JEU 172 Dossier Rire© Hugo B. Lefort

Los niňos son la esperanza del mundo. « Les enfants sont l’espoir du monde. » Me revient en mémoire cette phrase de José Martί – poète et révolutionnaire dont le buste trône devant toutes les écoles de Cuba. Je l’avais lue sur une banderole portée par des tout-petits, l’un de ces 28 janvier où écolières et écoliers cubains défilent dans les rues, dans une joyeuse ambiance, pour célébrer l’anniversaire du Père de la Patrie. La simple et grande vérité de cette phrase, dans leurs mains, m’avait ému. Voilà une idée avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Pourtant, on ne donne pas toujours à l’enfance et à la jeunesse l’attention que l’avenir du monde mériterait. Je ne parle pas ici de la sauvegarde de la planète, qui les préoccupe à juste titre. Je pense à l’éducation, à celle qui les met en contact avec l’art, à la fréquentation des activités culturelles, au développement de l’esprit critique devant les manifestations de l’imaginaire, de la fantaisie, de la créativité humaine. Le Québec se révèle depuis longtemps un vivier de création tous azimuts ; pourtant, à la lumière des politiques hésitantes des gouvernements successifs de la province concernant les sorties scolaires à des fins culturelles, on peut rester perplexe.

Il y a quelques décennies, de nombreuses compagnies théâtrales s’amenaient dans les écoles pour y jouer leurs spectacles, dans des conditions souvent précaires, pratique abandonnée au fil des ans pour privilégier le déplacement des groupes d’élèves vers les lieux de diffusion dûment aménagés à cet effet. Cependant, la chose n’est jamais simple et repose sur la détermination de trop rares enseignant·es passionné·es. Bon an, mal an, les compagnies productrices se consacrant à la jeunesse, comme certains théâtres institutionnels voulant attirer cette clientèle, doivent se résigner à subir les soubresauts d’un système fragile. Plusieurs avaient beaucoup souffert, en 2015-2016, d’un appel au boycott des sorties culturelles par des syndicats d’enseignant·es dénonçant la charge supplémentaire que cela représentait pour leurs membres. À peine le temps d’une reprise et la saison 2018-2019 connaissait une nouvelle crise quand, à la suite de contestations, le ministre de l’Éducation décréta que les écoles ne pourraient plus réclamer de contribution financière aux parents pour ces sorties. Résultat : des dizaines d’annulations dans les théâtres, équivalant à une baisse d’environ 20 % de leurs revenus à l’automne 2018.

En réponse à l’incertitude exprimée par les milieux concernés, le gouvernement Legault, en mars dernier, injectait 135 M $ – 15 M $ pour 2019-2020, puis 30 M $ pour chacune des quatre années suivantes –, garantissant deux sorties culturelles annuelles gratuites pour tous les élèves du primaire et du secondaire. Très bien. Cet argent est en partie affecté, cela dit, aux bibliothèques scolaires… et inclut, outre le théâtre, la danse et le cirque, les arts visuels, le cinéma, la musique, les camps littéraires, les activités culturelles à caractère scientifique… Deux occasions annuelles de se frotter à une œuvre artistique, n’est-ce pas un strict minimum ? À notre époque où les écrans tiennent souvent lieu de panacée éducative, on doit s’interroger sur la valeur d’un investissement dans la rencontre réelle entre un·e jeune et une manifestation artistique. L’argent ne règle pas tout, et la vision derrière les décisions budgétaires devrait tenir compte de l’avenir qu’une jeunesse sensibilisée à l’art pourra dessiner à son tour.

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Comme une bouffée d’air frais en cette rentrée d’automne, Jeu vous offre un dossier « Rire » mettant en valeur la créativité et l’inventivité de l’humour sur nos scènes. Parce que le rire est salvateur, qu’il n’est pas facile à faire naître, place à plusieurs artistes qui brillent par leur drôlerie ! De Marie-Hélène Thibault et Didier Lucien, superbes modèles de notre couverture, à Catherine Léger, Fabien Cloutier, Stéphane Crête, le Projet Bocal, Christian Vanasse ou Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, du clown à l’humoriste, que lumière soit faite sur le sérieux du comique !

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À propos de

Journaliste dans le domaine culturel depuis 40 ans, Raymond Bertin a collaboré à divers médias à titre de critique de livres et de théâtre (Voir, Lurelu, Collections) et a été rédacteur pour plusieurs institutions du milieu. Membre de l’équipe de rédaction de JEU depuis 2005, il en assume la rédaction en chef depuis 2017 et a porté, au fil des ans, son intérêt sur toutes les formes de théâtre d’ici et d’ailleurs. Il œuvre également comme enseignant à la formation continue dans un collège montréalais.