La langue de Jean Marc Dalpé sonne comme une percussion déchaînée que les comédiens soutiennent avec délectation. Leur plaisir de mordre dans cette langue, qui est un mixage de français, d’anglais, de régionalismes, remplissant les lacunes lexicales par un langage corporel et sonore, est contagieux. Sur fond de musique country, Old Dirty Town, chanson thème qui traverse la pièce, décrit en trois mots le paysage pourri où se débattent des personnages laissés pour compte. Une «vieille ville sale» d’où il faut s’extraire à tout prix.
Bernie sort de prison demain et Zach, son compagnon de cellule, l’a impliqué dans une affaire de drogue. Il doit ramasser l’argent chez Shirley pour le remettre aux Hells Angels. Mais Shirley a dépensé une partie de l’argent pour produire son premier disque. Bernie se voit alors forcé de trahir son amie Mireille qui lui confie une «passe» pour gagner le pactole dans une course truquée à l’hippodrome local. Lorsque la cote ne cesse de grimper, la frénésie gagne les protagonistes de cette course désespérée pour sortir de la misère. Tous les rêves deviennent alors possibles. Ils se tiennent sur la ligne d’arrivée où Lucky Lady, le cheval sur lequel ils ont tout misé, arrachera la victoire.
Soulignons le travail de Patric Saucier, qui signe une mise en scène efficace, où les espaces de jeu, répartis sur deux niveaux, sont délimités par une lumière sculpturale. Le dispositif, soutenu par la planante trame sonore de Stéphane Caron, devient cinématographique. Tous acculés au pied du mur, les personnages en situation d’urgence se démènent dans le bourbier de leur existence. L’extravagance de Shirley, que défend avec brio une Frédérique Bradet déchaînée, sera saluée par une salve d’applaudissements à la suite de son engueulade avec le directeur de la salle où elle croyait devenir la future vedette du country. L’auteur offre ici un cadeau à la comédienne qui harangue directement le public dans une explosion de vulgarité que justifie l’affront qu’elle vient de subir. Morceau d’anthologie.
Chacun y va de ses rêves pour sortir d’une vie médiocre: l’appel de la montagne sacrée en Arizona pour Mireille, jouée par une pétillante Valérie Laroche, la confusion mentale de Zach qui veut devenir un agent d’assurance exemplaire, joué par un Simon Lepage aux limites du cabotinage, le désir pour Claire d’être une bonne mère célibataire, très juste Lauren Hartley, et le sincère souhait de Bernie d’être un bon père et un bon amant, soutenu par un Jean-Michel Déry très crédible, en contrôle de ses émotions. Il n’est pas dit que la victoire de Lucky Lady leur permettra de réaliser tous leurs rêves, mais elle ouvre de nouveaux horizons. Le moment de suspension, avant le dévoilement du cheval vainqueur de la course, est une scène prégnante, arrêt sur image du point de bascule entre deux options de vie.
Lucky Lady est habilement construit. On apprécie l’accélération progressive de l’action, rythmée par de petites touches qui finissent par donner un portrait explosif de cette société en mal de vivre. Mais, en même temps, dans l’alternance saccadée des scènes, les personnages tardent à prendre corps. La référence à l’hippodrome, disparu du paysage québécois depuis bientôt dix ans, le rapport au country et l’appel du nouvel âge, tout cela crée un lieu à la fois familier et pourtant insaisissable, comme si nous étions dans une fable. Il faut, je crois, le prendre comme cela pour goûter pleinement cette comédie douce-amère.
Texte: Jean Marc Dalpé. Mise en scène: Patric Saucier. Scénographie: Vanessa Cadrin. Costumes: Virginie Leclerc. Éclairages: Laurent Routhier. Musique: Stéphane Caron. Violon: Andrée Bilodeau. Avec Frédérique Bradet, Jean-Michel Déry, Lauren Hartley, Valérie Laroche et Simon Lepage. À la Bordée jusqu’au 5 mai 2018.
La langue de Jean Marc Dalpé sonne comme une percussion déchaînée que les comédiens soutiennent avec délectation. Leur plaisir de mordre dans cette langue, qui est un mixage de français, d’anglais, de régionalismes, remplissant les lacunes lexicales par un langage corporel et sonore, est contagieux. Sur fond de musique country, Old Dirty Town, chanson thème qui traverse la pièce, décrit en trois mots le paysage pourri où se débattent des personnages laissés pour compte. Une «vieille ville sale» d’où il faut s’extraire à tout prix.
Bernie sort de prison demain et Zach, son compagnon de cellule, l’a impliqué dans une affaire de drogue. Il doit ramasser l’argent chez Shirley pour le remettre aux Hells Angels. Mais Shirley a dépensé une partie de l’argent pour produire son premier disque. Bernie se voit alors forcé de trahir son amie Mireille qui lui confie une «passe» pour gagner le pactole dans une course truquée à l’hippodrome local. Lorsque la cote ne cesse de grimper, la frénésie gagne les protagonistes de cette course désespérée pour sortir de la misère. Tous les rêves deviennent alors possibles. Ils se tiennent sur la ligne d’arrivée où Lucky Lady, le cheval sur lequel ils ont tout misé, arrachera la victoire.
Soulignons le travail de Patric Saucier, qui signe une mise en scène efficace, où les espaces de jeu, répartis sur deux niveaux, sont délimités par une lumière sculpturale. Le dispositif, soutenu par la planante trame sonore de Stéphane Caron, devient cinématographique. Tous acculés au pied du mur, les personnages en situation d’urgence se démènent dans le bourbier de leur existence. L’extravagance de Shirley, que défend avec brio une Frédérique Bradet déchaînée, sera saluée par une salve d’applaudissements à la suite de son engueulade avec le directeur de la salle où elle croyait devenir la future vedette du country. L’auteur offre ici un cadeau à la comédienne qui harangue directement le public dans une explosion de vulgarité que justifie l’affront qu’elle vient de subir. Morceau d’anthologie.
Chacun y va de ses rêves pour sortir d’une vie médiocre: l’appel de la montagne sacrée en Arizona pour Mireille, jouée par une pétillante Valérie Laroche, la confusion mentale de Zach qui veut devenir un agent d’assurance exemplaire, joué par un Simon Lepage aux limites du cabotinage, le désir pour Claire d’être une bonne mère célibataire, très juste Lauren Hartley, et le sincère souhait de Bernie d’être un bon père et un bon amant, soutenu par un Jean-Michel Déry très crédible, en contrôle de ses émotions. Il n’est pas dit que la victoire de Lucky Lady leur permettra de réaliser tous leurs rêves, mais elle ouvre de nouveaux horizons. Le moment de suspension, avant le dévoilement du cheval vainqueur de la course, est une scène prégnante, arrêt sur image du point de bascule entre deux options de vie.
Lucky Lady est habilement construit. On apprécie l’accélération progressive de l’action, rythmée par de petites touches qui finissent par donner un portrait explosif de cette société en mal de vivre. Mais, en même temps, dans l’alternance saccadée des scènes, les personnages tardent à prendre corps. La référence à l’hippodrome, disparu du paysage québécois depuis bientôt dix ans, le rapport au country et l’appel du nouvel âge, tout cela crée un lieu à la fois familier et pourtant insaisissable, comme si nous étions dans une fable. Il faut, je crois, le prendre comme cela pour goûter pleinement cette comédie douce-amère.
Lucky Lady
Texte: Jean Marc Dalpé. Mise en scène: Patric Saucier. Scénographie: Vanessa Cadrin. Costumes: Virginie Leclerc. Éclairages: Laurent Routhier. Musique: Stéphane Caron. Violon: Andrée Bilodeau. Avec Frédérique Bradet, Jean-Michel Déry, Lauren Hartley, Valérie Laroche et Simon Lepage. À la Bordée jusqu’au 5 mai 2018.