«L’auteur écrit une pièce, les acteurs en jouent une autre et le public en comprend une troisième», affirmait avec raison l’homme de théâtre Charles Baret. En écrivant en 1902 Les bas-fonds, Gorki pouvait-il même anticiper que, une cinquantaine d’années après, le légendaire Akira Kurosawa l’adapterait au cinéma sous le titre de Donzoko, et qu’un siècle plus tard, la pièce prendrait une résonance bien particulière, à Montréal, le metteur en scène René Miglaccio souhaitant susciter chez le spectateur une réflexion sur le thème de l’itinérance?
Redécouvrir cette pièce à la fois sombre et lumineuse, sise dans la Russie prérévolutionnaire, pourtant d’une troublante actualité, dans les Ateliers Jean-Brillant avait quelque chose de fascinant. Les dialogues des comédiens se trouvaient de façon aléatoire ponctués par le rugissement des camions de déneigement sur les rues avoisinantes, étrange mise en abime des nuits passées dans les refuges, sans compter que les spectateurs transis par une humidité plutôt traîtresse en ce soir glacial de février n’avaient par moments d’autre choix que de se blottir dans les couvertures disposées sur les chaises. Prêts à vivre entièrement l’expérience, on aurait d’ailleurs souhaité que les extraits vidéo présentés en prélude et postlude, dans lesquels des itinérants montréalais se révèlent sans fards, soient intégrés à la trame narrative, comme ponctuation peut-être entre certaines scènes ou pour souligner un propos.
René Miglaccio et la jeune Compagnie de la Lettre 5 pratiquent un «réalisme expressionniste», approche inspirée par l’expressionnisme allemand et l’art japonais, dans laquelle le corps joue un rôle essentiel. À travers un jeu de masques (les acteurs maquillés de blanc) et une gestuelle chorégraphiée avec minutie, la pièce perd toute référence aux temps et aux lieux (outre le maintien des noms des protagonistes). Si la prémisse parait séduisante, la réalisation se révèle nettement moins convaincante, en grande partie parce que les comédiens ne semblent pas disposer d’un vocabulaire commun.
Si Louise Boisvert incarne avec brio le personnage central de Louka et que le jeu tantôt explosif, tantôt nuancé, de Jean-Charles Fonti, en Pepel, convainc sans peine, la multiplicité des accents (Grégoire Cloutier passant notamment, peut-être consciemment, d’un français international soutenu à un québécois assumé), le manque de projection de certains, la surenchère des autres et le grésillement des haut-parleurs finissent par distraire le spectateur, l’empêchant d’apprécier à sa juste valeur la proposition. On retiendra néanmoins le rouge vibrant du manteau du personnage de l’acteur et du drap recouvrant la couche de la mourante Anna, la division de l’espace en blocs (un éclairage plus ciblé nous aurait permis de mieux saisir les bagarres de rue transposées à la mezzanine), certains détails du décor rappelant le film de Kurosawa.
Il faut néanmoins admettre que le spectacle offre un regard différent sur l’itinérance. Et si tous ces laissés pour compte croisés chaque jour n’étaient au fond que des personnages en quête d’un public?
«L’auteur écrit une pièce, les acteurs en jouent une autre et le public en comprend une troisième», affirmait avec raison l’homme de théâtre Charles Baret. En écrivant en 1902 Les bas-fonds, Gorki pouvait-il même anticiper que, une cinquantaine d’années après, le légendaire Akira Kurosawa l’adapterait au cinéma sous le titre de Donzoko, et qu’un siècle plus tard, la pièce prendrait une résonance bien particulière, à Montréal, le metteur en scène René Miglaccio souhaitant susciter chez le spectateur une réflexion sur le thème de l’itinérance?
Redécouvrir cette pièce à la fois sombre et lumineuse, sise dans la Russie prérévolutionnaire, pourtant d’une troublante actualité, dans les Ateliers Jean-Brillant avait quelque chose de fascinant. Les dialogues des comédiens se trouvaient de façon aléatoire ponctués par le rugissement des camions de déneigement sur les rues avoisinantes, étrange mise en abime des nuits passées dans les refuges, sans compter que les spectateurs transis par une humidité plutôt traîtresse en ce soir glacial de février n’avaient par moments d’autre choix que de se blottir dans les couvertures disposées sur les chaises. Prêts à vivre entièrement l’expérience, on aurait d’ailleurs souhaité que les extraits vidéo présentés en prélude et postlude, dans lesquels des itinérants montréalais se révèlent sans fards, soient intégrés à la trame narrative, comme ponctuation peut-être entre certaines scènes ou pour souligner un propos.
René Miglaccio et la jeune Compagnie de la Lettre 5 pratiquent un «réalisme expressionniste», approche inspirée par l’expressionnisme allemand et l’art japonais, dans laquelle le corps joue un rôle essentiel. À travers un jeu de masques (les acteurs maquillés de blanc) et une gestuelle chorégraphiée avec minutie, la pièce perd toute référence aux temps et aux lieux (outre le maintien des noms des protagonistes). Si la prémisse parait séduisante, la réalisation se révèle nettement moins convaincante, en grande partie parce que les comédiens ne semblent pas disposer d’un vocabulaire commun.
Si Louise Boisvert incarne avec brio le personnage central de Louka et que le jeu tantôt explosif, tantôt nuancé, de Jean-Charles Fonti, en Pepel, convainc sans peine, la multiplicité des accents (Grégoire Cloutier passant notamment, peut-être consciemment, d’un français international soutenu à un québécois assumé), le manque de projection de certains, la surenchère des autres et le grésillement des haut-parleurs finissent par distraire le spectateur, l’empêchant d’apprécier à sa juste valeur la proposition. On retiendra néanmoins le rouge vibrant du manteau du personnage de l’acteur et du drap recouvrant la couche de la mourante Anna, la division de l’espace en blocs (un éclairage plus ciblé nous aurait permis de mieux saisir les bagarres de rue transposées à la mezzanine), certains détails du décor rappelant le film de Kurosawa.
Il faut néanmoins admettre que le spectacle offre un regard différent sur l’itinérance. Et si tous ces laissés pour compte croisés chaque jour n’étaient au fond que des personnages en quête d’un public?
Les Bas-fonds
Texte: Maxime Gorki
Mise en scène: René Migliacci
Une production de la Compagnie de la lettre 5, aux Ateliers Jean-Brillant (661, rue Rose-de-Lima, Montréal) jusqu’au 23 février