Gloucester est un texte qui se construit sur la matière brute de la cosmogonie shakespearienne, et telle une supernova, cette tragédie comique explose littéralement sur le plateau foisonnant de la Bordée.
Ici, les éléments mobiles du décor se disputent l’espace avec les comédiens polymorphes qui se liquéfient en leurs multiples personnages dans un rythme soutenu et endiablé. Le décor modulaire tout de bois, murailles, treuils, meubles divers délimitent les lieux usuels de la tragédie dans une belle sarabande : marais, salle du trône, donjon, champ de bataille, forêt… tous lieux habités de fantômes, de sorcières, de guerriers, de bouffons, de simples soldats anonymes, de fourbes et d’obsédés du pouvoir.
Après une victoire sanglante contre les Écossais, Édouard, roi d’Angleterre, partage le pays conquis entre ses généraux et amis York et Gloucester et sa femme Goneril, sœur de ce dernier. Mais la reine qui convoitait toute l’Écosse pour elle seule ne peut accepter cet affront. Avec son complice Edmond, bâtard du roi, elle entreprend une guerre sans merci contre ses rivaux. Sa cupidité plonge alors le pays dans une lutte de pouvoir sans merci, dont la finale culminera dans une hécatombe généralisée, comme il se doit.
Dans cette atmosphère délétère, pleine de sang et de hurlements, de duperie et de violence, le texte de Boudreault et Legault s’entremêle en une étonnante broderie autour des citations du maître élisabéthain. Tous les personnages surgissent de l’immense territoire de Shakespeare et s’affrontent dans ce combat ultime. Les sorcières ponctuent le récit, annoncent les drames à venir et appellent les fantômes, les monstres mythiques interviennent dans les affaires des hommes où armes blanches et fioles de poison sont les accessoires les plus utilisés dans cette mise à nu de l’âme humaine.
L’humain, cette bête démesurée
Marie-Josée Bastien signe ici une mise en scène encore une fois remarquable. Les dix comédiens, tous impeccables, s’engouffrent dans un marathon de près de trois heures, tenant des dizaines de rôles et passant de l’un à l’autre avec une aisance qui coule de source. Bastien excelle dans ces spectacles à déploiement entrecroisé, s’appuyant sur un chaos apparent pour construire un monde d’une grande cohérence. Aux limites de la comédie et du grotesque, elle amène son équipe directement dans la tête des spectateurs, en s’appuyant sur leur complicité. Par quelques touches parsemées ici et là entre scène et salle, elle interpelle leur intelligence, abolissant la distance entre les deux mondes. Quelle magnifique folie débridée !
Et voici que Hamlet rencontre un fossoyeur pour réfléchir sur la vanité et la futilité de la vie, que les sorcières contrôlent les astres, que Roméo en appelle à l’amour du fond de sa tombe, que tous ces personnages alimentent des réflexions philosophiques sur le sens et le non-sens, sur la bêtise des hommes, ces marionnettes empêtrées dans leur destin. Les invectives sont percutantes, les constats hilarants : « Toi, York, un modèle de bravoure et de racisme ! »
Cette fresque de l’univers shakespearien, déferle en un délire jouissif. Il y tant de personnages répulsifs-sympathiques, crétins-comiques, violents-naïfs, idéalistes-brutaux, que nous en voulons encore, alors que tout Shakespeare est condensé en une comédie, lorsque la tragédie bascule dans ses excès.
Texte de Simon Boudreault et Jean-Guy Legault. Mise en scène de Marie-Josée Bastien. Avec Emmanuel Bédard, Geneviève Bélisle, Simon Boudreault, David Bouchard, Éloi Cousineau, Érika Gagnon, Jonathan Gagnon, Jean-Guy Legault, Catherine Ruel, Alexandrine Warren. Une coproduction du Théâtre La Bordée, du Théâtre Les Enfants Terribles, de Simoniaques Théâtre, du Théâtre des Ventrebleus et de la Place des Arts. Présenté à La Bordée jusqu’au 15 octobre 2016.
Gloucester est un texte qui se construit sur la matière brute de la cosmogonie shakespearienne, et telle une supernova, cette tragédie comique explose littéralement sur le plateau foisonnant de la Bordée.
Ici, les éléments mobiles du décor se disputent l’espace avec les comédiens polymorphes qui se liquéfient en leurs multiples personnages dans un rythme soutenu et endiablé. Le décor modulaire tout de bois, murailles, treuils, meubles divers délimitent les lieux usuels de la tragédie dans une belle sarabande : marais, salle du trône, donjon, champ de bataille, forêt… tous lieux habités de fantômes, de sorcières, de guerriers, de bouffons, de simples soldats anonymes, de fourbes et d’obsédés du pouvoir.
Après une victoire sanglante contre les Écossais, Édouard, roi d’Angleterre, partage le pays conquis entre ses généraux et amis York et Gloucester et sa femme Goneril, sœur de ce dernier. Mais la reine qui convoitait toute l’Écosse pour elle seule ne peut accepter cet affront. Avec son complice Edmond, bâtard du roi, elle entreprend une guerre sans merci contre ses rivaux. Sa cupidité plonge alors le pays dans une lutte de pouvoir sans merci, dont la finale culminera dans une hécatombe généralisée, comme il se doit.
Dans cette atmosphère délétère, pleine de sang et de hurlements, de duperie et de violence, le texte de Boudreault et Legault s’entremêle en une étonnante broderie autour des citations du maître élisabéthain. Tous les personnages surgissent de l’immense territoire de Shakespeare et s’affrontent dans ce combat ultime. Les sorcières ponctuent le récit, annoncent les drames à venir et appellent les fantômes, les monstres mythiques interviennent dans les affaires des hommes où armes blanches et fioles de poison sont les accessoires les plus utilisés dans cette mise à nu de l’âme humaine.
L’humain, cette bête démesurée
Marie-Josée Bastien signe ici une mise en scène encore une fois remarquable. Les dix comédiens, tous impeccables, s’engouffrent dans un marathon de près de trois heures, tenant des dizaines de rôles et passant de l’un à l’autre avec une aisance qui coule de source. Bastien excelle dans ces spectacles à déploiement entrecroisé, s’appuyant sur un chaos apparent pour construire un monde d’une grande cohérence. Aux limites de la comédie et du grotesque, elle amène son équipe directement dans la tête des spectateurs, en s’appuyant sur leur complicité. Par quelques touches parsemées ici et là entre scène et salle, elle interpelle leur intelligence, abolissant la distance entre les deux mondes. Quelle magnifique folie débridée !
Et voici que Hamlet rencontre un fossoyeur pour réfléchir sur la vanité et la futilité de la vie, que les sorcières contrôlent les astres, que Roméo en appelle à l’amour du fond de sa tombe, que tous ces personnages alimentent des réflexions philosophiques sur le sens et le non-sens, sur la bêtise des hommes, ces marionnettes empêtrées dans leur destin. Les invectives sont percutantes, les constats hilarants : « Toi, York, un modèle de bravoure et de racisme ! »
Cette fresque de l’univers shakespearien, déferle en un délire jouissif. Il y tant de personnages répulsifs-sympathiques, crétins-comiques, violents-naïfs, idéalistes-brutaux, que nous en voulons encore, alors que tout Shakespeare est condensé en une comédie, lorsque la tragédie bascule dans ses excès.
Gloucester
Texte de Simon Boudreault et Jean-Guy Legault. Mise en scène de Marie-Josée Bastien. Avec Emmanuel Bédard, Geneviève Bélisle, Simon Boudreault, David Bouchard, Éloi Cousineau, Érika Gagnon, Jonathan Gagnon, Jean-Guy Legault, Catherine Ruel, Alexandrine Warren. Une coproduction du Théâtre La Bordée, du Théâtre Les Enfants Terribles, de Simoniaques Théâtre, du Théâtre des Ventrebleus et de la Place des Arts. Présenté à La Bordée jusqu’au 15 octobre 2016.