Critiques

Yukonstyle : D’or et de silence

Le Yukon. Drôle d’endroit pour une rencontre entre quatre paumés, des amochés de la vie réunis sur un même canapé. Kate (Sophie Desmarais), jeune délurée habillée à la mode manga, est recueillie par Yuko (Cynthia Wu-Maheux), une Japonaise venue se perdre dans le seul endroit où elle ne risque pas de rencontrer des Japonais, qui vit en colocation avec Garin (Vincent Fafard), le fils métis d’une Native disparue et de Dad’s (Gérald Gagnon), qui traine sa misère de bouteille en bouteille jusqu’au lit d’hôpital. Tous, ils tentent de fuir leurs souvenirs, mais le passé les rattrape et vient au présent réclamer son dû. 

Leurs confessions sont bouleversantes. C’est la vie des petites gens, captée sur le vif, faite de blessures et de cicatrices; un exercice de survie au quotidien qui parfois semble impossible, quand il s’agit de recoller les morceaux d’une existence en miettes. Mais, et c’est ce qui les réunit malgré tout, ils sont tous en quête d’une rédemption, qu’ils vont trouver là où ils s’y attendent le moins. Dans cet univers sombre et décadent, il reste l’espoir que les rayons pâles du soleil, un jour, viendront dissiper le brouillard qui habite les personnages. 

Le texte de Sarah Bertiaume, larger than life, comme la devise du Yukon, explore avec une tendresse infinie les failles et le désespoir, la culpabilité et les remords sans pour autant tomber dans l’apitoiement. Aux dialogues crus répondent des monologues et récitatifs porteurs d’une grande poésie, d’un restant d’humanité dans un environnement aride et impitoyable. La belle scénographie de Max-Otto Fauteux, très dépouillée, très grise, évoque cette nature immense où l’homme n’aurait plus sa place, cette immense nuit plus vaste qu’un océan qu’il faut traverser comme une épreuve, une de plus.

Cependant, le jeu des acteurs gagnerait en retenue. Le texte mérite que l’on s’efface devant lui, qu’on lui donne toute la place. Or, mais peut-être est-ce l’effet «soir de première», certains passages en force étaient disons… trop forts, justement. La mise en scène de Martin Faucher reste économe en silences alors que le silence hurle à la mort, empoisonnant Garin, torturant Yuko, détruisant Dad’s à petit feu… Ce silence immense et glacé, peuplé de fantômes – celui d’un meurtrier en série, d’une mère à la dérive, des chercheurs d’or; ce silence traversé des croassements du corbeau, le trickster dont les Amérindiens racontent qu’il aurait volé le soleil. Mais du soleil, il n’y en a pas dans Yukonstyle. Il fait moins 45°C au-dehors, un vent glacial souffle dans les paroles de ces orpailleurs. Et l’or qu’ils découvrent, ensemble, est celui qui dort en eux…

Yukonstyle
Texte: Sarah Berthiaume

Mise en scène: Martin Faucher
Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 4 mai