Usurier cupide, plus ou moins indifférent à la belle Donalda, Séraphin Poudrier a rapidement remplacé dans l’imaginaire québécois le personnage shakespearien de Shylock. Après de si nombreuses adaptations (radio, cinéma, bande dessinée, sans oublier le mythique téléroman), était-il encore possible de l’inscrire dans une certaine modernité, sans pour autant altérer sa nature profonde? Avec Viande à chien, Alexis Martin, Jonathan Gagnon et Frédéric Dubois ont cru pouvoir relever le défi, mais ne livrent malheureusement la marchandise qu’à moitié. Péché d’orgueil?
La structure narrative de la pièce suit d’assez près à celle d’Un homme et son péché. Séraphin, pantalon de sport et polo d’une beigitude totale (en chaussettes dans ses Birkenstock!) est devenu un courtier qui passe ses journées à suivre les cours de la bourse. Donalda, vaguement exaltée, tant par la littérature (impossible de voir de mon siège le titre du livre qu’elle lit et cite) que par l’annonce d’une tempête solaire, s’occupe comme elle peut en attendant; elle avale des capsules télévisuelles (qui arrachent quelques sourires) ou quelques gorgées de vin blanc, danse comme une adolescente frénétique, se languit. Elle s’anime à peine quand Alexis revient d’un reportage photo sur les Indiens Haïda. Bertine n’est plus la fille d’Alexis, mais la gouvernante philippine de Lamont, rédacteur en chef du magazine Affaires d’en-Haut, qui signera le pacte avec le diable en offrant des actions en gage.
Sébastien Dodge offre un beau travail de composition, intégrant dans son discours des accents traînants qui évoquent discrètement ceux de Jean-Pierre Masson dans Les belles histoires des pays d’en haut. Noémie O’Farrell propose une Donalda éthérée, alors qu’on aurait aimé qu’elle soit symbole de la vie qui bat. Elle devient peut-être ainsi un écho à l’Alexis désincarné, plus métrosexuel que rebelle engagé, campé par Guillaume Baillargeon.
La scénographie s’articule autour de trois axes (la cuisine, le salon et une étrange maisonnette Fisher-Price, OVNI décalé, fruit de l’imagination débridée de Pascal Robitaille, qui produit des sons entre orgue de Barbarie et télégraphe, «avalant» Donalda à sa mort) et ne peut être perçue adéquatement en son entier par aucun spectateur. La juxtaposition des époques, intéressante (on réfère au texte original dès le début) ne fonctionne pas toujours. Entre les locutions d’un autre siècle de Séraphin et les références au langage financier d’aujourd’hui qui ne peuvent que rappeler le très réussi Instructions pour un gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël (texte traduit par Alexis Martin), on s’y perd parfois.
L’idée de faire surgir les personnages du noir, en autant de tableaux vivants (ou de «retours après la pause» d’un téléroman), intrigue au début, mais finit par lasser, tout comme les multiples oppositions entre la glace et le feu inscrites dans le texte. Ici, la fin du monde ne vient pas du réchauffement de la planète, mais d’une tempête solaire qui bousillera les appareils électroniques, provoquant peut-être même un nouvel effondrement des marchés boursiers.
Le propos est souligné à (trop) gros traits, dans une charge anticapitaliste pourtant louable. On l’aurait préféré ramassé, qu’il frappe le spectateur de plein fouet. À la place, celui-ci sort de la salle un peu désabusé, nostalgique de productions antérieures autrement plus réussies du Nouveau Théâtre Expérimental.
Viande à chien. Texte de Frédéric Dubois, Jonathan Gagnon et Alexis Martin. Mise en scène de Frédéric Dubois. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental et du Théâtre des Fonds de Tiroirs. À Espace Libre jusqu’au 7 décembre 2013.
Usurier cupide, plus ou moins indifférent à la belle Donalda, Séraphin Poudrier a rapidement remplacé dans l’imaginaire québécois le personnage shakespearien de Shylock. Après de si nombreuses adaptations (radio, cinéma, bande dessinée, sans oublier le mythique téléroman), était-il encore possible de l’inscrire dans une certaine modernité, sans pour autant altérer sa nature profonde? Avec Viande à chien, Alexis Martin, Jonathan Gagnon et Frédéric Dubois ont cru pouvoir relever le défi, mais ne livrent malheureusement la marchandise qu’à moitié. Péché d’orgueil?
La structure narrative de la pièce suit d’assez près à celle d’Un homme et son péché. Séraphin, pantalon de sport et polo d’une beigitude totale (en chaussettes dans ses Birkenstock!) est devenu un courtier qui passe ses journées à suivre les cours de la bourse. Donalda, vaguement exaltée, tant par la littérature (impossible de voir de mon siège le titre du livre qu’elle lit et cite) que par l’annonce d’une tempête solaire, s’occupe comme elle peut en attendant; elle avale des capsules télévisuelles (qui arrachent quelques sourires) ou quelques gorgées de vin blanc, danse comme une adolescente frénétique, se languit. Elle s’anime à peine quand Alexis revient d’un reportage photo sur les Indiens Haïda. Bertine n’est plus la fille d’Alexis, mais la gouvernante philippine de Lamont, rédacteur en chef du magazine Affaires d’en-Haut, qui signera le pacte avec le diable en offrant des actions en gage.
Sébastien Dodge offre un beau travail de composition, intégrant dans son discours des accents traînants qui évoquent discrètement ceux de Jean-Pierre Masson dans Les belles histoires des pays d’en haut. Noémie O’Farrell propose une Donalda éthérée, alors qu’on aurait aimé qu’elle soit symbole de la vie qui bat. Elle devient peut-être ainsi un écho à l’Alexis désincarné, plus métrosexuel que rebelle engagé, campé par Guillaume Baillargeon.
La scénographie s’articule autour de trois axes (la cuisine, le salon et une étrange maisonnette Fisher-Price, OVNI décalé, fruit de l’imagination débridée de Pascal Robitaille, qui produit des sons entre orgue de Barbarie et télégraphe, «avalant» Donalda à sa mort) et ne peut être perçue adéquatement en son entier par aucun spectateur. La juxtaposition des époques, intéressante (on réfère au texte original dès le début) ne fonctionne pas toujours. Entre les locutions d’un autre siècle de Séraphin et les références au langage financier d’aujourd’hui qui ne peuvent que rappeler le très réussi Instructions pour un gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël (texte traduit par Alexis Martin), on s’y perd parfois.
L’idée de faire surgir les personnages du noir, en autant de tableaux vivants (ou de «retours après la pause» d’un téléroman), intrigue au début, mais finit par lasser, tout comme les multiples oppositions entre la glace et le feu inscrites dans le texte. Ici, la fin du monde ne vient pas du réchauffement de la planète, mais d’une tempête solaire qui bousillera les appareils électroniques, provoquant peut-être même un nouvel effondrement des marchés boursiers.
Le propos est souligné à (trop) gros traits, dans une charge anticapitaliste pourtant louable. On l’aurait préféré ramassé, qu’il frappe le spectateur de plein fouet. À la place, celui-ci sort de la salle un peu désabusé, nostalgique de productions antérieures autrement plus réussies du Nouveau Théâtre Expérimental.
Viande à chien. Texte de Frédéric Dubois, Jonathan Gagnon et Alexis Martin. Mise en scène de Frédéric Dubois. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental et du Théâtre des Fonds de Tiroirs. À Espace Libre jusqu’au 7 décembre 2013.