Critiques

Léo et Ro-Pu : Quelques mots et quelques liens

En écho à l’article «Léo ou comment court-circuiter un cerveau tranquille», signé par Alain-Martin Richard publié dans ces pages web, j’aimerais ajouter quelques mots et surtout, quelques liens en rapport avec le cirque. 

En 1907, le réalisateur espagnol Segundo de Chomón tourne Les Kiriki acrobates japonais, qu’on retrouve sur youtube. Ce court métrage utiliseune technique tenant autant du trucage que de l’effet d’optique en filmant d’en haut des personnages évoluant sur un plancher. Il montrait les fantaisistes exploits d’une troupe vêtue de costumes nippons. L’amusant résultat a inspiré un vidéo hommage, Abracadabra Accromen kiriki , à Philippe Decouflé, avantageusement connu comme metteur en scène de cirque. Daniele Finzi Pasca, réputé au Québec pour sa Trilogie du ciel avec le cirque Éloize, fait usage de ce même procédé dans Donka, une lettre à Tchékhov pour un numéro drôlement réussi dont il existe un vidéo intitulé Gravity Sisters. Pendant Montréal Complètement Cirque, la compagnie finlandaise Circo Aereo présentait Ro-Pu, œuvre dans laquelle on retrouvait un numéro avec une variante: l’image avait été filmée au préalable plutôt que de montrer en direct les mouvements des acrobates au sol, qui «mimaient» des funambules en reprenant les mêmes mouvements que dans la projection. 

Ce qui m’amène à Leo, qui propose en revanche un univers fort original et qui, s’il se base sur un procédé, mélange le jeu, la vidéo, l’acrobatie, le dessin, l’animation. Et tout ça dans une scénographie minimale avec une valise comme seul accessoire. Où est Léo? Appuyé contre un mur avec sa valise. Sur un quai de gare? Dans une rue? Non car c’est à l’intérieur d’une pièce que Léo découvre et explore son espace avec nous. Il se dessine un intérieur à la craie, s’en amuse et nous amuse. Des animations apparaissent, le bocal à poisson se renverse et, jolie métaphore d’une imagination débordante, l’eau monte et Léo se meut dans l’onde comme une loutre qui batifole. 

La performance acrobatique est ici au service d’un scénario ludique et l’objectif n’est pas la prouesse. Créant un comique et une poésie intimement liés aux lois de la gravité, la partition chorégraphique et acrobatique sans paroles de Tobias Wegner fait même l’objet d’un traitement de l’image qui rappelle l’effet – innovateur en 1968 – obtenu par Norman McLaren dans son Pas de deux. Les jeux d’éclairages efficaces donnent de jolis plans cinématographiques. Le public promène incessamment son regard entre le performeur dans son espace et l’image qu’il produit; à l’angle de la caméra s’ajoute le point de vue du spectateur qui englobe tout ce processus. 

Exit Leo par sa valise qui lui ouvre tout grand son couvercle. Passe-t-il de notre monde pour entrer dans le sien? Il sort de celui à qui il a donné forme sous nos yeux pour redevenir un simple mortel, comme vous et moi, et, il le dessine humoristiquement au rappel, il a besoin d’une bonne douche après le travail. 

Pour en revenir à Ro-Pu, la proposition esthétique forte de Circo Aereo intègre la musique en direct et les numéros ne sont pas tous purement circassiens. La corde torsadée blanche se décline en hauteur tout autant qu’au sol, accentuant le vaste espace scénique de l’Usine C. Les tableaux se succèdent: manipulation à différentes longueur, avec un zeste de magie, chorégraphie sur une corde fixe suspendue en deux points, montées à la corde lisse. Beaucoup de travail en précision et en force pour certains moments de chorégraphie à l’unisson et intéressant usage de l’animation pour un numéro d’illusion et de manipulation. Parlant de synchronisation entre cirque et vidéo, mentionnons que la compagnie WHS a développé un captivant numéro de jonglerie avec quilles dans Odotustila, présenté à Espace Libre pendant MCC. 

On entend souvent la guitare, instrument prédestiné, pendant Ro-Pu, spectacle tout en douceur où l’on voit des mètres et des mètres de cordes. En phase avec la musique techno atmosphérique des formes légères sont projetées sur le mur de brique, semblant tomber du ciel en tournoyant sur elles-mêmes. Les éclairages zonés se découpent autant sur le plancher que sur le mur en fond de scène dans cette œuvre atmosphérique et linéaire, sans texte ni drame, dont les actions, souvent en lenteur, respirent une certaine quiétude. 

Et pour ceux qui ont manqué Léo, vous aurez la chance de le voir à Montréal en novembre à Espace Libre