Critiques

Festival du Jamais Lu – Fendre les lacs : Entre deux eaux

Huit personnages vivent dans des cabanes autour d’un lac. Huit êtres qui ne savent pas toujours comment s’émanciper d’un passé douloureux. Emma pleure le décès de son mari, découvert dans les bois par Adèle, la gardienne du lac, comme Léon son père, que ce soit en semant toutes sortes de graines de fruits sur sa tombe ou en s’asphyxiant volontairement, peut-être pour mieux comprendre la fine frontière entre la vie et la mort. Martin fuit un passé douloureux, qu’il a pourtant choisi de confronter en revenant sur les bords de ce lac presque hanté. Christian, fils d’Adèle, est tiraillé entre son amour pour Élie, la femme matelot, et le pacte qu’il a fait avec un homosexuel à l’agonie (que l’on ne verra jamais). Louise, qui s’occupe des oies, est folle de Thomas, qui veut devenir loup. Huit écorchés. Huit êtres qui ont perdu leurs repères. «J’ai reconnu sa fragilité; j’ai déjà vu la même», souligne d’ailleurs Martin alors qu’il s’installe chez Emma, histoire de la protéger d’elle-même, mais aussi de fuir ses blessures.

La pièce de Steve Gagnon se lit comme une allégorie de la vie en groupe. Alors que ces huit personnages ont sans doute voulu vivre en marge d’une certaine notion de la société en rejetant l’urbanité, ils doivent néanmoins compter sur l’aide, directe ou indirecte, des autres, pour continuer à avancer. Si la prémisse demeure des plus intéressantes, le texte aura encore besoin d’être limé pour que le souffle puissant qui l’anime puisse être entièrement transmis. Les segments à la forte charge poétique ou ce contrepoint à huit voix «Je voudrais», pensé comme l’apex de la pièce, scindent pour l’instant l’arc narratif. Il faudra peut-être aussi intégrer une profondeur supplémentaire aux personnages d’Emma, Louise et même Adèle, trop unidimensionnels pour être crédibles, comme si chacune de ces femmes ne disposait que d’un seul élément de vocabulaire émotif pour s’exprimer.

Les mots de Steve Gagnon étaient portés par une distribution bien encadrée par l’auteur, de laquelle émergeaient Olivier Morin en Léon et surtout Daniel Parent, exceptionnel, qui a su démontrer sa totale compréhension des motivations de Martin.

Fendre les lacs

Texte de Steve Gagnon. Dans le cadre du festival du Jamais Lu. Au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 9 mai.

 

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.