© David Cannon

Après six années en fonction, je quitte mon poste de rédacteur en chef de Jeu avec le sentiment du devoir accompli, fier d’avoir tenu le fort et surmonté des moments de crises, dont la pandémie de COVID-19 ne fut pas la moindre. Avec l’équipe de rédaction, nous avons fait face à plusieurs défis pour assurer la survie et le rayonnement de notre revue, en cette période difficile pour les arts du spectacle vivant et pour les médias imprimés. Je me réjouis que nous ayons maintenu les standards de qualité, d’ouverture et de diversité qui font de Jeu une publication de référence unique, qui aura 50 ans en 2026 !

Pour couvrir le théâtre, on doit s’intéresser à la jeunesse, qui a la faculté de voir avec des yeux neufs, de tout remettre en question. Mais il faut parfois 40 ans de pratique pour atteindre les sommets de sa création, l’aboutissement d’une démarche dont l’audace s’inscrit aussi dans la durée. Quand on est né à la fin des années 1950 – c’est mon cas –, on a été jeune au temps où les vedettes d’hier (pour ne pas dire bêtement d’avant-hier) étaient elles-mêmes dans la force de l’âge. Aujourd’hui, plusieurs de ces pionniers et pionnières de notre théâtre aux fruits pourtant encore verts se sont retirés – la santé en décide souvent à notre place – ou ont quitté ce monde, nous perçant un trou au cœur alors que s’éteignait leur lumière. Nombre d’aîné·es sont toutefois encore dans la pratique, et c’est un privilège de pouvoir suivre leur travail.

Au moment où on était soi-même dans cette période de total contrôle de ses moyens, d’autres jeunes émergeaient, riches de promesses, qui ont à présent dans la quarantaine et tiennent le haut de l’affiche. Entre les deux, une autre cohorte a brillé et se retrouve maintenant en pleine maturité artistique, avant de tirer sa révérence à son tour. Ainsi vont les générations, se succédant et se relayant à tour de rôle. Le théâtre, l’art, ne pourrait sans doute pas vivre autrement que par la filiation, la transmission, l’échange, le legs et l’émulation. La jeunesse poussera d’autant plus qu’elle aura appris à connaître son histoire.

Si je m’allège de quelques responsabilités, je ne délaisse pas Jeu pour autant, car je demeure membre de la rédaction et continuerai d’écrire des articles, de piloter des dossiers. J’ai la satisfaction de beaux succès de fin de mandat, tels les Prix d’excellence de la SODEP remportés cette année par Mariam Tounkara, membre actuelle de l’équipe, et par Marjolaine McKenzie, qui y a fait un stage d’écriture en 2021-2022¹.

L’un des membres les plus chevronnés de notre collectif renouvelé et soudé, passionné de culture et auteur de calibre remarquable, Mario Cloutier reprend la barre. Il mènera la barque à sa manière, y apportera sa couleur. J’ai grande confiance en ses talents et l’assure de mon soutien dans la charge exaltante et délicate lui incombant désormais. Le nouveau rédacteur en chef a deux atouts appréciables : pédagogue, il est près des jeunes, l’a démontré, entre autres, avec sa codirection du récent dossier « Après l’école… » (Jeu 185), et son expérience est vaste. Il est enthousiaste, a le sens de l’histoire et possède un réseau de contacts étonnant. Mario, le mot de Cambronne !

• • •

Le titre du dossier de ce numéro, « Québec : scènes capitales », n’est pas qu’un jeu de mots ; la vie culturelle de la « ville-théâtre » est foisonnante, et ces pages rendent compte de son effervescence. Codirigé par Josianne Desloges et Sophie Pouliot, avec les contributions précieuses de plumes locales, cet ensemble de textes fait la part belle à la jeunesse émergente sur la scène artistique. Le directeur artistique du Trident, Olivier Arteau (en couverture), est l’un des chefs de file du renouveau qui s’opère à Québec depuis quelques années, et dont témoignent les portraits d’autres porteurs et porteuses de flambeaux, de jeunes compagnies et artistes dont les préoccupations sont en phase avec les grands enjeux sociaux d’aujourd’hui et de demain. À vous de les découvrir !


¹ Voir « Natasha Kanapé Fontaine et les rituels de la parole » de Marjolaine McKenzie (Jeu 182, 2022.2, p. 82-89) et « Artiste et neuroatypique : le clou du spectacle » de Mariam « Nakato » Tounkara (Jeu 184, 2022.4, p. 56-61).

blank

À propos de

Journaliste dans le domaine culturel depuis 40 ans, Raymond Bertin a collaboré à divers médias à titre de critique de livres et de théâtre (Voir, Lurelu, Collections) et a été rédacteur pour plusieurs institutions du milieu. Membre de l’équipe de rédaction de JEU depuis 2005, il en assume la rédaction en chef depuis 2017 et a porté, au fil des ans, son intérêt sur toutes les formes de théâtre d’ici et d’ailleurs. Il œuvre également comme enseignant à la formation continue dans un collège montréalais.