«C’tu ça qui est ça?». C’est ce que se demandent Bob (Pierre-Luc Brillant) et Helena (Isabelle Blais), trentenaires insatisfaits que le hasard fait se rencontrer dans un bar d’Edimbourg et qui finiront ensemble dans une rocambolesque virée dans les rues pluvieuses de la ville. Ils n’ont rien en commun, c’est eux-mêmes qui le disent, mais tous les deux ont envie de recommencer à zéro, de retrouver la liberté qu’ils croient avoir perdue et la possibilité de vivre selon leurs réelles aspirations. Même s’ils ont 35 ans et que, selon les lois non-écrites de la vie adulte, on ne recommence pas sa vie à cet âge crucial où notre construction identitaire est déjà trop avancée. Ils sont attachants avec leurs rêves brisés et leur inadéquation sociale, qu’ils expriment en termes grinçants. De parfaits personnages de théâtre, déjà en conflit avec eux-mêmes avant même de se confronter à l’autre.
Elle est avocate spécialisée dans les cas de divorce. Il est un petit truand qui vit de petits trafics. Ils sont cyniques, désillusionnés, pessimistes face à l’amour qui les a toujours déçus. Il y aura, évidemment, un renversement de situation. Comme dans toute bonne comédie romantique, celle-ci finira bien. Mais son intérêt est ailleurs: dans cette écriture qui emprunte la forme narrative pour prendre une distance par rapport aux bons sentiments et se rapprocher des différents états d’esprit et éclairs de pensée qui animent les personnages, finalement pour analyser (en toute légèreté) leur dynamique relationnelle plutôt que de simplement la représenter. Se partageant harmonieusement la parole, ils portent un regard rétrospectif sur leur romance. Ce qui donne tantôt lieu à une narration ironique, porteuse du cynisme et des désillusions des personnages, et tantôt à une narration complice et rieuse, témoignant du plaisir qu’ils ont à se remémorer leur folle virée, en gonflant les anecdotes et en se mythifiant eux-mêmes.
La guitare et les micros n’étant jamais loin, ils poussent aussi la chansonnette. Les compositions folk de Pierre-Luc Brillant suivent la même courbe que la narration, permettant aux protagonistes de témoigner du regard amusé qu’ils portent sur leur couple naissant et sur les transformations qui s’opèrent en eux. Car il s’agit bien d’un récit de transformation. On pourrait dire que l’ambiance est cabaret, mais il serait plus juste de parler de concert intimiste ou de chansons de feu de camp, tant la mise en scène de Philippe Lambert approche la musique avec simplicité, à la bonne franquette, sans emphase mais avec un plaisir évident. On trouve partout la même simplicité volontaire: un théâtre de la suggestion qui n’utilise que quelques accessoires et quelques morceaux de costumes pour faire vivre une tonne de situations et créer divers environnements. Rien de bien neuf là, et cette modestie n’aurait sans doute pas réussi à un texte mineur. Mais elle met en valeur le pouvoir d’évocation de l’écriture de David Greig. Ceux qui ont vu Yellow Moon l’an dernier (dans une mise en scène de Sylvain Bélanger) se rappellent de sa plume puissamment narrative. Midsummer est une pièce bien plus légère, qui n’a pas la richesse symbolique de la précédente ni sa complexité. Mais l’agilité narrative demeure.
Plus intéressant encore: Bob et Helena rejettent le conformisme social qui les entourent mais n’arrivent pas à se sentir bien dans leur position dissidente. Jusqu’à ce que, confrontés l’un à l’autre à un moment d’extrême déconvenue, par un magnifique hasard de la vie, ils arrivent enfin à cesser de considérer la pression sociale qui les entoure et à accepter leur nature libre et frivole. Il leur aura fallu atteindre une situation-limite pour être capable de mettre un frein au mal-être qui les ronge et pour se permettre une rencontre authentique et brute avec l’autre, sans masques et sans faux-fuyants. Midsummer agit ainsi comme un appel à se libérer de nos chaînes pour vivre en accord avec nous-mêmes. Du théâtre sympathique, qui ne réinvente pas le monde mais qui fait du bien.
Texte : David Greig. Mise en scène : Philippe Lambert. Avec Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant. Une production La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 14 avril 2012.
«C’tu ça qui est ça?». C’est ce que se demandent Bob (Pierre-Luc Brillant) et Helena (Isabelle Blais), trentenaires insatisfaits que le hasard fait se rencontrer dans un bar d’Edimbourg et qui finiront ensemble dans une rocambolesque virée dans les rues pluvieuses de la ville. Ils n’ont rien en commun, c’est eux-mêmes qui le disent, mais tous les deux ont envie de recommencer à zéro, de retrouver la liberté qu’ils croient avoir perdue et la possibilité de vivre selon leurs réelles aspirations. Même s’ils ont 35 ans et que, selon les lois non-écrites de la vie adulte, on ne recommence pas sa vie à cet âge crucial où notre construction identitaire est déjà trop avancée. Ils sont attachants avec leurs rêves brisés et leur inadéquation sociale, qu’ils expriment en termes grinçants. De parfaits personnages de théâtre, déjà en conflit avec eux-mêmes avant même de se confronter à l’autre.
Elle est avocate spécialisée dans les cas de divorce. Il est un petit truand qui vit de petits trafics. Ils sont cyniques, désillusionnés, pessimistes face à l’amour qui les a toujours déçus. Il y aura, évidemment, un renversement de situation. Comme dans toute bonne comédie romantique, celle-ci finira bien. Mais son intérêt est ailleurs: dans cette écriture qui emprunte la forme narrative pour prendre une distance par rapport aux bons sentiments et se rapprocher des différents états d’esprit et éclairs de pensée qui animent les personnages, finalement pour analyser (en toute légèreté) leur dynamique relationnelle plutôt que de simplement la représenter. Se partageant harmonieusement la parole, ils portent un regard rétrospectif sur leur romance. Ce qui donne tantôt lieu à une narration ironique, porteuse du cynisme et des désillusions des personnages, et tantôt à une narration complice et rieuse, témoignant du plaisir qu’ils ont à se remémorer leur folle virée, en gonflant les anecdotes et en se mythifiant eux-mêmes.
La guitare et les micros n’étant jamais loin, ils poussent aussi la chansonnette. Les compositions folk de Pierre-Luc Brillant suivent la même courbe que la narration, permettant aux protagonistes de témoigner du regard amusé qu’ils portent sur leur couple naissant et sur les transformations qui s’opèrent en eux. Car il s’agit bien d’un récit de transformation. On pourrait dire que l’ambiance est cabaret, mais il serait plus juste de parler de concert intimiste ou de chansons de feu de camp, tant la mise en scène de Philippe Lambert approche la musique avec simplicité, à la bonne franquette, sans emphase mais avec un plaisir évident. On trouve partout la même simplicité volontaire: un théâtre de la suggestion qui n’utilise que quelques accessoires et quelques morceaux de costumes pour faire vivre une tonne de situations et créer divers environnements. Rien de bien neuf là, et cette modestie n’aurait sans doute pas réussi à un texte mineur. Mais elle met en valeur le pouvoir d’évocation de l’écriture de David Greig. Ceux qui ont vu Yellow Moon l’an dernier (dans une mise en scène de Sylvain Bélanger) se rappellent de sa plume puissamment narrative. Midsummer est une pièce bien plus légère, qui n’a pas la richesse symbolique de la précédente ni sa complexité. Mais l’agilité narrative demeure.
Plus intéressant encore: Bob et Helena rejettent le conformisme social qui les entourent mais n’arrivent pas à se sentir bien dans leur position dissidente. Jusqu’à ce que, confrontés l’un à l’autre à un moment d’extrême déconvenue, par un magnifique hasard de la vie, ils arrivent enfin à cesser de considérer la pression sociale qui les entoure et à accepter leur nature libre et frivole. Il leur aura fallu atteindre une situation-limite pour être capable de mettre un frein au mal-être qui les ronge et pour se permettre une rencontre authentique et brute avec l’autre, sans masques et sans faux-fuyants. Midsummer agit ainsi comme un appel à se libérer de nos chaînes pour vivre en accord avec nous-mêmes. Du théâtre sympathique, qui ne réinvente pas le monde mais qui fait du bien.
Midsummer
Texte : David Greig. Mise en scène : Philippe Lambert. Avec Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant. Une production La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 14 avril 2012.