Un autobus, donc, ou plutôt sa carcasse, immense, qui constitue à elle seule la scénographie. Immobiles, à droite, un groupe de cinq personnes, les victimes, l’une après l’autre incitées à se présenter, à donner leur version des faits et qui reviennent ainsi, en quelque manière, à la vie.
Car un drame a eu lieu, l’autobus a explosé, et la coroner est chargée de faire la lumière. Au terme de son enquête, on connaîtra, sinon le responsable de la catastrophe, du moins les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu. Une sorte de « à chacun sa vérité », un drame au léger parfum pirandellien, où seront rejouées, une seule fois, les histoires multiples qui en constituent les facettes.
Pour cette adepte du théâtre de mouvement qu’est Marilyn Perreault (elle a maintes fois collaboré avec DynamO Théâtre), un autobus, c’est une sorte de gymnase, des barres, des poteaux, des anneaux, et elle a voulu des comédiens – parmi eux, un artiste circassien et une danseuse, Hugues Sara-Bournet et Victoria Diamond – qui soient aussi des athlètes. Bien sûr, on retrouve là des thèmes sociaux chers à l’auteure des Apatrides, de Roche, papier, couteau et, plus récemment, de Britannicus now : le déracinement, la peur de l’autre, la recherche identitaire, le harcèlement, la diversité culturelle (dont sont issus plusieurs comédiens, dont Nora Guerch et Victor Andrès Trelles Turgeon), auxquels s’ajoute ici la récente multiplication des médias sociaux.
On peut même trouver un peu appuyées la morale finale et l’insistance à faire de Jimmy l’immigrant, le bon, et de Tom, le méchant pure-laine (Hubert Lemire). Mais si les dialogues et les monologues sont tirés de bribes de conversations happées dans les transports en commun, ils semblent émaner des corps en mouvement. Les duos aériens, les poursuites acrobatiques auxquels se livrent les protagonistes ne sont pas un commentaire de l’histoire, ils servent à dévoiler autant que leurs paroles, leur vérité. Et le « gazouillis » social, nous le voyons sévir sous nos yeux sous forme de messages-texte et de vidéos citoyennes. Finalement, ce qui frappe dans cet âpre ballet d’existences urbaines, c’est la profonde unité de sens entre le texte et sa mise en image, en lumière et en mouvement.
Pas étonnant, puisque Marilyn Perreault, l’auteure, est aussi la metteure en scène, en plus de jouer le rôle discret mais essentiel de la coroner. Placée dans la salle, elle fait d’ailleurs à la fois partie de la pièce et du public. Ses questions insistantes, qui font émerger progressivement les personnages de l’anonymat des victimes, ce sont aussi les nôtres. D’abord interchangeables (ce qui se traduit par la chaîne des vêtements qu’ils se passent), de simples numéros, les protagonistes deviennent peu à peu des êtres de chair et d’os, porteurs de leur propre tragédie.
Il y a le triangle amoureux : Jimmy, l’immigrant, celui que les médias – et peut-être nous-mêmes, les témoins de la salle – ont d’emblée vu comme un possible terroriste en raison de son seul patronyme arabe, Tom, le perturbé, porteur des préjugés d’une société en crise identitaire, et Daniela, qui partage son temps d’autobus, son cœur et son corps entre les deux. Le trio croise Rachel (Annie Ranger), l’infirmière qui veut être connue et reconnue, follement amoureuse du chauffeur, Henry, qui est le témoin impuissant de l’histoire de la jeune Sandy. Ce sixième personnage est mort avant l’explosion mais dans l’autobus.
L’autobus, justement, qui a abrité ces destins brisés, en est bien le symbole central. Au fur et à mesure que se reconstituera le puzzle de ces vies entrecroisées, il se verra démantelé, métaphore en quelque sorte de la vérité dévoilée devant les spectateurs juges et témoins du drame. Qui assistent en même temps à l’abolition du quatrième mur.
Bref, une entreprise ambitieuse pour une première mise en scène. Mais son artisane est douée. Et cet autobus-là, pour son trajet mouvementé et pour ses passagers acrobates, je vous recommande de le prendre.
Texte et mise en scène : Marilyn Perreault. Une production du Théâtre I.N.K. Aux Écuries jusqu’au 22 février 2014 et du 15 au 25 février 2017.
Un autobus, donc, ou plutôt sa carcasse, immense, qui constitue à elle seule la scénographie. Immobiles, à droite, un groupe de cinq personnes, les victimes, l’une après l’autre incitées à se présenter, à donner leur version des faits et qui reviennent ainsi, en quelque manière, à la vie.
Car un drame a eu lieu, l’autobus a explosé, et la coroner est chargée de faire la lumière. Au terme de son enquête, on connaîtra, sinon le responsable de la catastrophe, du moins les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu. Une sorte de « à chacun sa vérité », un drame au léger parfum pirandellien, où seront rejouées, une seule fois, les histoires multiples qui en constituent les facettes.
Pour cette adepte du théâtre de mouvement qu’est Marilyn Perreault (elle a maintes fois collaboré avec DynamO Théâtre), un autobus, c’est une sorte de gymnase, des barres, des poteaux, des anneaux, et elle a voulu des comédiens – parmi eux, un artiste circassien et une danseuse, Hugues Sara-Bournet et Victoria Diamond – qui soient aussi des athlètes. Bien sûr, on retrouve là des thèmes sociaux chers à l’auteure des Apatrides, de Roche, papier, couteau et, plus récemment, de Britannicus now : le déracinement, la peur de l’autre, la recherche identitaire, le harcèlement, la diversité culturelle (dont sont issus plusieurs comédiens, dont Nora Guerch et Victor Andrès Trelles Turgeon), auxquels s’ajoute ici la récente multiplication des médias sociaux.
On peut même trouver un peu appuyées la morale finale et l’insistance à faire de Jimmy l’immigrant, le bon, et de Tom, le méchant pure-laine (Hubert Lemire). Mais si les dialogues et les monologues sont tirés de bribes de conversations happées dans les transports en commun, ils semblent émaner des corps en mouvement. Les duos aériens, les poursuites acrobatiques auxquels se livrent les protagonistes ne sont pas un commentaire de l’histoire, ils servent à dévoiler autant que leurs paroles, leur vérité. Et le « gazouillis » social, nous le voyons sévir sous nos yeux sous forme de messages-texte et de vidéos citoyennes. Finalement, ce qui frappe dans cet âpre ballet d’existences urbaines, c’est la profonde unité de sens entre le texte et sa mise en image, en lumière et en mouvement.
Pas étonnant, puisque Marilyn Perreault, l’auteure, est aussi la metteure en scène, en plus de jouer le rôle discret mais essentiel de la coroner. Placée dans la salle, elle fait d’ailleurs à la fois partie de la pièce et du public. Ses questions insistantes, qui font émerger progressivement les personnages de l’anonymat des victimes, ce sont aussi les nôtres. D’abord interchangeables (ce qui se traduit par la chaîne des vêtements qu’ils se passent), de simples numéros, les protagonistes deviennent peu à peu des êtres de chair et d’os, porteurs de leur propre tragédie.
Il y a le triangle amoureux : Jimmy, l’immigrant, celui que les médias – et peut-être nous-mêmes, les témoins de la salle – ont d’emblée vu comme un possible terroriste en raison de son seul patronyme arabe, Tom, le perturbé, porteur des préjugés d’une société en crise identitaire, et Daniela, qui partage son temps d’autobus, son cœur et son corps entre les deux. Le trio croise Rachel (Annie Ranger), l’infirmière qui veut être connue et reconnue, follement amoureuse du chauffeur, Henry, qui est le témoin impuissant de l’histoire de la jeune Sandy. Ce sixième personnage est mort avant l’explosion mais dans l’autobus.
L’autobus, justement, qui a abrité ces destins brisés, en est bien le symbole central. Au fur et à mesure que se reconstituera le puzzle de ces vies entrecroisées, il se verra démantelé, métaphore en quelque sorte de la vérité dévoilée devant les spectateurs juges et témoins du drame. Qui assistent en même temps à l’abolition du quatrième mur.
Bref, une entreprise ambitieuse pour une première mise en scène. Mais son artisane est douée. Et cet autobus-là, pour son trajet mouvementé et pour ses passagers acrobates, je vous recommande de le prendre.
Lignedebus
Texte et mise en scène : Marilyn Perreault. Une production du Théâtre I.N.K. Aux Écuries jusqu’au 22 février 2014 et du 15 au 25 février 2017.