Racine est si rare sur nos scènes qu’il faut d’emblée remercier Jean Asselin pour «oser» nous faire entendre les alexandrins cruels et mélodieux de l’auteur d’Andromaque, de Bajazet et de Bérénice. Après son «digest» de Shakespeare, l’an dernier, voilà en effet que le maître d’œuvre d’Omnibus, toujours ambitieux, a entrepris de monter ces trois pièces en un seul spectacle! Qui, assez étonnamment, garde son unité.
Asselin a réussi à comprimer en une heure et demie ces histoires d’amours violentes, tortueuses et majestueuses. Il les a construites selon une évolution dramatique, suivant les trois mouvements d’une tragédie de l’amour et du pouvoir. Au premier «acte», la fureur vengeresse, au second, les intrigues tortueuses, au troisième, la grandeur apaisée. Même placés dans des époques et des régions éloignées, les héros sont parents, ils appartiennent au même monde, celui des sentiments plus grands que nature. Enfin, défi supplémentaire, l’adaptateur et scénographe a aussi eu l’idée originale de confier la réalisation de ces trois épisodes à trois metteurs en scène. Ici, cependant, la réussite est inégale.
C’est l’Andromaque préhistorique de Réal Bossé qui m’apparaît la plus intéressante et la plus pertinente, tant la rage des personnages paraît venir des profondeurs. Vêtus des peaux de bêtes cousus par Judy Jonker (Gaétan Nadeau a l’air d’un chef de tribu), ils s’affrontent, grognent, s’accrochent l’un à l’autre, se roulent sur le sol.
Plus séduisant, le sérail de l’Istanbul du 17e siècle mis en images et en mouvements par Sylvie Moreau étonne moins: les tapis, où princesse, sultane ou vizir se frôlent, s’enlacent, se défient, ont remplacé la terre battue ; les intrigues se font feutrées et sinueuses, les costumes, somptueux, mais sans surprise.
Quant à Asselin, il s’est gardé Titus et Bérénice, dont il a situé la passion partagée et contrariée dans une Rome à peu près contemporaine. Désormais vêtus de stricts costumes noirs et gris, les héros expriment leur déchirement, confinés à quatre étroites plaques de marbre. L’approche est austère, l’atmosphère raréfiée, le jeu presque statique; on exige beaucoup de la concentration du spectateur… Car, dernier défi, Asselin a cantonné ses quatre personnages, déjà cernés sur les quatre côtés par les gradins du public, en un étroit carré qui, de surcroît, va encore aller se rétrécissant. Juste métaphore, cependant, de cette fatalité à laquelle les héros ne peuvent échapper que par le renoncement ou la mort.
Les quatre acteurs se partagent douze rôles, passant ainsi d’une pièce à l’autre. Une performance exigeante dont ils se sortent tous avec honneur, comme de la redoutable diction de l’alexandrin. Des prestations néanmoins à valeur variable, chacun semblant trouver à un moment donné le personnage qui lui convient, Marie Lefebvre en Roxane, Gaétan Nadeau en Titus, Pascal Contamine en Acomat… Mais c’est l’Hermione de Kathleen Fortin, tigresse toutes griffes dehors, qui domine le jeu par son investissement total et passionné. Il y a un cinquième comédien, «l’Homme de confidence» (Charles Préfontaine), qui joue les…confidents, justement, personnage traditionnel de la tragédie classique, mais qu’Asselin a aussi chargé d’assurer les liaisons entre les pièces et qui résume au bénéfice du public les passages sautés. Cette double fonction entraîne une rupture de ton –étrangère à la tragédie classique− et quelques moments de détente dans ce monde impitoyable.
En fait de contraste, on pourrait s’étonner du fait que c’est à Omnibus, cette école du corps au théâtre, qu’on monte cette icône du théâtre des mots qu’est la tragédie de Racine. Mais où ailleurs aurait-on pu orchestrer la rencontre de la discipline des corps et de la contrainte des vers ?
Amours fatales. Texte de Jean Racine. Adaptation de Jean Asselin. Mises en scène de Réal Bossé, Sylvie Moreau et Jean Asselin. Une production d’Omnibus. À Espace libre du 11 février au 8 mars 2014.
Racine est si rare sur nos scènes qu’il faut d’emblée remercier Jean Asselin pour «oser» nous faire entendre les alexandrins cruels et mélodieux de l’auteur d’Andromaque, de Bajazet et de Bérénice. Après son «digest» de Shakespeare, l’an dernier, voilà en effet que le maître d’œuvre d’Omnibus, toujours ambitieux, a entrepris de monter ces trois pièces en un seul spectacle! Qui, assez étonnamment, garde son unité.
Asselin a réussi à comprimer en une heure et demie ces histoires d’amours violentes, tortueuses et majestueuses. Il les a construites selon une évolution dramatique, suivant les trois mouvements d’une tragédie de l’amour et du pouvoir. Au premier «acte», la fureur vengeresse, au second, les intrigues tortueuses, au troisième, la grandeur apaisée. Même placés dans des époques et des régions éloignées, les héros sont parents, ils appartiennent au même monde, celui des sentiments plus grands que nature. Enfin, défi supplémentaire, l’adaptateur et scénographe a aussi eu l’idée originale de confier la réalisation de ces trois épisodes à trois metteurs en scène. Ici, cependant, la réussite est inégale.
C’est l’Andromaque préhistorique de Réal Bossé qui m’apparaît la plus intéressante et la plus pertinente, tant la rage des personnages paraît venir des profondeurs. Vêtus des peaux de bêtes cousus par Judy Jonker (Gaétan Nadeau a l’air d’un chef de tribu), ils s’affrontent, grognent, s’accrochent l’un à l’autre, se roulent sur le sol.
Plus séduisant, le sérail de l’Istanbul du 17e siècle mis en images et en mouvements par Sylvie Moreau étonne moins: les tapis, où princesse, sultane ou vizir se frôlent, s’enlacent, se défient, ont remplacé la terre battue ; les intrigues se font feutrées et sinueuses, les costumes, somptueux, mais sans surprise.
Quant à Asselin, il s’est gardé Titus et Bérénice, dont il a situé la passion partagée et contrariée dans une Rome à peu près contemporaine. Désormais vêtus de stricts costumes noirs et gris, les héros expriment leur déchirement, confinés à quatre étroites plaques de marbre. L’approche est austère, l’atmosphère raréfiée, le jeu presque statique; on exige beaucoup de la concentration du spectateur… Car, dernier défi, Asselin a cantonné ses quatre personnages, déjà cernés sur les quatre côtés par les gradins du public, en un étroit carré qui, de surcroît, va encore aller se rétrécissant. Juste métaphore, cependant, de cette fatalité à laquelle les héros ne peuvent échapper que par le renoncement ou la mort.
Les quatre acteurs se partagent douze rôles, passant ainsi d’une pièce à l’autre. Une performance exigeante dont ils se sortent tous avec honneur, comme de la redoutable diction de l’alexandrin. Des prestations néanmoins à valeur variable, chacun semblant trouver à un moment donné le personnage qui lui convient, Marie Lefebvre en Roxane, Gaétan Nadeau en Titus, Pascal Contamine en Acomat… Mais c’est l’Hermione de Kathleen Fortin, tigresse toutes griffes dehors, qui domine le jeu par son investissement total et passionné. Il y a un cinquième comédien, «l’Homme de confidence» (Charles Préfontaine), qui joue les…confidents, justement, personnage traditionnel de la tragédie classique, mais qu’Asselin a aussi chargé d’assurer les liaisons entre les pièces et qui résume au bénéfice du public les passages sautés. Cette double fonction entraîne une rupture de ton –étrangère à la tragédie classique− et quelques moments de détente dans ce monde impitoyable.
En fait de contraste, on pourrait s’étonner du fait que c’est à Omnibus, cette école du corps au théâtre, qu’on monte cette icône du théâtre des mots qu’est la tragédie de Racine. Mais où ailleurs aurait-on pu orchestrer la rencontre de la discipline des corps et de la contrainte des vers ?
Amours fatales. Texte de Jean Racine. Adaptation de Jean Asselin. Mises en scène de Réal Bossé, Sylvie Moreau et Jean Asselin. Une production d’Omnibus. À Espace libre du 11 février au 8 mars 2014.