L’histoire, malheureusement, on la connaît, elle a fait le tour du monde. En Autriche, dans un abri anti-nucléaire creusé sous sa maison, Josef Fritzl a séquestré pendant 24 ans sa fille Elizabeth et trois de ses sept enfants, nés des viols incestueux. L’histoire, malheureusement, se répète : il y a quelques semaines, trois jeunes femmes de Cleveland étaient retrouvées après avoir été enfermées, violées et brutalisées pendant une dizaine d’années par un homme.
Pour sa première mise en scène de théâtre, Markus Öhrn, plasticien et artiste visuel suédois vivant à Berlin, propose une lecture – décapante – du fait divers. En aucune manière il ne s’agit d’une reconstitution. Évitant l’écueil de la réalité, il créé un univers où tout est suggéré. C’est l’imaginaire du spectateur qui fait le travail, et il travaille fort.
La scénographie est structurée en deux plans : le premier étage, lieu de vie du père, et en-dessous le bunker, fermé par un plastique opaque, dont on ne voit que ce que nous montrent les caméras vidéos. Deux territoires qui s’opposent et se répondent : le montré et le caché, la normalité et la monstruosité. En préambule, sur un écran accroché sur le côté de la scène, une bétonnière en gros plan, puis des mains qui montent un mur de moellons. Les spectateurs sont donc emmurés pour trois heures. Dans l’air soudain vicié flotte une légère inquiétude claustrophobe… Le raclement de la truelle ponctue cette première scène, muette, pendant laquelle le jeu du père avec des poupées gonflables préfigure l’horreur à venir. Déjà, est montrée une violence indicible, figurée dans des gestes du quotidien : donner à manger et à boire, prendre dans ses bras.
Les quatre personnages (le père, la fille et deux enfants) sont interprétés par des hommes, une convention qui donne la distance nécessaire pour rendre le tout supportable. Les comédiens manipulent les caméras en direct, filment des détails infimes dont les images juxtaposées sont projetées sur écran. Images qui racontent une histoire qui se passe de mots, comme si, avec leur dignité, les personnages avaient aussi perdu la parole. Poignant moment quand le personnage d’Elizabeth répète jusqu’au hurlement : « Ich bin ein Opfer » (« je suis une victime », tellement plus fort en allemand… ) et que la caméra, en gros plan sur ses yeux, montre la naissance d’une larme.
Pour défaire les pelotes de nerfs, dans les moments où la tension devient insoutenable, quelques chansons, sublimées, arrivent comme des respirations. Elles sont magnifiquement interprétées, avec une mention spéciale pour Elmer Bäck (qui joue le personnage d’Elizabeth) dont la voix est à proprement parler déchirante et d’une grave beauté.
Ce Conte d’amour demande un certain abandon. Il faut se laisser aller à être agacé, gêné, mal à l’aise. Mieux, il faut l’accepter. Certaines scènes sont pénibles, dérangeantes, voire choquantes. Les personnages semblent « irradiés» (parce qu’à ce stade « déjanté » n’est pas assez fort ou trop employé, je ne sais plus), dans ce théâtre post-nucléaire qui se situe à des années-lumière de ce que l’on a pu voir jusqu’à maintenant. La position de voyeur dans laquelle est placé le spectateur est malsaine, comme l’est cette fascination morbide qui nous saisit à la gorge, qui hésite entre répulsion et compassion.
Qu’est-ce qu’un monstre, se demande Markus Öhrn. Et que vient-il révéler ? Comment aimer ? Comment ne pas haïr ? Pour le metteur en scène, l’amour exclusif poussé à son paroxysme n’est qu’une dérive, une de plus, d’une société consumériste où la possession de biens et de richesses est signe extérieur de réussite et gage de bonheur.
Comment comprendre l’horreur ? Comprendre le dérèglement d’un être humain, ce déraillement qui le rend encore plus humain, et si terriblement.
Comprendre qu’il y a des questions qui restent sans réponse…
À lire aussi : la critique de ce spectacle par notre collaborateur Philippe Couture lorsqu’il a vu ce spectacle au Festival d’Avignon
Petits conseils d’amie :
1 – Habillez-vous chaudement, la climatisation du Conservatoire doit être réglée à 120C maximum. Ma voisine en gougounes a dû quitter la salle au milieu du spectacle pour éviter l’amputation des deux pieds pour gelures 😉
2 – Sur le même thème, Régis Jauffret a publié en 2008 un roman fascinant, Claustria. Dans une entrevue au magazine les Inrocks en 2008, Jauffret reconnaissait avoir été traumatisé par l’écriture de ce livre…
L’histoire, malheureusement, on la connaît, elle a fait le tour du monde. En Autriche, dans un abri anti-nucléaire creusé sous sa maison, Josef Fritzl a séquestré pendant 24 ans sa fille Elizabeth et trois de ses sept enfants, nés des viols incestueux. L’histoire, malheureusement, se répète : il y a quelques semaines, trois jeunes femmes de Cleveland étaient retrouvées après avoir été enfermées, violées et brutalisées pendant une dizaine d’années par un homme.
Pour sa première mise en scène de théâtre, Markus Öhrn, plasticien et artiste visuel suédois vivant à Berlin, propose une lecture – décapante – du fait divers. En aucune manière il ne s’agit d’une reconstitution. Évitant l’écueil de la réalité, il créé un univers où tout est suggéré. C’est l’imaginaire du spectateur qui fait le travail, et il travaille fort.
La scénographie est structurée en deux plans : le premier étage, lieu de vie du père, et en-dessous le bunker, fermé par un plastique opaque, dont on ne voit que ce que nous montrent les caméras vidéos. Deux territoires qui s’opposent et se répondent : le montré et le caché, la normalité et la monstruosité. En préambule, sur un écran accroché sur le côté de la scène, une bétonnière en gros plan, puis des mains qui montent un mur de moellons. Les spectateurs sont donc emmurés pour trois heures. Dans l’air soudain vicié flotte une légère inquiétude claustrophobe… Le raclement de la truelle ponctue cette première scène, muette, pendant laquelle le jeu du père avec des poupées gonflables préfigure l’horreur à venir. Déjà, est montrée une violence indicible, figurée dans des gestes du quotidien : donner à manger et à boire, prendre dans ses bras.
Les quatre personnages (le père, la fille et deux enfants) sont interprétés par des hommes, une convention qui donne la distance nécessaire pour rendre le tout supportable. Les comédiens manipulent les caméras en direct, filment des détails infimes dont les images juxtaposées sont projetées sur écran. Images qui racontent une histoire qui se passe de mots, comme si, avec leur dignité, les personnages avaient aussi perdu la parole. Poignant moment quand le personnage d’Elizabeth répète jusqu’au hurlement : « Ich bin ein Opfer » (« je suis une victime », tellement plus fort en allemand… ) et que la caméra, en gros plan sur ses yeux, montre la naissance d’une larme.
Pour défaire les pelotes de nerfs, dans les moments où la tension devient insoutenable, quelques chansons, sublimées, arrivent comme des respirations. Elles sont magnifiquement interprétées, avec une mention spéciale pour Elmer Bäck (qui joue le personnage d’Elizabeth) dont la voix est à proprement parler déchirante et d’une grave beauté.
Ce Conte d’amour demande un certain abandon. Il faut se laisser aller à être agacé, gêné, mal à l’aise. Mieux, il faut l’accepter. Certaines scènes sont pénibles, dérangeantes, voire choquantes. Les personnages semblent « irradiés» (parce qu’à ce stade « déjanté » n’est pas assez fort ou trop employé, je ne sais plus), dans ce théâtre post-nucléaire qui se situe à des années-lumière de ce que l’on a pu voir jusqu’à maintenant. La position de voyeur dans laquelle est placé le spectateur est malsaine, comme l’est cette fascination morbide qui nous saisit à la gorge, qui hésite entre répulsion et compassion.
Qu’est-ce qu’un monstre, se demande Markus Öhrn. Et que vient-il révéler ? Comment aimer ? Comment ne pas haïr ? Pour le metteur en scène, l’amour exclusif poussé à son paroxysme n’est qu’une dérive, une de plus, d’une société consumériste où la possession de biens et de richesses est signe extérieur de réussite et gage de bonheur.
Comment comprendre l’horreur ? Comprendre le dérèglement d’un être humain, ce déraillement qui le rend encore plus humain, et si terriblement.
Comprendre qu’il y a des questions qui restent sans réponse…
À lire aussi : la critique de ce spectacle par notre collaborateur Philippe Couture lorsqu’il a vu ce spectacle au Festival d’Avignon
Conte d’amour
Un spectacle de Institutet +Nya Rampen (Allemagne, Finlande, Suède)
Jusqu’au 30 mai au Théâtre rouge du Conservatoire dans le cadre du Festival TransAmériques
Petits conseils d’amie :
1 – Habillez-vous chaudement, la climatisation du Conservatoire doit être réglée à 120C maximum. Ma voisine en gougounes a dû quitter la salle au milieu du spectacle pour éviter l’amputation des deux pieds pour gelures 😉
2 – Sur le même thème, Régis Jauffret a publié en 2008 un roman fascinant, Claustria. Dans une entrevue au magazine les Inrocks en 2008, Jauffret reconnaissait avoir été traumatisé par l’écriture de ce livre…