Qu’on l’ait vu au Musée d’art contemporain en 1995, en tournée, sur vidéo, Chants du capricorne demeure l’un de ces spectacles qui marquent irrémédiablement l’imaginaire et qui, à chaque fois, permet une relecture entièrement différente de cette œuvre magistrale de Giacinto Scelsi.
En articulant ces pages ayant habité son auteur de 1962 à 1972 en une proposition théâtrale cohérente, Pauline Vaillancourt offrait non seulement un écrin idéal à son soprano agile, mais faisait ses premiers pas en conception et mise en scène. Calibrée avec une précision d’horloger, celle-ci reste d’une troublante pertinence, vingt ans après.
L’installation et le costume de Massimo Guerrera, la vidéo de Michel Giroux et Jean Décarie, les éclairages de Nancy Bussières et la bande-son donnant notamment à entendre la voix de Pauline Vaillancourt peuvent être perçus comme autant de « personnages » essentiels à la compréhension de cet opéra en apparence pour une seule interprète. Dans un texte intitulé Sens de la musique, Scelsi n’avait-il pas lui-même écrit que celle-ci est « d’une part élément sonore, et de l’autre, ainsi que tout art, projection d’images ou d’états de conscience »?
Ces états de conscience sont à la base même de la progression presque implacable de l’arc narratif de cet « opéra performance ». De l’atelier, « lieu des gestations », duquel s’extraira le capricorne (le compositeur lui-même, natif de ce signe) jusqu’à l’ultime silence prégnant, le spectateur est invité à renouer avec un langage dépouillé de sens littéral – phonèmes, articulations, appels, glapissements, sons nasaux ou gémissements déchirants ponctuant la partition vocale. Celui-ci le renvoie à une compréhension autre de l’existence, qui se lit ici comme une série de renoncements, d’apprentissages, de confrontations et de rencontres, que ce soit avec la nature environnante, un prédateur qui devient protecteur ou la femme qui se cache sous le monumental vêtement de Guerrera, évoquant aussi bien le capricorne du titre que certains coléoptères ou les statuettes de déesse préhistorique de la fertilité. La toile entourant les trois côtés de la scène et même certaines projections rappellent indéniablement l’art rupestre.
Un tel édifice, même si patiemment érigé, perdrait néanmoins toute assise si la chanteuse ne peut transcender la mécanique. Marie-Annick Béliveau, qui avait assisté à deux représentations en 1995, est ici absolument irréprochable. Sa voix riche et sa palette expressive nuancée en font une interprète idéale, subtile, passant avec une facilité déconcertante du ludisme pur à une troublante vulnérabilité. Elle se révèle particulièrement bouleversante lors de la dernière mue, alors que nous devenons témoins fascinés de la véritable (re)naissance de la femme.
Une reprise essentielle qui elle aussi fera date.
Opéra de Giacinto Scelsi. Conception et mise en scène de Pauline Vaillancourt. Une production de Chants libres. À l’Usine C jusqu’au 14 mars 2015.
Qu’on l’ait vu au Musée d’art contemporain en 1995, en tournée, sur vidéo, Chants du capricorne demeure l’un de ces spectacles qui marquent irrémédiablement l’imaginaire et qui, à chaque fois, permet une relecture entièrement différente de cette œuvre magistrale de Giacinto Scelsi.
En articulant ces pages ayant habité son auteur de 1962 à 1972 en une proposition théâtrale cohérente, Pauline Vaillancourt offrait non seulement un écrin idéal à son soprano agile, mais faisait ses premiers pas en conception et mise en scène. Calibrée avec une précision d’horloger, celle-ci reste d’une troublante pertinence, vingt ans après.
L’installation et le costume de Massimo Guerrera, la vidéo de Michel Giroux et Jean Décarie, les éclairages de Nancy Bussières et la bande-son donnant notamment à entendre la voix de Pauline Vaillancourt peuvent être perçus comme autant de « personnages » essentiels à la compréhension de cet opéra en apparence pour une seule interprète. Dans un texte intitulé Sens de la musique, Scelsi n’avait-il pas lui-même écrit que celle-ci est « d’une part élément sonore, et de l’autre, ainsi que tout art, projection d’images ou d’états de conscience »?
Ces états de conscience sont à la base même de la progression presque implacable de l’arc narratif de cet « opéra performance ». De l’atelier, « lieu des gestations », duquel s’extraira le capricorne (le compositeur lui-même, natif de ce signe) jusqu’à l’ultime silence prégnant, le spectateur est invité à renouer avec un langage dépouillé de sens littéral – phonèmes, articulations, appels, glapissements, sons nasaux ou gémissements déchirants ponctuant la partition vocale. Celui-ci le renvoie à une compréhension autre de l’existence, qui se lit ici comme une série de renoncements, d’apprentissages, de confrontations et de rencontres, que ce soit avec la nature environnante, un prédateur qui devient protecteur ou la femme qui se cache sous le monumental vêtement de Guerrera, évoquant aussi bien le capricorne du titre que certains coléoptères ou les statuettes de déesse préhistorique de la fertilité. La toile entourant les trois côtés de la scène et même certaines projections rappellent indéniablement l’art rupestre.
Un tel édifice, même si patiemment érigé, perdrait néanmoins toute assise si la chanteuse ne peut transcender la mécanique. Marie-Annick Béliveau, qui avait assisté à deux représentations en 1995, est ici absolument irréprochable. Sa voix riche et sa palette expressive nuancée en font une interprète idéale, subtile, passant avec une facilité déconcertante du ludisme pur à une troublante vulnérabilité. Elle se révèle particulièrement bouleversante lors de la dernière mue, alors que nous devenons témoins fascinés de la véritable (re)naissance de la femme.
Une reprise essentielle qui elle aussi fera date.
Chants du Capricorne
Opéra de Giacinto Scelsi. Conception et mise en scène de Pauline Vaillancourt. Une production de Chants libres. À l’Usine C jusqu’au 14 mars 2015.