Critiques

Les vacances : Fausses amies

© David Ospina

Résultat possible du travail des Femmes pour l’équité en théâtre (FET), cette rentrée théâtrale en Femmes majeur met sur scène des textes porteurs, écrits ou adaptés, et parfois mis en scène par Marie Brassard, Evelyne de la Chenelière, Anne Carson, Camille Paré-Poirier, Stéphanie Labbé et Lily Pinsonneault, notamment. Les deux dernières abordent d’ailleurs des thématiques similaires dans le cadre de comédies dramatiques percutantes.

La pièce Les vacances de Lily Pinsonneault s’ouvre parmi le public en présence des deux personnages Marie-Philippe (Lou Vincent Desrosiers) et Frédérique (Alice Moreault), toutes deux excellentes. Joyeusement ivres, les jeunes femmes inséparables versent des shooters aux membres du public. Par la suite, on retrouvera Marie-Philippe seule sur scène, racontant leurs vacances et la nuit de débauche que son amie et elle viennent de vivre en Espagne : alcool à souhait, flirts et rencontres noyées dans la désinvolture totale, comme s’il n’y avait pas de lendemain. Malheureusement, la journée d’après arrive bel et bien. À ce moment, le récit de Marie-Philippe abordera peu à peu les rives d’un véritable cauchemar, étant donné l’absence de plus en plus inquiétante de Frédérique.

La première partie du spectacle s’avère fort drôle. Étant ce personnage que rien n’arrête lorsqu’il est temps de s’amuser, Marie-Philippe se montre imperméable aux critiques, au machisme ambiant et à la morale conservatrice. Attachante, la jeune femme continue la fête comme si de rien n’était, maniant un verbe cru et sans inhibition. Elle s’adresse à deux personnages imaginaires, que l’on suppose être français, ce qui donne lieu à des quiproquos amusants. L’absence prolongée de son amie porte cependant ombrage à son insouciance, qui apparaît exagérée avec le temps.

© David Ospina

Le texte de Lily Pinsonneault est bien construit. Intercalant des temporalités différentes, il tarde cependant à nous faire voir l’envers du miroir des plaisirs instantanés. Trop longtemps avant que la vérité n’éclate, on sent clairement une menace sourde planer au-dessus de la jeune femme et de son je-m’en-foutisme proclamé. Tout ce qui est arrivé en Espagne est, en fait, un flashback entrecoupé de courtes scènes se déroulant au moment présent.

Même si le monologue de Marie-Philippe offre des moments de pure comédie délurée, on sent le malaise qui grandit. Sans fioritures, la mise en scène de François Bernier vise juste et permet à Lou Vincent Desrosiers de montrer l’étendue de son talent. Cependant, les frasques de son personnage deviennent trop répétitives. Heureusement, la scène finale étale de manière éclatante l’ampleur de la tragédie survenue dans le passé. Le monologue de Frédérique est alors renversant de vérité et d’émotions.

Romancière, Lily Pinsonneault livre un premier texte pour le théâtre convaincant, d’une truculence de tous les instants et d’une justesse étonnante. Oui, les erreurs de jeunesse peuvent hanter les protagonistes longtemps après le choc. Tout dépend, en fait, de quel côté du drame l’on se trouve. Est-ce que la rédemption est possible pour la personne qui a pêché par immaturité ? Pas ici en tout cas, surtout lorsque la douleur vive et cruelle des blessures passées remonte et prend les traits d’une amie qui a, en quelque sorte, trahi notre confiance.

La pièce nous rappelle également qu’aujourd’hui plus personne n’est à l’abri des excès et du danger provenant, surtout, du genre masculin. Les procès à propos d’agressions et de violence faites aux femmes indiquent que le patriarcat n’est pas mort et, pire, qu’il semble se renforcer à mesure que les femmes prennent la place qui leur revient dans le monde.

Triste constat.

© David Ospina

Les vacances

Texte : Lily Pinsonneault. Mise en scène et conseil dramaturgique : François Bernier. Assistance à la mise en scène : Maxime Beauregard-Martin. Décor et accessoires : Anne-Sophie Gaudet. Costumes : Pénélope Dulude-de Broin. Éclairages : Marguerite Hudon. Conception sonore : Antonin Gougeon-Moisan. Maquillage : Justine Denoncourt. Interprètes : Alice Moreault et Lou Vincent Desrosiers. Une production du Théâtre DuBunker en codiffusion avec La Manufacture, présentée à La Licorne jusqu’au 11 octobre 2025.