Articles de la revue JEU 178 : Représentations de la violence

D’entrée de Jeu : Pour une reprise égalitaire et inclusive

Bientôt l’été ! Le Festival TransAmériques, à Montréal, et le Carrefour international de théâtre, à Québec, battent leur plein, en salle, en extérieur, en ligne. Des créatrices et des créateurs d’ici nous font rêver d’un retour à une vie culturelle dont nous avons un besoin essentiel, viscéral. Plus d’un an de rupture de la relation unissant publics et artistes, où ceux et celles-ci ont poursuivi leur engagement dans des conditions difficiles, remettant en question les façons de faire d’avant, imaginant ce que sera l’art dans le monde d’après. Des réunions par écrans interposés, webinaires, formations en ligne, rencontres accueillant des centaines de personnes en visioconférence, ont suscité de grandes réflexions par diverses instances, afin d’envisager une reprise équitable et durable.

En avril, le Groupe de travail sur la fréquentation des arts de la scène, formé de douze organismes (dont le Conseil québécois du théâtre, le Regroupement québécois de la danse et En piste – regroupement national des arts du cirque), dévoilait son Étude des publics des arts de la scène au Québec, un rapport de près de 500 pages. Des milliers de personnes ont participé par sondage à cette somme couvrant toutes les disciplines, les formes de diffusion et les facteurs influençant la fréquentation et la non-fréquentation : variables sociodémographiques, éducationnelles, familiales, linguistiques, ethnoculturelles, économiques, territoriales, entre autres, y révèlent un portrait exhaustif de l’avant-pandémie. On y apprend que l’âge médian des publics de théâtre est de 57 ans, alors qu’en danse c’est 40; que les femmes forment 57 % de l’assistance du théâtre et 56 % de la danse; qu’un tiers seulement des Québécois·es assiste régulièrement à des représentations, le « non-public » représentant 35 % de la population et les publics occasionnels (1 ou 2 fois par an) en composant 28 %; enfin, que les jeunes (18-30 ans) sont les plus assidu·es. Par ailleurs, le niveau de fréquentation est comparable dans les grands centres et les régions, l’accès aux œuvres dès l’enfance a des retombées positives à l’âge adulte, les populations immigrantes de 1re et 2e générations vont davantage aux spectacles que les natifs et natives du Canada… Des données à analyser, une réalité complexe à déchiffrer, pour mieux penser les actions de la relance. Comme l’affirmait Pierre-Olivier Saire, directeur de l’étude, lors du lancement : « Si la COVID-19 modifie les modes de vie (télétravail, webdiffusion…), on peut s’attendre à ce qu’il y ait des impacts, positifs ou négatifs, sur la fréquentation des spectacles. »

Une grande réflexion stratégique, doublée d’une étude de marché et de lectorat, a permis aussi à l’équipe de Jeu de discuter, de remettre en question et de mieux définir ses objectifs et ses façons de faire pour les années à venir. Le numéro que nous vous livrons aujourd’hui résulte en partie des échanges des derniers mois. Aventure stimulante, la rédaction a invité la créatrice Mélanie Demers (en couverture) à codiriger avec le collègue Philippe Mangerel ce dossier « Représentations de la violence ». Un sujet délicat pour plusieurs, en cette période où bien des gens se trouvent fragilisés, ayant occasionné un investissement émotionnel important. Jeu 178 met en valeur plusieurs artistes dont les textes et les œuvres scéniques, notamment en danse et en performance, nous interpellent fortement : outre Mélanie Demers, Rhodnie Désir, Lara Kramer, Dana Michel, Olivier Choinière, Angélique Willkie, mais aussi des figures actuelles du waacking et du voguing, ces danses de rues qui évoluent en marge des institutions. Plusieurs font entendre des histoires tues, occultées ou déformées, cette fois narrées avec force.

Ce numéro marque le désir renouvelé d’amener dans nos pages une variété de voix et de démarches artistiques singulières, comme celles de Soleil Launière, de Kama La Mackerel et du Théâtre Teesri Duniya, dont le directeur, Rahul Varma, signe la Carte blanche. Un entretien avec le directeur d’un festival italien inclusif, Roberto Casarotto, une présentation de la chorégraphe Gisèle Vienne, ainsi que des articles mesurant certains effets de la pandémie ou recensant des ouvrages récents, complètent le menu.