Critiques

Autopsie d’une napkin : De l’effet du camping sur une famille modèle

Il est toujours difficile d’écrire pour l’adolescence, cet âge incertain entre l’imaginaire de l’enfance et les enivrements de la jeunesse. Et on sait que le théâtre en région n’a pas toujours la diffusion qu’il mérite. C’est à cette double difficulté que les deux artisans de cette production destinée aux jeunes de plus de onze ans, l’«autopsie» d’une famille modèle en vacances, se sont attaqués. Érika Tremblay-Roy, directrice artistique du Petit Théâtre de Sherbrooke, est l’auteure du texte (lauréat du prix Louise LaHaye en 2012), écrit avec le compositeur Laurier Rajotte.

L’œuvre n’est sans doute pas parfaite, l’intrigue paraissant parfois un peu décousue et les thèmes assez convenus (les voisins, le Noёl du campeur), mais ce «théâtre où l’on chante», selon l’expression des coauteurs, est plein d’entrain, de dynamisme et d’inventivité. Et cette petite famille classique: papa, maman, une fille, un garçon, est finalement bien sympathique. C’est en tout cas ce que semblaient penser le jeune auditoire et les parents présents (les spectateurs adultes occupaient pratiquement la moitié des sièges).

L’histoire qu’on leur raconte, plusieurs d’entre eux pourraient l’avoir vécue: une famille Côté (difficile de faire plus québécois) retourne installer sa roulotte pour l’été au camping Chez Lyne. Mais les frictions de la vie en commun, la promiscuité, la pluie persistante vont bientôt faire se craqueler le vernis de la bonne entente. Après le chœur du bonheur affiché viendra le temps des solos. Ce que les membres de la famille ne se disant pas en face, ils vont le chanter, chacun pour soi : les aspirations à la liberté de l’aînée qu’elle transcrit sur des napkins, la solitude du cadet qui ne réussit pas à se faire des amis. Quant à la mère, en apparence toute dévouée aux siens, elle rêve comme une midinette d’un amant japonais, et le père a l’impression qu’il est un raté parce qu’il a des déboires professionnels et qu’il …ne réussit pas à faire un feu! Il perdra d’ailleurs son emploi, mais après avoir déclaré «la roulotte, c’est tout ce qui nous reste», il y mettra pourtant le feu (et chacun chante: «Il va enfin se passer quelque chose»), comme si la famille ne pouvait désormais vivre que sur des nouvelles bases. La fille semble presque heureuse en contemplant «les restants cramés d’une famille modèle à recoller».

Les auteurs savent cependant que les enfants ont besoin d’espoir et l’été  finit sur une note positive: le père accepte que sa fille parte faire le grand voyage qui l’affranchira, et celle-ci conclut sur un ton attendri mais un peu lénifiant que «[sa] famille ne [lui] a jamais semblé si vraie».

Ces épisodes d’une famille ordinaire sont situés dans un décor géométrique assez simple: à gauche, le piano, à droite, la façade stylisée de la roulotte, avec sa petite fenêtre par où on regarde s’il pleut toujours, au centre, la jardinière de fleurs clairement artificielles qui délimite la frontière avec les voisins. Les costumes sont réalistes et l’on porte souvent des vêtements de pluie. Mais l’intérêt de ce spectacle tient surtout à la complémentarité du texte et de l’omniprésente trame musicale. Le piano (tenu par Laurier Rajotte), est beaucoup plus qu’un accompagnement. Il est un commentaire et un révélateur de ce que pensent et ressentent les personnages. Parents et enfants forment non seulement un chœur, mais aussi un orchestre. Deux scènes sont particulièrement réussies de ce point de vue, celle du trajet en voiture et celle où chacun utilise comme instrument de musique un objet quotidien.

Finissons sur la distribution de qualité de cet ensemble familial, où se détachent cependant le jeu de Marie-Pier Labrecque, la fille, et de Stéphane Brulotte, le père. Et tombons d’accord avec cet incorrigible jovialiste qui répète comme une incantation: «Il me semble que ça se dégage!»

Autopsie d’une napkin. Texte d’Érika Tremblay-Roy. Mise en scène et production d’Érika Tremblay-Roy et Laurier Rajotte. À la Maison Théâtre jusqu’au 26 janvier 2014.

Marie-Christiane Hellot

Collaboratrice de JEU depuis plus de 20 ans, elle est chargée de cours à l'Université de Montréal.