Chroniques

Antigone, une désobéissante civile

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE, doit-il être démonisé parce qu’il continue de vouloir inscrire l’action de son association dans une tradition de désobéissance civile? Dans les médias les plus populistes, mais aussi dans une grande partie de l’opinion publique, ses propos semblent avoir été perçus comme des incitations à une violence extrême. Les chroniqueurs de la radio-poubelle de Québec n’hésitent même pas à voir en lui un nouveau Staline. Faudrait se calmer. 

La désobéissance civile, c’est la désobéissance à une loi, de manière non-violente, pour dénoncer une injustice. La CLASSE a bien raison d’y associer Ghandi, Martin Luther King et Nelson Mandela, qui ont tous enfreint des lois pour défendre sans violence des causes nobles. Quand les étudiants peignent en rouge l’extérieur des bureaux du Ministère de l’Éducation, par exemple, ils posent un geste de désobéissance civile qui a valeur de symbole. Tous les mouvements de contestation populaire usent de ces manoeuvres pour installer un rapport de force, mais aussi pour créer des images fortes et signifiantes. Il y a indéniablement un souffle artistique dans ce genre d’action. Et personne n’en souffre vraiment.

Je réfléchissais à ça hier en préparant un article pour Le Devoir, sur Antigone et Electre, héroïnes grecques que Wajdi Mouawad ramène sur scène dans la trilogie Des Femmes (en ce moment à l’affiche à Ottawa et bientôt à Montréal et Québec). Dans cet article que vous pourrez lire samedi, le professeur de philosophie ancienne Georges Leroux réfléchit avec moi au sens de la dissidence d’Antigone, qui brave la loi et qui confronte son oncle Créon pour défendre ses valeurs.

Or, je viens de tomber par hasard sur un texte de Bruno Lacroix sur le blogue du programme Histoire et civilisation du Cégep Marie-Victorin, dans lequel il évoque le concept de désobéissance civile en citant de grands textes littéraires, notamment Antigone.

CRÉON : Ainsi tu as osé passer outre à ma loi?

ANTIGONE : Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux?»

Je garderai certainement ceci en tête quand je retournerai voir Des Femmes au TNM. 

Et je penserai aussi à Camus, qui a écrit de si troublantes vérités.

«Il n’y a pas longtemps, c’étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées, aujourd’hui ce sont les bonnes.»

 

Philippe Couture

À propos de

Critique de théâtre, journaliste et rédacteur web travaillant entre Montréal et Bruxelles, Philippe Couture collabore à Jeu depuis 2009. En plus de contribuer au Devoir, à des émissions d’ICI Radio-Canada Première, au quotidien belge La Libre et aux revues Alternatives Théâtrales et UBU Scènes d’Europe, il est l’un des nouveaux interprètes du spectacle-conférence La Convivialité, en tournée en France et en Belgique.