Neuf heures. Ouverture des bureaux. Les employés arrivent, toujours dans le même ordre, et comme tous les matins, ils accomplissent les mêmes gestes, suspendre sa veste, s’arranger les cheveux, s’asseoir derrière son bureau, ouvrir l’ordinateur, répondre au téléphone, brasser des papiers. Ils sont six à partager ce bureau à aire ouverte. On ne connait pas leur noms, ni leur histoire. C’est la madame revêche qui vieillit sans grâce et dont le teint a pris la couleur fadasse des murs (Sylvie Drapeau), le monsieur frustré qui agite des dossiers pour se donner un air important (André Robitaille), la débutante maladroite dont la robe est trop courte et le maquillage trop voyant (Martine-Marie Lalande), l’adepte de taï chi qui ne peut s’empêcher de faire du prosélytisme (Laurie Gagné), celle qui arbore des écouteurs sur les oreilles comme un avertissement de se tenir à distance (Olivia Palacci), et l’autre, la baboune pendante et les épaules voûtées comme si elle portait la misère du monde (Anne Casabonne). Ne riez pas, vous les connaissez. On les a tous déjà rencontrés. Ceux qui perdent leur vie à la gagner, qui attendent la retraite comme une délivrance. Les « Zérocrates », comme les appelle Francine Alepin.
La scénographie de Pierre-Étienne Locas est d’un réalisme terrifiant, depuis le beige sale des murs et les éclairages encastrés dans le plafond jusque dans le moindre post-il collé au mur. Amusant clin d’œil, chaque employé porte un costume dont la couleur rappelle celle de sa chaise, comme s’ils étaient vissés là. Ils se supportent, s’endurent, se rabrouent parfois, se blindent derrière une carapace qui en est une de survie. Ils déglutissent leur ennui jusqu’à la nausée. Rêvent-ils encore ?
Mais, dans ce petit ballet qui pousse la répétition jusqu’à l’absurde, un grain de sable fait dérailler la routine bien rodée. Un intrus débarque et va révéler les fantasmes inavoués de ces robots, en leur rendant une parcelle d’humanité. Renaud Lacelle-Bourdon, dans ce rôle muet, joue d’une inquiétante étrangeté qui rend sa présence scénique remarquable.
Dans cette comédie grise à l’humour noir, Olivier Kemeid a parfaitement bien rendu la tyrannie du neuf à cinq, cet éteignoir de la révolte et du désir. Chez lui, ce n’est plus le travail qui est aliénant, mais les relations de travail. Les sourires forcés, la politesse obligatoire, les vacheries mesquines et les petites vengeances. De la cruauté comme un exercice de survie.
La mise en scène d’Eric Jean est réglée comme une horloge suisse, chaque personnage a la gestuelle qui le raconte et le trahit, avec un art du détail sensible et drôle qui frôle la perfection… et fait fuser les rires. Quand les feuilles de graphique volent bas, quand la machine se dérègle et que les modèles se fissurent, apparaissent les failles des personnages, livrées dans des envolées lyriques chères à Kemeid. Quelques minutes de poésie dans un monde de brutes…
Avec une distribution des plus disparates où chacun excelle, campé dans son personnage avec justesse, Eric Jean a donné à l’ensemble une belle cohérence, dans une précision du geste et du jeu qui rend la mécanique implacable.
Neuf heures. Ouverture des bureaux. Les employés arrivent, toujours dans le même ordre, et comme tous les matins, ils accomplissent les mêmes gestes, suspendre sa veste, s’arranger les cheveux, s’asseoir derrière son bureau, ouvrir l’ordinateur, répondre au téléphone, brasser des papiers. Ils sont six à partager ce bureau à aire ouverte. On ne connait pas leur noms, ni leur histoire. C’est la madame revêche qui vieillit sans grâce et dont le teint a pris la couleur fadasse des murs (Sylvie Drapeau), le monsieur frustré qui agite des dossiers pour se donner un air important (André Robitaille), la débutante maladroite dont la robe est trop courte et le maquillage trop voyant (Martine-Marie Lalande), l’adepte de taï chi qui ne peut s’empêcher de faire du prosélytisme (Laurie Gagné), celle qui arbore des écouteurs sur les oreilles comme un avertissement de se tenir à distance (Olivia Palacci), et l’autre, la baboune pendante et les épaules voûtées comme si elle portait la misère du monde (Anne Casabonne). Ne riez pas, vous les connaissez. On les a tous déjà rencontrés. Ceux qui perdent leur vie à la gagner, qui attendent la retraite comme une délivrance. Les « Zérocrates », comme les appelle Francine Alepin.
La scénographie de Pierre-Étienne Locas est d’un réalisme terrifiant, depuis le beige sale des murs et les éclairages encastrés dans le plafond jusque dans le moindre post-il collé au mur. Amusant clin d’œil, chaque employé porte un costume dont la couleur rappelle celle de sa chaise, comme s’ils étaient vissés là. Ils se supportent, s’endurent, se rabrouent parfois, se blindent derrière une carapace qui en est une de survie. Ils déglutissent leur ennui jusqu’à la nausée. Rêvent-ils encore ?
Mais, dans ce petit ballet qui pousse la répétition jusqu’à l’absurde, un grain de sable fait dérailler la routine bien rodée. Un intrus débarque et va révéler les fantasmes inavoués de ces robots, en leur rendant une parcelle d’humanité. Renaud Lacelle-Bourdon, dans ce rôle muet, joue d’une inquiétante étrangeté qui rend sa présence scénique remarquable.
Dans cette comédie grise à l’humour noir, Olivier Kemeid a parfaitement bien rendu la tyrannie du neuf à cinq, cet éteignoir de la révolte et du désir. Chez lui, ce n’est plus le travail qui est aliénant, mais les relations de travail. Les sourires forcés, la politesse obligatoire, les vacheries mesquines et les petites vengeances. De la cruauté comme un exercice de survie.
La mise en scène d’Eric Jean est réglée comme une horloge suisse, chaque personnage a la gestuelle qui le raconte et le trahit, avec un art du détail sensible et drôle qui frôle la perfection… et fait fuser les rires. Quand les feuilles de graphique volent bas, quand la machine se dérègle et que les modèles se fissurent, apparaissent les failles des personnages, livrées dans des envolées lyriques chères à Kemeid. Quelques minutes de poésie dans un monde de brutes…
Avec une distribution des plus disparates où chacun excelle, campé dans son personnage avec justesse, Eric Jean a donné à l’ensemble une belle cohérence, dans une précision du geste et du jeu qui rend la mécanique implacable.
Survivre
Texte d’Olivier Kemeid, mise en scène d’Eric Jean
Au Théâtre de Quat’Sous, du 23 avril au 18 mai 2013