay, devenu acteur, joua le rôle principal. Une autre inspiration revendiquée est ce projet d’assemblée constituante ouverte, immédiatement rédigée par le peuple et que portait Québec Solidaire avant d’y renoncer pour la constituante fermée, rédigée, elle, une fois le pays formé.
Sa démarche, explique encore Lapointe, « s’inscrit dans la perspective académique d’un projet de recherche universitaire qui veut, par le théâtre, reproduire, simuler au plus près la rédaction d’une constituante ouverte. C’est en quelque sorte un exercice dans lequel on met à l’épreuve le théâtre comme agora populaire. » Dans cette recherche, le théâtre légitime permet et rend possible une démarche politique de démocratie directe. Pour le chercheur, le Québec, qui n’a pas signé la Constitution canadienne de 1982, est un cas singulier en Occident, un lieu où les citoyen·nes pourraient écrire les règles de leur vivre-ensemble. L’exercice de démocratie directe qui leur est proposé ici par le théâtre fournit un exemple de ce qui pourrait alors arriver.
Cependant, au cas où on l’aurait oublié ces dernières années, et de récentes controverses comme les affaires SLĀV et Kanata en témoignent : ce n’est pas sans risques que le théâtre prend la parole sur le terrain politique. Le chercheur est conscient que des polémiques pourraient surgir et reconnaît même que sa démarche, sur le plan politique, ne fait pas l’unanimité. « Les membres du regroupement OUI Québec s’en désolent, explique-t-il, notamment parce qu’ils craignent qu’elle créera de la confusion dans la population. » Mais il considère aussi qu’en tant qu’artiste, il lance un processus qui, une fois enclenché, ne lui appartient pas plus que les contenus précis qui en sortiront. En fait, et à proportion que ce qui est produit dans cette simulation ressemble au plus près possible au réel, on doit, dit-il, convenir que ce qu’il exprime est ce que souhaiterait la société civile — et que dès lors s’estompe la distinction entre cette représentation et le réel.
Comment situe-t-il finalement sa démarche dans le contexte plus large de cette manière de redéfinition des rôles respectifs des acteurs et actrices du théâtre, ces mots étant entendus au sens le plus large du terme, incluant désormais ceux et celles qu’on nomme parfois ses spectacteurs et spectactrices ? Peut-on y voir une nouvelle manière de favoriser et d’encourager cette participation active du public à la création théâtrale et à son écriture ? « Toute la matière provient des citoyen·nes, explique-t-il, et nous aurons à réunir, à archiver et à utiliser tout cela : la matière fournie par ces 42 personnes choisies au hasard, bien entendu, mais aussi par celles qui viennent dans les théâtres répondre dans les assemblées constituantes aux questions qui leur sont posées, et encore tout ce qui est écrit sur notre page Facebook en réaction à ce que l’on y publie ou sur notre compte YouTube. Le spectateur ou la spectatrice est donc aussi, ici, celui ou celle qui ne sera pas dans la salle. »
Notes :