Critiques

Croisé : Noir sur blanc

Dans le studio de l’École nationale de cirque, un grand cercle blanc au sol avec dessus deux chaises bizarres très hautes sur pattes dans une atmosphère brumeuse et sombre; rideau noir ouvert en son centre en fond de scène. Au-dessus du mât chinois, une chrysalide noire d’où émergera une acrobate qui descendra jusqu’au sol.

À l’avant, côté cour, un jeune homme trace sur une feuille blanche des dessins auxquels font écho des traits noirs sur les jambes et le corps d’une jeune femme qui bouge autour de la table, ajustant parfois ses mouvements au son du crayon, sortant finalement habillée de papier. Et le spectacle n’est pas commencé encore…

Les amateurs de cirque de création et de danse contemporaine seront servis avec ce Croisé de la jeune compagnie Cirque Céans. Fondé pour prolonger l’aventure de l’atelier de recherche et de création dirigé par Johanne Madore, présenté en octobre 2012 à la TOHU, ce collectif formé de diplômés de l’École nationale de cirque (ÉNC) de Montréal veut bousculer les structures du cirque. 

Croisé développe une esthétique épurée où chaque élément en piste sert l’écriture circassienne. Ainsi, des chaises aux armatures de métal deviennent des appareils auxquels les acrobates se suspendent. Avec une charge symbolique d’autant plus à propos qu’un des artistes incommodé par une blessure a été remplacé peu avant le début des représentations, des pierres sont lancées, jonglées ou déplacées autour d’une acrobate qui marche aussi dessus: contraste entre la dureté du minéral et la souplesse du corps humain, rappelant également sa fragilité.

Grâce à la signature de Madore, Croisé valorise le talent pour la danse autant que le savoir-faire des acrobates, dans les numéros à plusieurs ou les solos: la filiforme Kyle Driggs lance et rattrape ses anneaux avec des mouvements élégants, Jimmy Gonzalez mêle avec fluidité danse et jonglerie.

Le spectacle se distingue par des chorégraphies aux pulsations vigoureuses et une facture visuelle en noir et blanc avec des lignes, souvent diagonales, que forment de longues tiges de bambou peintes en noir ou des perches en aluminium. Dans les deux cas, elles donnent lieu à des moments forts. Les premières, utilisées par quatre personnes pour en toucher une autre à distance, lui imposent comment se mouvoir, jusqu’à ce qu’elles soient placées avec le corps couché sur la table, comme si elles le transperçaient. Les deuxièmes, tenues à leurs extrémités, deviennent l’appareil mobile où évolue la fascinante et souriante Maude Parent dans un numéro très réussi.

Autre diagonale: le mât chinois – avec un intéressant travail chorégraphique proche du sol – dont certains haubans se relâchent et qui se retrouve à 45° pendant que l’excellente Érika Nguyen y évolue en hauteur. Ponctuations entre les musiques qui donnent une part belle au piano, des coups sourds ou le son d’une pluie qui tombe contribuent, avec les costumes noirs et peu de textes, à une théâtralité sobre qui respire une poésie quasi métaphysique.

Autres spectacles dignes de mention

L’énergie juvénile du premier spectacle de Flip FabriQue est contagieuse et souhaitons que cette nouvelle compagnie de Québec diffusera bientôt Attrape-moi non seulement à l’extérieur, mais partout dans la province. Si les 6 acrobates sont époustouflants, il faut souligner la prestation aux hula hoops de Jade Dussault, le duo d’enfer de Jérémie Arseneault et Bruno Gagnon qui s’échangent jusqu’à 5 diabolos et l’heureuse surprise en fin de spectacle du numéro de trampo-mur qui révèle Christophe Hamel comme un sauteur puissant et agile. Mentionnons également un autre spectacle pour toute la famille, L’homme-cirque de David Dimitri. Le charismatique Suisse propose un solo inhabituel, aux accents à la fois modernes et traditionnels, et le charme opère!

Le festival Montréal Complètement Cirque se poursuit jusqu’au 14 juillet 2013.