Critiques

Smashed : Des sourires et des pommes

© Ludovic des Cognets

Avec humour et brio, les neuf jongleurs de Smashed passent de la sobriété à la démesure sur la scène du Théâtre Outremont à Montréal Complètement Cirque. Dans cette œuvre qui reflète l’admiration des créateurs pour la chorégraphe Pina Bausch, des dizaines de pommes valsent dans les airs et fascinent par leurs trajectoires à la fois fantaisistes et savantes.

Se produisant pour la première fois en Amérique du Nord, Gandini Juggling a donné depuis vingt ans plus de 4 000 représentations dans une quarantaine de pays. Les directeurs artistiques de cette prolifique compagnie anglaise, Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala, ont réalisé et développent leurs projets en fusionnant la jonglerie avec différentes formes d’art – danse, musique symphonique, théâtre, etc. – et se situent à l’avant-garde du cirque contemporain.

Fruit défendu

Au commencement du spectacle, sept hommes et deux femmes souriants jonglent à trois «Royal Gala» sur une musique vieillotte et guillerette, esquissant quelques pas de danse entre les rangées de pommes soigneusement disposées au sol. Basiques au début, les figures se complexifient, à l’image de la musique de Bach – dont on entend d’ailleurs la Suite française en Do mineur – qui comporte des lignes mélodiques se superposant ou des motifs aux variations mathématiques.

Smashed se déguste comme on écoute les œuvres de Jean-Sébastien, les pommes se jonglant à trois, quatre ou cinq et devenant une multitude de notes mouvantes sur une portée invisible. On se laisse emporter par la pulsation des routines, le rythme des pommes qui montent et descendent, la fluidité des mouvements qui nécessitent souvent que les corps et les bras de plusieurs jongleurs s’entrecroisent. L’humour s’ajoute à toutes ces manipulations intelligemment orchestrées et, avec la connotation du fruit défendu, le tout nous accroche un sourire aux lèvres du début à la fin du spectacle. À une impression d’ordre et de flegme qui nous apparaissent tout à fait british, s’ajoutent peu à peu des dissonances qui révèlent un côté grinçant et délinquant assez jouissif, je n’en dis pas plus…

Autres spectacles dignes de mention

Loin d’un cirque qui cherche à plaire et interprété avec un engagement exemplaire par un quatuor masculin, Face Nord, de la compagnie Un loup pour l’homme, donne à voir une démarche chorégraphique exigeante et impressionnante. Les corps quasi constamment en contact se massent, se piétinent, s’agrippent les uns aux autres; les partenaires deviennent des obstacles à escalader, des ponts que l’on traverse. Une heure de séquences ludiques avec élans, portés, lancés, attrapés et chutes, où, jusqu’à la dernière séquence en mouvement continu, Alexandre Fray, Mika Lafforgue, Sergi Parés et Frédéric Arsenault – aussi directeur artistique – jouent avec les limites des lois de la gravité. Sans oublier des moments franchement comiques misant sur les situations physiques ou les relations entre les acrobates.

En terminant, saluons la création de Reset, spectacle prometteur de Throw2catch, qui s’intéresse à l’interaction technologie-cirque-public. Pendant la présentation au Bain St-Mathieu, en off de MCC, de très bons moments assurés par Nicolas Boivin-Gravel et Samuel Roy, fondateurs de la compagnie, par la souriante Natalia Adamiecka ou encore quand le public est sollicité du haut d’une échelle en équilibre sur une barre russe, par l’ahurissant Gisle Henriet, pour choisir la musique du numéro de cerceau aérien que Julie Choquette a interprété sur une chanson country de Mara Tremblay.

Le festival Montréal Complètement Cirque se poursuit jusqu’au 14 juillet 2013.