Critiques

Les Feluettes : Une relecture attendue

« Je te compose, je te crée. Je te fais vivre et je te tue. Je te ressuscite. » Michel Marc Bouchard a réussi à transmettre en quelques phrases l’essence même de ce qui ne demandait qu’à devenir opéra.

On le pressentait déjà dans Lilies, la version de John Greyson. Le cinéaste avait notamment parfaitement saisi la nécessité d’ancrer cette histoire autour des rôles des deux amants (choix relevant de l’évidence), mais aussi de ceux de la mère et de Mademoiselle Lydie-Anne.

Les rôles de Vallier et Simon sont magnifiquement tenus par le ténor Jean-Michel Richer, qui mise sur une fragilité profondément touchante, et le baryton Étienne Dupuis, déchiré entre être et paraître.

On ne peut malheureusement pas en dire autant du jeu du contre-ténor Daniel Cabana (pas inintéressant, mais un peu unidimensionnel) et d’Aaron St-Clair qui manque assurément de densité. Le problème viendrait-il en partie de la façon dont le compositeur Kevin March a traité ces deux personnages, confiant aux jeunes amants les plus belles pages ? Pourtant, le pastiche du Martyre de Saint-Sébastien de Debussy est amusant, l’alternance entre solos, duos et numéros d’ensemble bien calibrés (il faut saluer une fois de plus le travail impeccable du chœur d’hommes de l’Opéra de Montréal), mais il y a quelque chose qui nous échappe parfois, magnifié par le livret qui n’a retenu que l’essentiel du texte original de Michel Marc Bouchard. (Je n’ai d’ailleurs pas saisi pourquoi certains moments poignants semblaient susciter une autre réaction de la foule. Le tout m’a semblé limpide, pourtant.)

La mise en scène de Serge Denoncourt (qui en est à sa troisième relecture des Feluettes) permet de belles trouvailles visuellement (le linceul de la mère par exemple). On n’a peut-être pas besoin d’annoncer à plusieurs reprises les flammes de l’incendie (un leitmotiv aurait suffi) et le ballon qui éclate faisait rire plus qu’il n’évoquait la magie.

Peu importe, la deuxième partie convainc presque sans réserve, grâce à la direction musicale de Timothy Vernon et la présence de l’Orchestre métropolitain, musiciens et chefs ne se trouvant pas relégués à un rôle de faire-valoir.

Alors que les orchestres et les maisons d’opéra comptent essentiellement sur les énièmes relectures des classiques pour faire recette, il faut souligner, à quelques jours d’intervalle (grâce à la présence à Montréal notamment du Congrès d’Opera America), la création de deux nouvelles œuvres lyriques, Les Feluettes, mais aussi The Trials of Patricia Isasa de Kristin Norderval proposé par Chants libres au Monument-National.

Un vent de fraîcheur plus que bienvenu qui saura séduire, souhaitons-le, les amateurs.

Les Feluettes

Livret de Michel Marc Bouchard. Mise en scène de Serge Denoncourt. Musique de Kevin March. Une coproduction Pacific Opera Victoria / Productions ODM Inc, présentée à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts jusqu’au 28 mai 2016.

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.