Critiques

Appels entrants illimités : Le remède absolu contre la morosité

Ce mardi il pleuvait et c’était la première de Appels entrants illimités, du Théâtre Le Clou. David Paquet au texte et Benoit Vermeulen à la mise en scène, ça promettait un spectacle détonnant. Ce le fut.

Prenez trois névrosés magnifiques, drôles et attachants, qui vivent en colocation dans un intérieur meublé de façon assez sommaire. Sur scène, trois portes qui ne mènent à rien et une quatrième qui conduit vers l’extérieur, un frigo plein de surprises et un vieux téléphone (de ceux dont on se servait encore il y a cinq ans, un téléphone qui ne sert qu’à téléphoner, avec un cadran et un combiné, bref, une antiquité), devant un rideau en plastique, comme ceux qu’on retrouve dans les boucheries, qui permet les changements de costumes à vue, dans une théâtralité revendiquée.

La délicieuse Catherine Larochelle est Charlotte, une fille très fille, avec mimiques, dégaine, robe verte et maquillage qui, désespérée de ne pas trouver le grand amour sur terre, finira pas fantasmer sur un extra-terrestre. De plus en plus amochée au fil de la pièce, Charlotte comprend que le problème avec l’amour, c’est que « tout le monde en quête et personne n’en donne ». Hilarante dans son rôle de pétasse assumée, Catherine Larochelle est en parfaite maitrise de son personnage, tout comme les deux autres.

La non moins délicieuse Catherine Le Gresley joue Anna, une fille complexée qui se cache dans des costumes de mascotte pour oser exister, qui s’arme d’une carapace pour affronter les regards des autres. Ce personnage fait penser à celui de John Irving dans Hôtel du New Hampshire, la fille qui se réfugie dans sa peau d’ours. D’ailleurs, au début du spectacle, Anna revêt elle aussi une peau d’ours. Elle est tellement mal dans sa peau, la pauvre Anna qu’elle rêve de rentrer dans une boite et d’en faire un numéro de cirque…

Jonathan Morier, dans le rôle de Louis, l’hypocondriaque flippé, fait des merveilles avec ses airs de ne pas y toucher. Remarquablement maladroit, consciencieusement politisé, son discours passe du coq à l’âne pour dénoncer en bloc les travers et les vices de notre époque où « même le tofu est corrompu ». Il pose un regard désabusé et joyeusement dépressif sur le monde qui l’entoure, à tel point qu’il finit par trouver une job de… clown !

Les trois vivent une quête d’amour éperdue, perdus qu’ils sont dans un monde qui semble trop grand pour eux, pas taillé à leur mesure. S’ils posent sur le monde un regard complètement décalé à prime abord, celui-ci se révèle finalement très pertinent.

Soulignons l’extraordinaire créativité des costumes, signés Julie Vallée-Léger, avec une mention spéciale pour le déguisement du homard avec les pattes en balloune (homard qui, à un certain moment de sa vie, perd sa carapace pour continuer de grandir et qui rappelle le livre de Françoise Dolto sur les adolescents, intitulé fort justement Le complexe du homard)

Dans le texte de David Paquet, il y a de réels bonheurs d’écriture, de ces répliques incisives, terriblement comiques, qui mériteraient de passer dans le langage courant, dans le style (et je cite de mémoire) : « Je ne suis pas saoule, je gère un problème personnel avec créativité ». David Paquet, auteur très surveillé depuis Porc-Épic et 2h14, Le Brasier, montre qu’on n’a plus le droit de louper aucun de ses textes tellement il est brillant.

Et il y a de réelles trouvailles de mise en scène. Benoit Vermeulen, lui aussi très surveillé, démontre encore une fois son talent pour fabriquer des spectacles déjantés, éclatés et uniques. Vermeulen a un style, une griffe comme l’on dit des grands couturiers. Personne d’autre que lui ne pourrait signer cette mise en scène. Dans une époque de formatage galopant, que ne voilà un beau compliment, n’est-ce pas Benoit ? (ici, ajouter quelques likes et des petits cœurs). Enfin, il y a une direction d’acteurs très solide, mieux : robuste ! La démarche de Vermeulen, qui travaille en atelier avec les comédiens, fait une fois de plus l’éblouissante démonstration de son efficacité. De Romances et karaoké à Assoiffés, Benoit Vermeulen se renouvelle en restant fidèle à lui-même et ça, c’est la marque des grands créateurs.

En sortant du théâtre de la Licorne, ce mardi soir, il ne pleuvait plus.

 

Appels entrants illimités
Une production du Théâtre Le Clou
Au Théâtre de la Licorne, du 16 au 20 avril 2013