Critiques

Mommy, le retour : Ovni et zombies

© Yanick Macdonald

On ne sait jamais où les ovnis théâtraux d’Olivier Choinière vont atterrir. Cette fois, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, il ressuscite Mommy, personnage truculent de sa pièce éponyme présentée en 2013 aux Écuries. Les zombies de Mommy, le retour, c’est le Québec de maintenant, mort ou vivant ? Moribond en tout cas, selon le dramaturge et metteur en scène, dans un spectacle tout à la fois lourd et jouissif, tombant à point dans notre époque trouble où les présidents deviennent dictateurs et les dictateurs rois.

Olivier Choinière ne revêt pas les habits de la momie/mommy au CTDA. C’est l’extraordinaire Gabriel Lemire qui sue sang et eau sous l’un des extravagants costumes d’Elen Ewing. Le retour de Mommy s’effectue d’ailleurs avec la même bouffonnerie et le même esprit critique que durant sa première « vie ». La bonne femme de 400 ans revient pour se venger et, oui, on pense tout de suite à l’ange exterminateur trumpien. Les autres personnages seront bouffés par la bouffonne et reviendront en zombies/enfants de « notre Mommy à tous ». Cette armée morte-vivante reste encadrée par un présentateur à la Disney et sa Fée Clochette.

© Yanick Macdonald

Ce deuxième « gros fuck you à la droite conservatrice », dixit Choinière lui-même, suit donc les traces du premier. Son pamphlet s’avère toutefois plus inquiet et quelque peu déprimé. On rigole, bien entendu, mais une brève pensée vers l’état actuel de la société nous reste en travers de la gorge non déployée. Après Jean Charest en 2013, François Legault devient ici le dindon de la farce, avec raison, tout comme Gabriel Nadeau-Dubois et Pierre Poilièvre dans une moindre mesure. Et Olivier Choinière n’a jamais été un adepte du bothsideism. Si une scène semble attaquer la gauche, la fronde est bel et bien menée par Mommy et ses sbires, qui nous servent à froid tous les clichés antiwoke et antifa du continent ultraconservateur.

C’est la facile et inexorable montée de la droite extrême qui est montrée du doigt et, heureusement, déconstruite par le récit. L’expression des préjugés, de l’intolérance, du racisme et du masculinisme toxique le plus primaire, notamment, est éructée de diverses façons par les zombies. Pour assurer un rythme d’enfer, c’est le cas de le dire, le metteur en scène dose encore bien son propos en usant de chansons de rap qui enfoncent plus profondément le clou délétère dans notre conscience ébranlée. En ce sens, la pièce fait mouche et nous dit que les sorties de secours sont presque toutes bouchées. Ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle!

« C’était mieux dans le temps », de radoter de surcroît une Mommy parfois hystérique et tantôt doucereuse pour mieux enjôler les impénitents. Le discours religieux prend d’ailleurs beaucoup de place, conférant au personnage principal son statut de messie éternel, toujours assoiffé de sang et de corps de mécréants. Il n’y aura pas de vidéos, faute de budget, nous annonce-t-on dès le début du spectacle. La bande-son regorge cependant de multiples trésors couvrant une temporalité québécoise presque séculaire. La signature d’Olivier Choinière s’inscrit dans tous ces petits détails qui font de Mommy une superproduction… à petit budget. On pourra toujours compter sur le dramaturge et metteur en scène pour nous dire la vérité en pleine face, la sienne et aussi celle de tous ceux et celles qui, malgré les nombreux obstacles, défendent encore la justice sociale et une liberté d’expression de bonne foi.

Au rythme où vont les choses, il est à espérer que Mommy ne revienne pas d’entre les morts encore une fois dans 12 ou, pire, 5 ans pour enterrer à jamais les idéaux progressistes qui auront complètement disparu de notre tout petit Québec.

© Yanick Macdonald

Mommy, le retour 

Texte et mise en scène : Olivier Choinière. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde. Dramaturgie : Andréanne Roy. Scénographie, costumes et accessoires : Elen Ewing, assistée de Pascale Bassani, Jeanne Dupré et Marie-Jeanne Rizkallah. Lumières : Claire Seyller. Musique des chansons : Eman, avec la collaboration d’Olivier Choinière. Environnement sonore : Éric Forget. Mouvement : Lucie Vigneault. Régie générale : Erika Maheu-Chapman. Régie de plateau : Jérémie Roy.  Sonorisation : Pierre Tripard. Direction de production : Marjorie Bélanger, assistée d’Ophélie Lacasse. Direction technique : Xavier Côté, assisté de Jannick Perron. Chef∙fes machinistes : Audrey Belzile et Eric-William Quinn. Chef∙fes lumière : Emmanuel Bossé-Messier et Marie Lépine. Cheffe son : Gabrielle Couillard. Avec Félix Beaulieu-Duchesneau, Lyndz Dantiste, Sarah Laurendeau, Gabriel Lemire, Édith Paquet et Zoé Tremblay-Bianco. Une création de L’activité et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en coproduction avec le Théâtre français du Centre national des Arts, présentée au CTDA du 23 septembre au 18 octobre 2025.