Chroniques

Source libre : La cruelle beauté du processus de création

Le Théâtre LA45 est de retour avec une nouvelle expérience de théâtre dynamique. Après avoir donné forme à de l’impro-bungee, du théâtre sportif et des baladofictions, Martin Bellemare, Félix Monette-Dubeau et Francis-William Rhéaume dévoilent Source libre, une expérience d’écriture collaborative tirant profit des possibilités d’Internet, quelque chose comme une redéfinition contemporaine de l’expression «création collective». Le projet, écrivent-ils, est «né d’une volonté de réunir les gens et d’aborder l’écriture dramatique sous un angle différent en s’inspirant des principes de coopération et de partage qui nous semblent essentiels dans l’évolution du monde contemporain».

Toujours sur le site de Source libre, on peut lire: «À l’aide d’Internet, pouvons-nous imaginer, à l’instar de ce qui se fait avec l’open source, une coopération sans coordination permettant “d’optimiser” le processus d’écriture collective d’une pièce de théâtre? Le Théâtre LA45 souhaite étudier cette question. En nous inspirant de GitHub [un service web d’hébergement et de gestion de développement de logiciels], nous avons imaginé une plate-forme d’écriture collaborative accessible par plusieurs auteurs au moyen d’Internet.»

De Marie-Josée Bastien à Elkahna Talbi, en passant par Mathieu Gosselin, 24 auteurs québécois ont accepté de participer bénévolement à cette expérience de trois mois. Du 1er février 2013 à minuit au 30 avril 2013 à 23 h 59, ils vont travailler conjointement à l’écriture d’un seul et même texte. Simultanément, de façon anonyme, sans avoir à argumenter sur le contenu, sans contraintes concernant le fond ou la forme, ils vont créer ensemble une œuvre dramatique. Leur point de départ: les mots «source» et «libre».

Les penseurs de l’aventure écrivent encore: «Les auteurs sont au fait de tous les changements et peuvent à tout moment revenir en arrière ou intervenir sur ce qu’un autre auteur écrit, même quand il est en train de l’écrire. Le processus de création devient alors très dynamique: il est basé sur la réaction davantage que sur la discussion.» Vous aurez compris que l’humilité est ici de mise.

Ce croisement d’imaginaires est passionnant à observer dans son mouvement perpétuel. Je vous recommande chaudement d’aller jeter un œil sur le chantier. C’est un bien étrange sentiment que celui de se découvrir un engouement pour un passage, une idée ou une image et de se dire que demain, peut-être, tout cela ne sera plus. Du moins pas exactement sous cette même forme. C’est une manière de démystifier le processus de création, bien entendu, mais aussi de nous en faire goûter toute la cruauté.

En ce moment, j’aime beaucoup ce passage: «…même si je suis transparente / même si je suis laide / même si je suis petite / même si je sais pas parler / même si ça me demande tout / je serais la fille / lui serait le gars / ça serait déjà ça ». Vous croyez savoir qui est l’auteur(e) de ces mots? Vous avez envie de donner votre point de vue? Il y a justement sur le site de Source libre un espace pour commenter. Allez-y, exprimez-vous! Peut-être aurez-vous une influence sur la suite des choses.

Au terme des trois mois, le Théâtre LA45 produira au Théâtre de Quat’Sous une lecture publique de texte qui résultera de l’expérience. «Selon les conclusions tirées, écrivent les organisateurs, il est possible d’envisager entrer dans une deuxième phase expérimentale et poursuivre le processus d’écriture pour faire de Source libre un spectacle de théâtre.»

 

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Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.