Avignon a trouvé, en cette édition 2017 du Festival, le jeune metteur en scène prodige qui alimente toutes les conversations. Il s’appelle Simon Stone, il est Australien et il travaille avec les fabuleux acteurs et les immenses budgets du Toneelgroep Amsterdam.
Palimpseste et collage de plusieurs pièces d’Ibsen, en particulier Solness le constructeur, cette mégaproduction intitulée Ibsen huis est un spectacle captivant, qui passe l’auteur norvégien au filtre d’une actualisation saisissante. Un travail proche de ce qu’avait fait Thomas Ostermeier avec Hedda Gabler et Un ennemi du peuple, mais dans un style qui penche davantage vers le cinéma, avec effets de montage et de temporalité fracturée. Même si le procédé est parfois trop près d’une forme artificielle de réalisme téléromanesque, et qu’il agacera ceux qui cherchent une forte théâtralité, le spectacle évolue heureusement et assez finement vers un éclatement de ce pseudo-réalisme.
Fractures temporelles
La clé de cet espace-temps en perpétuelle redéfinition? Une scénographie monstre reproduisant une maison de bois et de verre au design scandinave sophistiqué, posée sur un plateau tournant qui nous la montre sous différentes perspectives et permet ainsi au spectateur-voyeur d’épier l’action dans toutes les pièces et de voyager d’une époque à l’autre en un tournemain.
À l’intérieur vit une famille dont les drames se répètent et s’aggravent, entre 1964 et 2016. Des récits que la pièce raconte en bribes, passant d’une décennie à l’autre puis revenant à la précédente avant de rebondir à nouveau dans le temps. Une progression qui donne au spectacle des allures de grande investigation, comme dans un excellent polar suédois, et qui, en cultivant intelligemment le mystère, aménage peu à peu un regard nuancé sur certaines des tragédies familiales, empêchant de juger trop vite ou trop sentencieusement l’un ou l’autre des personnages.
Certes, Ibsen huis arrive quelques années après la mise en scène d’Hedda Gabler par Thomas Ostemeier, qui exploitait le même genre de scénographie de verre : presque la même maison de poupée dans laquelle le drame ibsénien se déploie en jeux de miroirs; presque la même actualisation des personnages, devenus des bobos bien de notre temps. Impossible de ne pas constater l’influence du metteur en scène allemand dans le travail de Simon Stone.
En termes scénographiques, le spectateur québécois y aura aussi vu des échos avec une certaine période du travail de Robert Lepage, avec ses structures qui s’emboîtent et se déboîtent en quelques minutes pour passer d’un monde à l’autre. Mais Stone emprunte aussi d’autres chemins, tissant à partir des pièces d’Ibsen une saga familiale intergénérationnelle qui a des relents plus tragiques, rappelant par moments les destins funestes des Atrides ou des Labdacides.
Narrations croisées
Sans raconter ici les fourmillantes intrigues — il serait périlleux et réducteur de tenter d’en faire une vraie synthèse —, disons que la pièce s’articule autour d’un personnage d’architecte directement inspiré de Solness : un homme talentueux et vaniteux qui craint la jeunesse tout en se passionnant profondément pour elle, jusqu’à des extrémités dangereuses.
Dans les complexes histoires de couple et de filiation que vivront ses enfants ou ses frères, on reconnaît des éléments d’Hedda Gabler ou de Maison de poupée, mais aussi des morceaux plus politiques, directement empruntés à Un ennemi du peuple, ainsi que des mécanismes dramaturgiques impliquant le retour du passé refoulé, clairement issus d’une lecture attentive des Revenants.
Secrets de famille douloureusement révélés, traumatismes du passé qui se répercutent dans le présent, ballet tendu entre l’intime et le social : la matière est explosive. La plupart du temps, on est devant un théâtre psychologique foisonnant, même s’il tire un peu trop vers le mélodrame bourgeois. La pièce, dont on voit bien qu’elle veut critiquer la sclérose et les vicissitudes d’une certaine bourgeoisie, n’arrive pas toujours à cette lucidité et peut sembler vouloir au contraire la sublimer. Cela ne dure qu’un temps, heureusement.
Comme l’avait fait Ostermeier en actualisant Un ennemi du peuple pour provoquer une conversation politique, Simon Stone mène de plus en plus son spectacle, au fil des 4 heures de représentation, vers un regard sur la crise européenne actuelle : crise des migrants, crise économique, et retour de différentes formes d’intolérance (notamment la condamnation populiste de l’homosexualité).
Texte (d’après Henrik Ibsen) et mise en scène : Simon Stone. Dramaturgie et traduction : Peter van Kraaij. Musique : Stefan Gregory. Scénographie : Lizzie Clachan. Éclairages : James Farncombe. Costumes : An D’Huys. Avec Claire Bender, Janni Goslinga, Aus Greidanus jr., Maarten Heijmans, Eva Heijnen, Hans Kesting, Bart Klever, Maria Kraakman, Celia Nufaar, David Roos et Bart Slegers. Une production du Toneelgroep Amsterdam. Dans la Cour du Lycée Saint-Joseph, à l’occasion du Festival d’Avignon, jusqu’au 20 juillet 2017.
Avignon a trouvé, en cette édition 2017 du Festival, le jeune metteur en scène prodige qui alimente toutes les conversations. Il s’appelle Simon Stone, il est Australien et il travaille avec les fabuleux acteurs et les immenses budgets du Toneelgroep Amsterdam.
Palimpseste et collage de plusieurs pièces d’Ibsen, en particulier Solness le constructeur, cette mégaproduction intitulée Ibsen huis est un spectacle captivant, qui passe l’auteur norvégien au filtre d’une actualisation saisissante. Un travail proche de ce qu’avait fait Thomas Ostermeier avec Hedda Gabler et Un ennemi du peuple, mais dans un style qui penche davantage vers le cinéma, avec effets de montage et de temporalité fracturée. Même si le procédé est parfois trop près d’une forme artificielle de réalisme téléromanesque, et qu’il agacera ceux qui cherchent une forte théâtralité, le spectacle évolue heureusement et assez finement vers un éclatement de ce pseudo-réalisme.
Fractures temporelles
La clé de cet espace-temps en perpétuelle redéfinition? Une scénographie monstre reproduisant une maison de bois et de verre au design scandinave sophistiqué, posée sur un plateau tournant qui nous la montre sous différentes perspectives et permet ainsi au spectateur-voyeur d’épier l’action dans toutes les pièces et de voyager d’une époque à l’autre en un tournemain.
À l’intérieur vit une famille dont les drames se répètent et s’aggravent, entre 1964 et 2016. Des récits que la pièce raconte en bribes, passant d’une décennie à l’autre puis revenant à la précédente avant de rebondir à nouveau dans le temps. Une progression qui donne au spectacle des allures de grande investigation, comme dans un excellent polar suédois, et qui, en cultivant intelligemment le mystère, aménage peu à peu un regard nuancé sur certaines des tragédies familiales, empêchant de juger trop vite ou trop sentencieusement l’un ou l’autre des personnages.
Certes, Ibsen huis arrive quelques années après la mise en scène d’Hedda Gabler par Thomas Ostemeier, qui exploitait le même genre de scénographie de verre : presque la même maison de poupée dans laquelle le drame ibsénien se déploie en jeux de miroirs; presque la même actualisation des personnages, devenus des bobos bien de notre temps. Impossible de ne pas constater l’influence du metteur en scène allemand dans le travail de Simon Stone.
En termes scénographiques, le spectateur québécois y aura aussi vu des échos avec une certaine période du travail de Robert Lepage, avec ses structures qui s’emboîtent et se déboîtent en quelques minutes pour passer d’un monde à l’autre. Mais Stone emprunte aussi d’autres chemins, tissant à partir des pièces d’Ibsen une saga familiale intergénérationnelle qui a des relents plus tragiques, rappelant par moments les destins funestes des Atrides ou des Labdacides.
Narrations croisées
Sans raconter ici les fourmillantes intrigues — il serait périlleux et réducteur de tenter d’en faire une vraie synthèse —, disons que la pièce s’articule autour d’un personnage d’architecte directement inspiré de Solness : un homme talentueux et vaniteux qui craint la jeunesse tout en se passionnant profondément pour elle, jusqu’à des extrémités dangereuses.
Dans les complexes histoires de couple et de filiation que vivront ses enfants ou ses frères, on reconnaît des éléments d’Hedda Gabler ou de Maison de poupée, mais aussi des morceaux plus politiques, directement empruntés à Un ennemi du peuple, ainsi que des mécanismes dramaturgiques impliquant le retour du passé refoulé, clairement issus d’une lecture attentive des Revenants.
Secrets de famille douloureusement révélés, traumatismes du passé qui se répercutent dans le présent, ballet tendu entre l’intime et le social : la matière est explosive. La plupart du temps, on est devant un théâtre psychologique foisonnant, même s’il tire un peu trop vers le mélodrame bourgeois. La pièce, dont on voit bien qu’elle veut critiquer la sclérose et les vicissitudes d’une certaine bourgeoisie, n’arrive pas toujours à cette lucidité et peut sembler vouloir au contraire la sublimer. Cela ne dure qu’un temps, heureusement.
Comme l’avait fait Ostermeier en actualisant Un ennemi du peuple pour provoquer une conversation politique, Simon Stone mène de plus en plus son spectacle, au fil des 4 heures de représentation, vers un regard sur la crise européenne actuelle : crise des migrants, crise économique, et retour de différentes formes d’intolérance (notamment la condamnation populiste de l’homosexualité).
Ibsen huis
Texte (d’après Henrik Ibsen) et mise en scène : Simon Stone. Dramaturgie et traduction : Peter van Kraaij. Musique : Stefan Gregory. Scénographie : Lizzie Clachan. Éclairages : James Farncombe. Costumes : An D’Huys. Avec Claire Bender, Janni Goslinga, Aus Greidanus jr., Maarten Heijmans, Eva Heijnen, Hans Kesting, Bart Klever, Maria Kraakman, Celia Nufaar, David Roos et Bart Slegers. Une production du Toneelgroep Amsterdam. Dans la Cour du Lycée Saint-Joseph, à l’occasion du Festival d’Avignon, jusqu’au 20 juillet 2017.