Avec sa version intégrale du Faust de Goethe, Nicolas Stemann offre un voyage passionnant, la traversée d’une œuvre rare. Précisons que la version intégrale n’a quasiment pas été montée en France. On s’en tient généralement à la première version, tellement la seconde est foisonnante, semblant faire exploser toute logique: Faust y rencontre Hélène de retour de Troie!
À partir d’une œuvre totale, sur laquelle Goethe a travaillé toute sa vie, jusqu’à quelques semaines de sa mort, Stemann a créé une expérience théâtrale stimulante. Même s’il faut accepter d’être parfois perdu, de ne plus comprendre, tellement il y a de choses à saisir. Je précise que c’est très en forme que je suis ressorti des 8h30 que durait la représentation (avec 3 entractes)!
Ce spectacle inaugurait le nouveau lieu du Festival d’Avignon, La FabricA. La cage de scène est laissée totalement à nu, comme le plateau, bordé de tous les accessoires nécessaires: quelques chaises, tables, praticables, pianos à roulettes, etc. Le metteur en scène nous accueille en nous racontant les grandes lignes de ce qui va suivre et en s’excusant de la confusion de la seconde partie: «Elle est écrite comme ça!» On est bien dans un théâtre brechtien, d’où la manipulation à vue, mais aussi tous les clins d’œil au théâtre postdramatique, avec conférenciers en vidéo et acteurs saouls théorisant autour de la présence de la vidéo comme marqueur du «postdramatisme».
C’est très beau d’entendre le texte en allemand, notamment pour ses rimes que l’on ne trouve plus dans le texte français, mais c’est surtout pour la manière de distribuer les répliques, l’ensemble des acteurs pouvant incarner l’ensemble des personnages. Stemann développe depuis sa mise en scène des Brigands de Schiller ce qu’il appelle un Wortkonzert (concert de mots), qui permet de considérer le texte comme un seul ou plusieurs monologues, et non plus comme un ensemble de répliques. Il y a quelque chose de très ludique, qui révèle aussi des aspects moins connus du texte, dans ce récit de désirs enfouis, de «petits arrangements avec le diable».
Sebastian Roudolph commence ainsi, seul en scène, sur le plateau vide, un petit livre à la main. Il incarne tous les personnages pendant près d’une heure, et ça fonctionne! Puis il est rejoint par d’autres acteurs avec cette même possibilité de prise de parole plus large que les répliques, pourrait-on dire. Un panneau au-dessus du plateau indique qui parle dans la séquence, mais bien souvent on ne sait plus faire la nuance et c’est très bien, car le texte devient plus le récit d’une conscience se débattant entre ses pulsions et sa raison!
C’est en cela que le duo central Faust-Méphisto fonctionne si bien, incarné par tous, jouant d’une attirance complice qui les voit s’embrasser, s’enlacer, sans que l’on sache toujours si c’est à un autre ou à lui-même que l’acteur s’adresse. L’acteur et le personnage ne collent pas toujours, même si certains endossent plus tel ou tel. C’est surtout le personnage de Marguerite qui prend une lecture beaucoup plus intéressante que le simple jouet du sort auquel on la réduit souvent, surtout dans la scène du cachot où, clairement, elle n’est pas folle, mais dit ce texte en pleine conscience.
Tous sont marqués d’une même sensualité, d’un même débordement d’énergie, occasion de séquences chorégraphiques à l’énergie libératrice, souvent cocasse, mais chaque fois on se dit que l’on a simplement pris le texte à la lettre, que c’est bien dans le texte, mais que ce choix d’un Wortkonzert en dévoile de nouvelles possibilités.
Si la première partie est d’une redoutable efficacité, il y a vraiment plus de flous dans la seconde, et cela n’est pas dû qu’au foisonnement du texte, mais aussi à des choix moins heureux dans la forme: marionnettes, masques vraiment datés pour évoquer la nuit de Walpurgis, etc. Mais la traversée reste passionnante. On y découvre vraiment le texte, avec ses jeux d’échos, l’histoire se répétant: Hélène dira à Faust les mêmes mots que Marguerite.
On y découvre un tableau au vitriol de notre système économique moderne, Méphisto inventant l’argent papier. Le tout est servi par une vingtaine d’acteurs, danseurs, chanteurs, aidés par autant de techniciens, pour une ronde infernale, mais passionnante, qui s’emballe au rythme d’une musique en direct et d’un univers d’images saisissant: projections, peintures, dessins filmés en direct. C’est une grande traversée qui essore le texte pour en révéler les beautés cachées!
Faust I + II. Texte: Johann Wolfgang von Goethe. Mise en scène: Nicolas Stemann. Une production du Thalia Theater (Hambourg), présentée à La FabricA, à l’occasion du Festival d’Avignon, les 11, 13 et 14 juillet 2013.
Avec sa version intégrale du Faust de Goethe, Nicolas Stemann offre un voyage passionnant, la traversée d’une œuvre rare. Précisons que la version intégrale n’a quasiment pas été montée en France. On s’en tient généralement à la première version, tellement la seconde est foisonnante, semblant faire exploser toute logique: Faust y rencontre Hélène de retour de Troie!
À partir d’une œuvre totale, sur laquelle Goethe a travaillé toute sa vie, jusqu’à quelques semaines de sa mort, Stemann a créé une expérience théâtrale stimulante. Même s’il faut accepter d’être parfois perdu, de ne plus comprendre, tellement il y a de choses à saisir. Je précise que c’est très en forme que je suis ressorti des 8h30 que durait la représentation (avec 3 entractes)!
Ce spectacle inaugurait le nouveau lieu du Festival d’Avignon, La FabricA. La cage de scène est laissée totalement à nu, comme le plateau, bordé de tous les accessoires nécessaires: quelques chaises, tables, praticables, pianos à roulettes, etc. Le metteur en scène nous accueille en nous racontant les grandes lignes de ce qui va suivre et en s’excusant de la confusion de la seconde partie: «Elle est écrite comme ça!» On est bien dans un théâtre brechtien, d’où la manipulation à vue, mais aussi tous les clins d’œil au théâtre postdramatique, avec conférenciers en vidéo et acteurs saouls théorisant autour de la présence de la vidéo comme marqueur du «postdramatisme».
C’est très beau d’entendre le texte en allemand, notamment pour ses rimes que l’on ne trouve plus dans le texte français, mais c’est surtout pour la manière de distribuer les répliques, l’ensemble des acteurs pouvant incarner l’ensemble des personnages. Stemann développe depuis sa mise en scène des Brigands de Schiller ce qu’il appelle un Wortkonzert (concert de mots), qui permet de considérer le texte comme un seul ou plusieurs monologues, et non plus comme un ensemble de répliques. Il y a quelque chose de très ludique, qui révèle aussi des aspects moins connus du texte, dans ce récit de désirs enfouis, de «petits arrangements avec le diable».
Sebastian Roudolph commence ainsi, seul en scène, sur le plateau vide, un petit livre à la main. Il incarne tous les personnages pendant près d’une heure, et ça fonctionne! Puis il est rejoint par d’autres acteurs avec cette même possibilité de prise de parole plus large que les répliques, pourrait-on dire. Un panneau au-dessus du plateau indique qui parle dans la séquence, mais bien souvent on ne sait plus faire la nuance et c’est très bien, car le texte devient plus le récit d’une conscience se débattant entre ses pulsions et sa raison!
C’est en cela que le duo central Faust-Méphisto fonctionne si bien, incarné par tous, jouant d’une attirance complice qui les voit s’embrasser, s’enlacer, sans que l’on sache toujours si c’est à un autre ou à lui-même que l’acteur s’adresse. L’acteur et le personnage ne collent pas toujours, même si certains endossent plus tel ou tel. C’est surtout le personnage de Marguerite qui prend une lecture beaucoup plus intéressante que le simple jouet du sort auquel on la réduit souvent, surtout dans la scène du cachot où, clairement, elle n’est pas folle, mais dit ce texte en pleine conscience.
Tous sont marqués d’une même sensualité, d’un même débordement d’énergie, occasion de séquences chorégraphiques à l’énergie libératrice, souvent cocasse, mais chaque fois on se dit que l’on a simplement pris le texte à la lettre, que c’est bien dans le texte, mais que ce choix d’un Wortkonzert en dévoile de nouvelles possibilités.
Si la première partie est d’une redoutable efficacité, il y a vraiment plus de flous dans la seconde, et cela n’est pas dû qu’au foisonnement du texte, mais aussi à des choix moins heureux dans la forme: marionnettes, masques vraiment datés pour évoquer la nuit de Walpurgis, etc. Mais la traversée reste passionnante. On y découvre vraiment le texte, avec ses jeux d’échos, l’histoire se répétant: Hélène dira à Faust les mêmes mots que Marguerite.
On y découvre un tableau au vitriol de notre système économique moderne, Méphisto inventant l’argent papier. Le tout est servi par une vingtaine d’acteurs, danseurs, chanteurs, aidés par autant de techniciens, pour une ronde infernale, mais passionnante, qui s’emballe au rythme d’une musique en direct et d’un univers d’images saisissant: projections, peintures, dessins filmés en direct. C’est une grande traversée qui essore le texte pour en révéler les beautés cachées!
Faust I + II. Texte: Johann Wolfgang von Goethe. Mise en scène: Nicolas Stemann. Une production du Thalia Theater (Hambourg), présentée à La FabricA, à l’occasion du Festival d’Avignon, les 11, 13 et 14 juillet 2013.