Consacrer un dossier à Brigitte Haentjens allait de soi. C’était une évidence. Artiste d’exception, intellectuelle émérite, citoyenne engagée, elle marque son ère comme peu de gens arrivent à le faire. Oserons-nous dire qu’elle mérite notre admiration ? Ce mot peut être épineux, car il laisse supposer une perspective en contre-plongée. Pourtant, admirer n’équivaut pas à abdiquer son sens critique – une qualité prisée par la principale intéressée. On pourrait même soutenir que cela implique, au contraire, des attentes élevées. Comme celles qu’elle a probablement envers ses collaboratrices et collaborateurs de longue date, et comme on peut deviner qu’ils entretiennent envers elle. Comme nous en avons peut-être tous et toutes envers celle qui nous a offert des spectacles aussi signifiants et prégnants que La Cloche de verre, La Nuit juste avant les forêts, Hamlet-machine, Blasté, Une femme à Berlin et tant d’autres. L’admiration, pendant du je-ne-sais-quoi que possèdent certains êtres rares, d’une condition limitrophe entre le talent et le génie, redéfinit les standards.
L’admiration comporte aussi, intrinsèquement, une part d’identification et de gratitude. Dans ce cas-ci, l’une est indissociable de l’autre, notamment pour les femmes. En entrevue, nous avons demandé à l’artiste : « Êtes-vous consciente de l’importance sociale de ce que vous faites ? » Ce à quoi elle a répondu, mi-surprise, mi-curieuse : « Ah bon ? Vous trouvez ? » Comment réagir autrement qu’en l’assurant de l’affirmative ? Cette contribution se manifeste non seulement par les sujets qu’elle aborde, les voix qu’elle fait irradier, la profondeur, l’unicité et l’éloquence de son œuvre, mais aussi par le fait qu’elle soit, comme elle le dit elle-même, de la première génération de femmes metteures en scène. Quelle part des Solène Paré, Marie-Claude St-Laurent, Alexia Bürger, Catherine Bourgeois, Marie-Ève Milot, Catherine Vidal, Alix Dufresne, Elkahna Talbi, Sophie Cadieux et de tant d’autres leaderesses de la scène théâtrale actuelle doit-on à Brigitte Haentjens ? Toutes ces femmes qui la suivent nous nourriraient-elles de leur art, du même art, si ce n’était du modèle qu’elle représente ? Si ce dossier, que j’ai le privilège – et je mesure pleinement ce mot – de codiriger avec mon collègue Philippe Mangerel, contribue un tant soit peu à cristalliser l’apport précieux de cette créatrice singulière, déterminée, fervente et irréductiblement sagace au théâtre ainsi qu’aux femmes de théâtre, j’estimerai que nous nous serons acquitté·es d’un devoir (des plus agréables, par ailleurs) qui nous incombait.
Il fut fort enrichissant de nous entretenir avec la maestra lors d’une entrevue – qu’elle a accordée avec toute la générosité, la franchise et la rigueur qui la caractérisent – où elle parle de ce qui l’anime si viscéralement, soit le théâtre et la création. La poète et professeure Louise Dupré pose elle aussi son regard sur la façon dont Brigitte Haentjens aborde son métier, en relatant le processus qui a mené à la naissance du percutant Tout comme elle, présenté à l’Usine C en 2006 et dont l’autrice a signé le texte.
Étant donné l’influence indéniable que la metteure en scène – terme qu’elle préfère nettement à metteuse en scène – a sur les artistes qui la côtoient de près ou de loin, il nous semblait tomber sous le sens de demander à certain·es d’entre eux de témoigner de l’influence qu’elle a eu sur leurs parcours. Alice Pascual, Christian Lapointe, Olivier Kemeid et Catherine Vidal se sont prêté·es à l’exercice.
Nous avons aussi souhaité cibler certains aspects particuliers de l’œuvre d’Haentjens. Ainsi, Mario Cloutier s’est penché sur son travail littéraire en incluant le théâtre, la poésie, les récits et le roman qui constituent, jusqu’à présent, sa bibliographie. De son côté, Sébastien Ricard, grand complice de la dame, témoigne (magnifiquement) de la démarche à la fois artistique, sociale et politique qui les unit. Flavie Boivin-Côté s’est intéressée au legs que représente l’approche créative de l’âme de Sibyllines pour les corps professoral et étudiant. Elle s’est entretenue, pour cet article, avec un autre collaborateur de la première heure de Brigitte Haentjens, Jean Marc Dalpé. Enzo Giacomazzi, quant à lui, propose une analyse théorique des éléments constitutifs du titre du livre qu’elle a rédigé, Un regard qui te fracasse. Propos sur le théâtre et la mise en scène, soit le regard, le fracas et le « tu ».
Notre dossier se clôt sur une conversation captivante, sous forme de correspondance, entre celle qui jusqu’à tout récemment dirigeait le Théâtre français du Centre national des Arts et celui qui lui a succédé, Mani Soleymanlou. Il y est question, notamment, des responsabilités qu’ont ceux et celles qui occupent des postes de pouvoir envers les artistes. Comment mieux conclure ce dossier si cher à nos yeux qu’en laissant la parole à celle à qui il est consacré. On aurait pu prendre encore bien des pages des perles de sagesse et de fougue de Brigitte Haentjens.
Consacrer un dossier à Brigitte Haentjens allait de soi. C’était une évidence. Artiste d’exception, intellectuelle émérite, citoyenne engagée, elle marque son ère comme peu de gens arrivent à le faire. Oserons-nous dire qu’elle mérite notre admiration ? Ce mot peut être épineux, car il laisse supposer une perspective en contre-plongée. Pourtant, admirer n’équivaut pas à abdiquer son sens critique – une qualité prisée par la principale intéressée. On pourrait même soutenir que cela implique, au contraire, des attentes élevées. Comme celles qu’elle a probablement envers ses collaboratrices et collaborateurs de longue date, et comme on peut deviner qu’ils entretiennent envers elle. Comme nous en avons peut-être tous et toutes envers celle qui nous a offert des spectacles aussi signifiants et prégnants que La Cloche de verre, La Nuit juste avant les forêts, Hamlet-machine, Blasté, Une femme à Berlin et tant d’autres. L’admiration, pendant du je-ne-sais-quoi que possèdent certains êtres rares, d’une condition limitrophe entre le talent et le génie, redéfinit les standards.
L’admiration comporte aussi, intrinsèquement, une part d’identification et de gratitude. Dans ce cas-ci, l’une est indissociable de l’autre, notamment pour les femmes. En entrevue, nous avons demandé à l’artiste : « Êtes-vous consciente de l’importance sociale de ce que vous faites ? » Ce à quoi elle a répondu, mi-surprise, mi-curieuse : « Ah bon ? Vous trouvez ? » Comment réagir autrement qu’en l’assurant de l’affirmative ? Cette contribution se manifeste non seulement par les sujets qu’elle aborde, les voix qu’elle fait irradier, la profondeur, l’unicité et l’éloquence de son œuvre, mais aussi par le fait qu’elle soit, comme elle le dit elle-même, de la première génération de femmes metteures en scène. Quelle part des Solène Paré, Marie-Claude St-Laurent, Alexia Bürger, Catherine Bourgeois, Marie-Ève Milot, Catherine Vidal, Alix Dufresne, Elkahna Talbi, Sophie Cadieux et de tant d’autres leaderesses de la scène théâtrale actuelle doit-on à Brigitte Haentjens ? Toutes ces femmes qui la suivent nous nourriraient-elles de leur art, du même art, si ce n’était du modèle qu’elle représente ? Si ce dossier, que j’ai le privilège – et je mesure pleinement ce mot – de codiriger avec mon collègue Philippe Mangerel, contribue un tant soit peu à cristalliser l’apport précieux de cette créatrice singulière, déterminée, fervente et irréductiblement sagace au théâtre ainsi qu’aux femmes de théâtre, j’estimerai que nous nous serons acquitté·es d’un devoir (des plus agréables, par ailleurs) qui nous incombait.
Il fut fort enrichissant de nous entretenir avec la maestra lors d’une entrevue – qu’elle a accordée avec toute la générosité, la franchise et la rigueur qui la caractérisent – où elle parle de ce qui l’anime si viscéralement, soit le théâtre et la création. La poète et professeure Louise Dupré pose elle aussi son regard sur la façon dont Brigitte Haentjens aborde son métier, en relatant le processus qui a mené à la naissance du percutant Tout comme elle, présenté à l’Usine C en 2006 et dont l’autrice a signé le texte.
Étant donné l’influence indéniable que la metteure en scène – terme qu’elle préfère nettement à metteuse en scène – a sur les artistes qui la côtoient de près ou de loin, il nous semblait tomber sous le sens de demander à certain·es d’entre eux de témoigner de l’influence qu’elle a eu sur leurs parcours. Alice Pascual, Christian Lapointe, Olivier Kemeid et Catherine Vidal se sont prêté·es à l’exercice.
Nous avons aussi souhaité cibler certains aspects particuliers de l’œuvre d’Haentjens. Ainsi, Mario Cloutier s’est penché sur son travail littéraire en incluant le théâtre, la poésie, les récits et le roman qui constituent, jusqu’à présent, sa bibliographie. De son côté, Sébastien Ricard, grand complice de la dame, témoigne (magnifiquement) de la démarche à la fois artistique, sociale et politique qui les unit. Flavie Boivin-Côté s’est intéressée au legs que représente l’approche créative de l’âme de Sibyllines pour les corps professoral et étudiant. Elle s’est entretenue, pour cet article, avec un autre collaborateur de la première heure de Brigitte Haentjens, Jean Marc Dalpé. Enzo Giacomazzi, quant à lui, propose une analyse théorique des éléments constitutifs du titre du livre qu’elle a rédigé, Un regard qui te fracasse. Propos sur le théâtre et la mise en scène, soit le regard, le fracas et le « tu ».
Notre dossier se clôt sur une conversation captivante, sous forme de correspondance, entre celle qui jusqu’à tout récemment dirigeait le Théâtre français du Centre national des Arts et celui qui lui a succédé, Mani Soleymanlou. Il y est question, notamment, des responsabilités qu’ont ceux et celles qui occupent des postes de pouvoir envers les artistes. Comment mieux conclure ce dossier si cher à nos yeux qu’en laissant la parole à celle à qui il est consacré. On aurait pu prendre encore bien des pages des perles de sagesse et de fougue de Brigitte Haentjens.