Le Canada a déployé ses premiers soldats en Afghanistan à l’automne 2001, malgré les réserves de plusieurs analystes et l’opprobre de l’opinion publique. Des dizaines de morts canadiennes ont ponctué le conflit, autant de rappels de la nature létale de l’opération. Et puis, dans les énumérations statistiques, on oublie trop souvent les blessés, lourds ou légers, ainsi que les séquelles que tous porteront, autant de cicatrices non apparentes, mais présentes.
Peut-on revenir indemne de l’Afghanistan ? Warwick il y a quelques semaines posait la question de façon assez frontale. Grains de sable de Milena Buziak propose cette fois une approche peut-être plus indirecte, un cadre plus dépouillé, en apparence plus clinique (ne parle-t-on pas de théâtre documentaire ?), mais qui néanmoins fait mouche.
Ici, pas de détour dramaturgique, de liberté littéraire. L’auteure et metteure en scène s’appuie sur les témoignages d’un colonel, d’un adjudant et d’un caporal, de leurs épouses, recueillis au cours de 20 heures d’entrevues. Mots, intonations, silences, hésitations, scories syntaxiques : par respect, par volonté de transmettre sans filtre, Buziak a choisi de conserver la langue, le fil de pensées des intervenants. En agençant les phrases, tantôt les apposant, tantôt les opposant, elle propose une lecture polyphonique, qui refuse de prendre position, de tomber dans le prêche. « La vérité est parfois contradictoire », dit-elle elle-même, avant de s’assoir en retrait, calepin et stylo à portée de main, dans l’ombre de ce qui se joue sur scène.
On en apprendra sur certaines stratégies de déploiement, mais surtout sur l’impuissance qui habite les militaires quand ils perdent un compagnon d’armes (« T’es pas préparé à vider la chambre de ton chum. »), leur difficulté à réintégrer un quotidien qui n’exclut pas toujours la violence (« Je me réveille ici, mais j’suis encore là-bas. »), le sentiment de fierté ambigüe (« Je suis fier d’être revenu en un seul morceau. »), le yo-yo émotionnel de leurs épouses, parfois soulagées de vivre en solo, souvent inquiètes de devoir annoncer un jour à leurs enfants le décès de cet homme qu’ils connaissent souvent si peu, leurs embarras à instiller le respect du métier du père quand d’autres considèrent ce dernier comme un meurtrier.
La distribution sans faiblesse (Kathleen Aubert, Jean Belzil-Gascon, Jean-Guy Bouchard, Alexis Gareau, Isabelle Miquelon et Isabelle Montpetit) permet aux différentes voix de s’élever, de se répondre, de se superposer en strates. On s’attache aux personnages, qui se racontent, se questionnent, apprivoisent la blessure au cœur même de leur vie, continuent d’avancer, de s’aimer malgré tout.
On aurait souhaité que le propos puisse être développé de façon encore plus étoffée et organique (50 minutes pour faire le tour de cette épineuse question, c’est bien peu), mais saluons néanmoins l’efficacité des déplacements de chaises (qu’on associent comme autant de formations de combat peut-être) et le choix de déverser en apex de la pièce du sable, rappel des premiers échanges (les femmes expliquant que les fines particules s’immiscent partout, même dans l’odeur de leur homme), mais geste qui nous permet aussi de comprendre viscéralement toute la difficulté de combattre dans de telles conditions.
De Milena Buziak. Une production des Voyageurs immobiles. À l’Espace libre jusqu’au 16 mars 2013.
Le Canada a déployé ses premiers soldats en Afghanistan à l’automne 2001, malgré les réserves de plusieurs analystes et l’opprobre de l’opinion publique. Des dizaines de morts canadiennes ont ponctué le conflit, autant de rappels de la nature létale de l’opération. Et puis, dans les énumérations statistiques, on oublie trop souvent les blessés, lourds ou légers, ainsi que les séquelles que tous porteront, autant de cicatrices non apparentes, mais présentes.
Peut-on revenir indemne de l’Afghanistan ? Warwick il y a quelques semaines posait la question de façon assez frontale. Grains de sable de Milena Buziak propose cette fois une approche peut-être plus indirecte, un cadre plus dépouillé, en apparence plus clinique (ne parle-t-on pas de théâtre documentaire ?), mais qui néanmoins fait mouche.
Ici, pas de détour dramaturgique, de liberté littéraire. L’auteure et metteure en scène s’appuie sur les témoignages d’un colonel, d’un adjudant et d’un caporal, de leurs épouses, recueillis au cours de 20 heures d’entrevues. Mots, intonations, silences, hésitations, scories syntaxiques : par respect, par volonté de transmettre sans filtre, Buziak a choisi de conserver la langue, le fil de pensées des intervenants. En agençant les phrases, tantôt les apposant, tantôt les opposant, elle propose une lecture polyphonique, qui refuse de prendre position, de tomber dans le prêche. « La vérité est parfois contradictoire », dit-elle elle-même, avant de s’assoir en retrait, calepin et stylo à portée de main, dans l’ombre de ce qui se joue sur scène.
On en apprendra sur certaines stratégies de déploiement, mais surtout sur l’impuissance qui habite les militaires quand ils perdent un compagnon d’armes (« T’es pas préparé à vider la chambre de ton chum. »), leur difficulté à réintégrer un quotidien qui n’exclut pas toujours la violence (« Je me réveille ici, mais j’suis encore là-bas. »), le sentiment de fierté ambigüe (« Je suis fier d’être revenu en un seul morceau. »), le yo-yo émotionnel de leurs épouses, parfois soulagées de vivre en solo, souvent inquiètes de devoir annoncer un jour à leurs enfants le décès de cet homme qu’ils connaissent souvent si peu, leurs embarras à instiller le respect du métier du père quand d’autres considèrent ce dernier comme un meurtrier.
La distribution sans faiblesse (Kathleen Aubert, Jean Belzil-Gascon, Jean-Guy Bouchard, Alexis Gareau, Isabelle Miquelon et Isabelle Montpetit) permet aux différentes voix de s’élever, de se répondre, de se superposer en strates. On s’attache aux personnages, qui se racontent, se questionnent, apprivoisent la blessure au cœur même de leur vie, continuent d’avancer, de s’aimer malgré tout.
On aurait souhaité que le propos puisse être développé de façon encore plus étoffée et organique (50 minutes pour faire le tour de cette épineuse question, c’est bien peu), mais saluons néanmoins l’efficacité des déplacements de chaises (qu’on associent comme autant de formations de combat peut-être) et le choix de déverser en apex de la pièce du sable, rappel des premiers échanges (les femmes expliquant que les fines particules s’immiscent partout, même dans l’odeur de leur homme), mais geste qui nous permet aussi de comprendre viscéralement toute la difficulté de combattre dans de telles conditions.
Grains de sable
De Milena Buziak. Une production des Voyageurs immobiles. À l’Espace libre jusqu’au 16 mars 2013.