Ainsi qu’on a pu le constater récemment avec sa pièce L’Affiche ou son exposition La Porte du non-retour, Philippe Ducros est un homme engagé, qui utilise l’art pour nous sensibiliser aux enjeux sociopolitiques de notre monde, et aux abus et injustices de toute nature qui abondent en ce XXIe siècle naissant. Son dernier texte, Dissidents, est de la même veine.
Incarné avec fougue par Patrice Dubois (qui signe également la mise en scène), le personnage principal est un indigné qui est passé à l’action. Enfermé on ne sait trop où (prison? hôpital psychiatrique?), il est interrogé tour à tour par une femme (Éveline Gélinas) qui cherche à comprendre ses motivations, et par un homme un peu fêlé (Sébastien Dodge) qui lui promet toutes les souffrances du monde. De temps à autre, une préadolescente (Marilyn Castonguay) qui semble être sa fille fait irruption sur scène et interagit avec lui. Qu’a-t-il fait exactement? On ne le saura pas. Qui est-il? On ne saura pas non plus. Soumis à la question, il offre lui-même des portraits radicalement différents de sa propre personne dans l’espoir d’éviter la récupération de son geste: ce qu’il veut, c’est parler de la cause qui le motive.
Dans cette pièce, Ducros dénonce les dérives du progrès, du capitalisme et de la société de surconsommation, qui aggravent les inégalités, épuisent les ressources naturelles et détruisent notre environnement, mais il va bien au-delà, s’interrogeant sur les moyens d’action que nous avons à notre disposition pour essayer de faire changer les choses. La violence y est clairement présentée comme une arme à double tranchant, qui peut se retourner contre celui qui en fait usage. D’ailleurs, la révolte en général possède un caractère intrinsèquement destructeur. Mais face à un système à la fois ultra puissant et désincarné, que peut faire un simple individu? La solution ne passe-t-elle pas obligatoirement par l’action collective, les gestes individuels étant irrémédiablement voués à l’échec? En filigrane, on perçoit également une dénonciation de l’hypocrisie d’une société qui refuse la violence, mais qui n’hésite pas à en faire usage elle-même, le personnage de Sébastien Dodge n’étant ni plus ni moins qu’un tortionnaire qui, s’il n’arrache pas d’ongles et ne crève pas d’yeux, manie avec aisance la torture psychologique. Par ailleurs, le fait que le dissident craigne la récupération de son geste pointe du doigt les dérives marketing de notre société, qui transforme toute action, toute prise de position, toute réflexion même, en slogan publicitaire, dans un effort constant de priver les individus de leur capacité de raisonnement pour leur faire plutôt avaler une pensée prémâchée servant les intérêts des puissants.
On l’aura compris, la pièce est riche et donne matière à réflexion. Ce qui est regrettable, c’est que Ducros ait versé excessivement dans le discours, nous assénant son propos comme une leçon, comme s’il craignait que l’on ne reçoive pas le message. Côté mise en scène, le travail de Patrice Dubois est plutôt habile, mais on regrette l’image un peu trop facile du tas de chaussures tombant du plafond, évoquant les pyramides de chaussures organisées par Handicap international pour dénoncer l’usage des mines antipersonnel, ainsi que le tableau final, rappelant la peinture de Delacroix intitulé La Liberté guidant le peuple, qui n’est pas sans faire écho au procédé utilisé par Claude Poissant dans sa mise en scène d’Abraham Lincoln va au théâtre.
L’aspect le plus intéressant de la pièce est sans doute le flou identitaire qui règne autour des personnages, et qui permet au spectateur de tirer ses propres conclusions ou, justement, de ne pas en tirer, admettant l’impasse dans laquelle nous nous trouvons si chacun reconnaît l’imminence du désastre – qu’il soit économique, social, écologique ou politique -, mais que personne (ou presque) n’est prêt à faire sa part (avec les sacrifices que cela implique) pour changer les choses.
Dissidents
De Philippe Ducros
Mise en scène par Patrice Dubois
Une production du Théâtre PAP, à l’Espace GO jusqu’au 31 mars
Ainsi qu’on a pu le constater récemment avec sa pièce L’Affiche ou son exposition La Porte du non-retour, Philippe Ducros est un homme engagé, qui utilise l’art pour nous sensibiliser aux enjeux sociopolitiques de notre monde, et aux abus et injustices de toute nature qui abondent en ce XXIe siècle naissant. Son dernier texte, Dissidents, est de la même veine.
Incarné avec fougue par Patrice Dubois (qui signe également la mise en scène), le personnage principal est un indigné qui est passé à l’action. Enfermé on ne sait trop où (prison? hôpital psychiatrique?), il est interrogé tour à tour par une femme (Éveline Gélinas) qui cherche à comprendre ses motivations, et par un homme un peu fêlé (Sébastien Dodge) qui lui promet toutes les souffrances du monde. De temps à autre, une préadolescente (Marilyn Castonguay) qui semble être sa fille fait irruption sur scène et interagit avec lui. Qu’a-t-il fait exactement? On ne le saura pas. Qui est-il? On ne saura pas non plus. Soumis à la question, il offre lui-même des portraits radicalement différents de sa propre personne dans l’espoir d’éviter la récupération de son geste: ce qu’il veut, c’est parler de la cause qui le motive.
Dans cette pièce, Ducros dénonce les dérives du progrès, du capitalisme et de la société de surconsommation, qui aggravent les inégalités, épuisent les ressources naturelles et détruisent notre environnement, mais il va bien au-delà, s’interrogeant sur les moyens d’action que nous avons à notre disposition pour essayer de faire changer les choses. La violence y est clairement présentée comme une arme à double tranchant, qui peut se retourner contre celui qui en fait usage. D’ailleurs, la révolte en général possède un caractère intrinsèquement destructeur. Mais face à un système à la fois ultra puissant et désincarné, que peut faire un simple individu? La solution ne passe-t-elle pas obligatoirement par l’action collective, les gestes individuels étant irrémédiablement voués à l’échec? En filigrane, on perçoit également une dénonciation de l’hypocrisie d’une société qui refuse la violence, mais qui n’hésite pas à en faire usage elle-même, le personnage de Sébastien Dodge n’étant ni plus ni moins qu’un tortionnaire qui, s’il n’arrache pas d’ongles et ne crève pas d’yeux, manie avec aisance la torture psychologique. Par ailleurs, le fait que le dissident craigne la récupération de son geste pointe du doigt les dérives marketing de notre société, qui transforme toute action, toute prise de position, toute réflexion même, en slogan publicitaire, dans un effort constant de priver les individus de leur capacité de raisonnement pour leur faire plutôt avaler une pensée prémâchée servant les intérêts des puissants.
On l’aura compris, la pièce est riche et donne matière à réflexion. Ce qui est regrettable, c’est que Ducros ait versé excessivement dans le discours, nous assénant son propos comme une leçon, comme s’il craignait que l’on ne reçoive pas le message. Côté mise en scène, le travail de Patrice Dubois est plutôt habile, mais on regrette l’image un peu trop facile du tas de chaussures tombant du plafond, évoquant les pyramides de chaussures organisées par Handicap international pour dénoncer l’usage des mines antipersonnel, ainsi que le tableau final, rappelant la peinture de Delacroix intitulé La Liberté guidant le peuple, qui n’est pas sans faire écho au procédé utilisé par Claude Poissant dans sa mise en scène d’Abraham Lincoln va au théâtre.
L’aspect le plus intéressant de la pièce est sans doute le flou identitaire qui règne autour des personnages, et qui permet au spectateur de tirer ses propres conclusions ou, justement, de ne pas en tirer, admettant l’impasse dans laquelle nous nous trouvons si chacun reconnaît l’imminence du désastre – qu’il soit économique, social, écologique ou politique -, mais que personne (ou presque) n’est prêt à faire sa part (avec les sacrifices que cela implique) pour changer les choses.
Dissidents
De Philippe Ducros
Mise en scène par Patrice Dubois
Une production du Théâtre PAP, à l’Espace GO jusqu’au 31 mars