« Peur du désir, du regret, du plaisir, de la foi… », de l’autre, de soi : impossible de la fuir entièrement, car elle se niche au cœur de chacun de nous. La troisième édition des Laissés Pour Contes nous le rappelle avec éloquence, au rythme de six textes aux esthétiques distinctes, entre lesquels on ne peut s’empêcher d’établir certains liens, certaines connivences.
La mère de « Zéro gravité », incapable de comprendre la nature profonde de son fils, deviendra ainsi écho au père du « Crotté », petit bandit qui crache son et antithèse de celui du « Chêne », héros que la maladie jettera en bas de son piédestal. La question identitaire joue elle aussi un rôle-clé et passe le plus souvent par le rejet volontaire des attentes que d’autres entretiennent à notre égard et des étiquettes que l’on se voit apposées.
La soirée s’amorce de belle façon sur un slam d’Amélie Provost (livré par l’auteure), « L’escalier de la cave », qui à travers un travail soigneux sur les assonances et la rythmique, revient sur les peurs de l’enfance, mais nous rappelle la nécessité de ne jamais entièrement perdre contact avec cette part de soi.
Narré par Martin Tremblay (au débit parfois trop précipité, mais convaincant dans la réalité physique du personnage), « Le crotté » de Patrice Bonneau se lit comme un récit d’émancipation, dans lequel un jeune homme de seize ans ne cache pas son mépris pour son père violent – « I’ parlait pas, l’vieux criss, i’ garrochait ses paroles » –, mais accepte néanmoins de le suivre à Lac Boucher pour braquer une caisse populaire.
Anne-Valérie Bouchard brûle littéralement les planches dans « La crieuse » de Véronique Pascal – qui nous avait offert l’année dernière un autre grand moment avec « La pleureuse » –, une histoire de jolie notaire, en apparence parfaite, narguée par son horloge biologique. Nous la retrouvons sur les sites de rencontre, en thérapie express, mais surtout lors de ce fatal soir où, persuadée que le beau Gabriel ne peut pas vraiment s’intéresser à elle, elle se transformera en « baleine à bosse vengeresse, tsé, le mammifère pacifique au milieu des piranhas fatigants ».
Changement de registre complet pour l’anti-héros de « Sortir de la ville » de Michael Richard (également interprète), grand angoissé qui ne réussit qu’avec difficulté à sortir de chez lui et qui envisage avec une terreur certaine la perspective de rejoindre des amis (ou sa famille) dans un chalet et qui ne trouve le répit que dans le sommeil. « Mes rêves sont moins pires que les fictions dans ma tête. »
« Le chêne » de Pierre-Marc Drouin propose une nécessaire réflexion sur la maladie mentale. « Je ne suis pas bipolaire, je suis SPM », hurle la narratrice (solide Julie Fortin) à son amoureux avec lequel elle vient de rompre pour la vingtième fois. Le texte se révèle habile, nous faisant passer du rire franc à une nostalgie assumée et à la compassion.
La table est alors mise pour « Zéro gravité » de Pierre Chamberland, maître d’œuvre de l’évènement annuel, un récit coup-de-poing qui ne fait pas de quartiers, brillamment rendu par un Mathieu Lepage totalement investi. Comme il l’avait fait l’année dernière avec « Parents-secours », Chamberland n’a pas peur d’aborder un sujet encore trop souvent considéré tabou, cette fois celui de l’identité sexuelle : « Y’a p’us assez d’place en d’dans pour me cacher. »
Les textes sont portés par une mise en scène sobre et efficace de Patrick Renaud qui permet une complicité réelle entre comédiens et public conquis. Vivement la prochaine édition, sur le thème de l’ignorance!
Textes de Patrice Bonneau, Pierre Chamberland, Pierre-Marc Drouin, Véronique Pascal, Amélie Prévost, Michael Richard. Mise en scène de Patrick Renaud. Une production Les Laissés Pour Contes. À l’Usine C jusqu’au 25 janvier 2015.
« Peur du désir, du regret, du plaisir, de la foi… », de l’autre, de soi : impossible de la fuir entièrement, car elle se niche au cœur de chacun de nous. La troisième édition des Laissés Pour Contes nous le rappelle avec éloquence, au rythme de six textes aux esthétiques distinctes, entre lesquels on ne peut s’empêcher d’établir certains liens, certaines connivences.
La mère de « Zéro gravité », incapable de comprendre la nature profonde de son fils, deviendra ainsi écho au père du « Crotté », petit bandit qui crache son et antithèse de celui du « Chêne », héros que la maladie jettera en bas de son piédestal. La question identitaire joue elle aussi un rôle-clé et passe le plus souvent par le rejet volontaire des attentes que d’autres entretiennent à notre égard et des étiquettes que l’on se voit apposées.
La soirée s’amorce de belle façon sur un slam d’Amélie Provost (livré par l’auteure), « L’escalier de la cave », qui à travers un travail soigneux sur les assonances et la rythmique, revient sur les peurs de l’enfance, mais nous rappelle la nécessité de ne jamais entièrement perdre contact avec cette part de soi.
Narré par Martin Tremblay (au débit parfois trop précipité, mais convaincant dans la réalité physique du personnage), « Le crotté » de Patrice Bonneau se lit comme un récit d’émancipation, dans lequel un jeune homme de seize ans ne cache pas son mépris pour son père violent – « I’ parlait pas, l’vieux criss, i’ garrochait ses paroles » –, mais accepte néanmoins de le suivre à Lac Boucher pour braquer une caisse populaire.
Anne-Valérie Bouchard brûle littéralement les planches dans « La crieuse » de Véronique Pascal – qui nous avait offert l’année dernière un autre grand moment avec « La pleureuse » –, une histoire de jolie notaire, en apparence parfaite, narguée par son horloge biologique. Nous la retrouvons sur les sites de rencontre, en thérapie express, mais surtout lors de ce fatal soir où, persuadée que le beau Gabriel ne peut pas vraiment s’intéresser à elle, elle se transformera en « baleine à bosse vengeresse, tsé, le mammifère pacifique au milieu des piranhas fatigants ».
Changement de registre complet pour l’anti-héros de « Sortir de la ville » de Michael Richard (également interprète), grand angoissé qui ne réussit qu’avec difficulté à sortir de chez lui et qui envisage avec une terreur certaine la perspective de rejoindre des amis (ou sa famille) dans un chalet et qui ne trouve le répit que dans le sommeil. « Mes rêves sont moins pires que les fictions dans ma tête. »
« Le chêne » de Pierre-Marc Drouin propose une nécessaire réflexion sur la maladie mentale. « Je ne suis pas bipolaire, je suis SPM », hurle la narratrice (solide Julie Fortin) à son amoureux avec lequel elle vient de rompre pour la vingtième fois. Le texte se révèle habile, nous faisant passer du rire franc à une nostalgie assumée et à la compassion.
La table est alors mise pour « Zéro gravité » de Pierre Chamberland, maître d’œuvre de l’évènement annuel, un récit coup-de-poing qui ne fait pas de quartiers, brillamment rendu par un Mathieu Lepage totalement investi. Comme il l’avait fait l’année dernière avec « Parents-secours », Chamberland n’a pas peur d’aborder un sujet encore trop souvent considéré tabou, cette fois celui de l’identité sexuelle : « Y’a p’us assez d’place en d’dans pour me cacher. »
Les textes sont portés par une mise en scène sobre et efficace de Patrick Renaud qui permet une complicité réelle entre comédiens et public conquis. Vivement la prochaine édition, sur le thème de l’ignorance!
Les Laissés Pour Contes
Textes de Patrice Bonneau, Pierre Chamberland, Pierre-Marc Drouin, Véronique Pascal, Amélie Prévost, Michael Richard. Mise en scène de Patrick Renaud. Une production Les Laissés Pour Contes. À l’Usine C jusqu’au 25 janvier 2015.