Premier constat : la pièce d’Éric Noël, récipiendaire du prix Gratien-Gélinas, s’inscrit de plain pied dans une certaine tradition dramaturgique québécoise, sans pour autant s’y empêtrer, en la remettant au goût du jour. Et ce, pas seulement à cause de la percutante scène homosexuelle initiale, qui rappelle à première vue la vague de théâtre homo des années 80.
Mais exit les sentiments et la monogamie, le personnage imaginé par Noël est bien de son temps : il refuse l’engagement et aime « avoir des queues tout autour de lui ». L’homosexualité, omniprésente, n’est à vrai dire pas un enjeu crucial de la pièce, du moins pas davantage que la dérive identitaire dans laquelle patauge Philippe (c’est le nom de ce personnage interprété par Dany Boudreault).
Qui est ce jeune homme en dehors de sa sexualité vorace et de ses excès autodestructeurs ? Visiblement un jeune homme perdu, ignorant tout de lui-même et ne sachant pas où trouver son ancrage, incapable d’accueillir l’amour qui, pourtant, lui arrive de toutes parts, notamment de sa famille. Voilà qui rattache encore une fois la pièce à une tradition théâtrale québécoise. Des Belles-Sœurs aux Muses Orphelines, notre dramaturgie trouve dans le salon et la cuisine des lieux privilégiés pour exprimer, à travers l’individualité et l’intimité, les angoisses collectives d’un peuple cherchant à se libérer d’un passé oppressant.
Quand la pièce d’Éric Noël bascule de la ville à la banlieue pour nous faire entrer dans la maison familiale, où l’on découvre une mère, une sœur et un père tout aussi désorientés que leur fils, c’est la société québécoise actuelle, en perte totale de repères, qui est dépeinte. L’enjeu n’est plus la difficile quête de liberté, mais bien l’incapacité de composer avec l’absence d’assises solides que cette libération a entraînée : le couple n’existe plus, les valeurs ont foutu le camp, la famille se disloque. Un propos postmoderne qui n’a rien de neuf et sent même le réchauffé à plein nez, mais que Noël explore avec des mots qui frappent. Et qui tombent pile, avouons-le, alors que le Québec est en pleine remise en question de ses structures politiques et sociales, lesquelles semblent n’entraîner aujourd’hui que désillusion et désœuvrement, après avoir suscité tant d’espoir.
N’empêche, les clichés abondent et risquent de diluer le propos. Il y a d’abord cette sexualité trash, peut-être trop surlignée et surdramatisée. Puis cette solitude contemporaine exprimée en termes alarmistes, qui sonnent un peu faux, notamment chez le personnage de la mère (Hélène Mercier). Par moments, on craint que tout cela sombre dans le mélodrame. Évité de justesse.
Deuxième constat (qui arrive un peu loin dans ce texte, j’en conviens) : Éric Noël a surtout inventé une langue d’une efficacité indéniable. Elliptique sans être abusivement hachurée, aérienne tout en conservant un pied sur terre, crue sans être grossière : elle sonne presque toujours juste.
Troisième constat : le metteur en scène Gaétan Paré, comme toujours, a été respectueux du texte et très soucieux de faire entendre convenablement cette parole et d’en faire résonner les enjeux. Il avait adopté la même sage attitude dans ses récentes mises en scène du Moche de Marius Von Mayenburg et des Bonnes de Genet, productions plus modestes présentées dans le réseau des salles parallèles de Montréal.
Or, trop de retenue et de respect pour l’écriture ne rendent pas toujours service au texte – on a ici l’impression que le metteur en scène n’a pas su éclairer la pièce d’un regard personnel ni même d’une simple lumière révélatrice. La mise en scène transporte le drame sans le mettre en relief. Le même constat s’applique au jeu général des acteurs, hormis peut-être le monologue du toujours excellent Daniel Gadouas, plus émotivement investi.
Texte : Éric Noël. Mise en scène : Gaétan Paré. Assistance à la mise en scène et régie : Olivier Gaudet-Savard. Scénographie : Mylène Chabrol. Interprétation : Dany Boudreault, Sonia Cordeau, Ludger Côté, Normand Daoust, Daniel Gadouas, Marc-André Goulet, Rachel Graton et Hélène Mercier. Une production du Théâtre de Quat’Sous présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 13 novembre 2011.
Premier constat : la pièce d’Éric Noël, récipiendaire du prix Gratien-Gélinas, s’inscrit de plain pied dans une certaine tradition dramaturgique québécoise, sans pour autant s’y empêtrer, en la remettant au goût du jour. Et ce, pas seulement à cause de la percutante scène homosexuelle initiale, qui rappelle à première vue la vague de théâtre homo des années 80.
Mais exit les sentiments et la monogamie, le personnage imaginé par Noël est bien de son temps : il refuse l’engagement et aime « avoir des queues tout autour de lui ». L’homosexualité, omniprésente, n’est à vrai dire pas un enjeu crucial de la pièce, du moins pas davantage que la dérive identitaire dans laquelle patauge Philippe (c’est le nom de ce personnage interprété par Dany Boudreault).
Qui est ce jeune homme en dehors de sa sexualité vorace et de ses excès autodestructeurs ? Visiblement un jeune homme perdu, ignorant tout de lui-même et ne sachant pas où trouver son ancrage, incapable d’accueillir l’amour qui, pourtant, lui arrive de toutes parts, notamment de sa famille. Voilà qui rattache encore une fois la pièce à une tradition théâtrale québécoise. Des Belles-Sœurs aux Muses Orphelines, notre dramaturgie trouve dans le salon et la cuisine des lieux privilégiés pour exprimer, à travers l’individualité et l’intimité, les angoisses collectives d’un peuple cherchant à se libérer d’un passé oppressant.
Quand la pièce d’Éric Noël bascule de la ville à la banlieue pour nous faire entrer dans la maison familiale, où l’on découvre une mère, une sœur et un père tout aussi désorientés que leur fils, c’est la société québécoise actuelle, en perte totale de repères, qui est dépeinte. L’enjeu n’est plus la difficile quête de liberté, mais bien l’incapacité de composer avec l’absence d’assises solides que cette libération a entraînée : le couple n’existe plus, les valeurs ont foutu le camp, la famille se disloque. Un propos postmoderne qui n’a rien de neuf et sent même le réchauffé à plein nez, mais que Noël explore avec des mots qui frappent. Et qui tombent pile, avouons-le, alors que le Québec est en pleine remise en question de ses structures politiques et sociales, lesquelles semblent n’entraîner aujourd’hui que désillusion et désœuvrement, après avoir suscité tant d’espoir.
N’empêche, les clichés abondent et risquent de diluer le propos. Il y a d’abord cette sexualité trash, peut-être trop surlignée et surdramatisée. Puis cette solitude contemporaine exprimée en termes alarmistes, qui sonnent un peu faux, notamment chez le personnage de la mère (Hélène Mercier). Par moments, on craint que tout cela sombre dans le mélodrame. Évité de justesse.
Deuxième constat (qui arrive un peu loin dans ce texte, j’en conviens) : Éric Noël a surtout inventé une langue d’une efficacité indéniable. Elliptique sans être abusivement hachurée, aérienne tout en conservant un pied sur terre, crue sans être grossière : elle sonne presque toujours juste.
Troisième constat : le metteur en scène Gaétan Paré, comme toujours, a été respectueux du texte et très soucieux de faire entendre convenablement cette parole et d’en faire résonner les enjeux. Il avait adopté la même sage attitude dans ses récentes mises en scène du Moche de Marius Von Mayenburg et des Bonnes de Genet, productions plus modestes présentées dans le réseau des salles parallèles de Montréal.
Or, trop de retenue et de respect pour l’écriture ne rendent pas toujours service au texte – on a ici l’impression que le metteur en scène n’a pas su éclairer la pièce d’un regard personnel ni même d’une simple lumière révélatrice. La mise en scène transporte le drame sans le mettre en relief. Le même constat s’applique au jeu général des acteurs, hormis peut-être le monologue du toujours excellent Daniel Gadouas, plus émotivement investi.
Faire des enfants
Texte : Éric Noël. Mise en scène : Gaétan Paré. Assistance à la mise en scène et régie : Olivier Gaudet-Savard. Scénographie : Mylène Chabrol. Interprétation : Dany Boudreault, Sonia Cordeau, Ludger Côté, Normand Daoust, Daniel Gadouas, Marc-André Goulet, Rachel Graton et Hélène Mercier. Une production du Théâtre de Quat’Sous présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 13 novembre 2011.