Il n’y a pas de personnages dans Electronic City, il n’y a que des figures emblématiques d’un mode de vie qui s’appuie sur le déracinement et le nomadisme forcé. Les travailleurs sont devenus membres d’un prolétariat mondial dont la flexibilité et la mobilité sont les vertus principales. Harnachés à leurs outils de communication instantanée, bombardés d’informations, saturés de données, impuissants devant les ratés des technologies, Tom et Joy déambulent dans un monde fait d’hétérotopies. Ils sont résidents en permanence de non-lieux et n’ont plus aucune référence. La déroute de Tom n’a d’égale que la quête désespérée de Joy pour retrouver cet amoureux qu’elle a connu dans une bagarre alors que les deux voulaient prendre le dernier vol pour un rendez-vous d’affaires important, ou autre nécessité.
Cette trame sur l’inconsistance des néo-humains est doublée d’une mise en abyme orchestrée par une équipe de tournage qui prépare un documentaire sur la vie de ces êtres sans épaisseur. À l’absence d’un corps inhabité, on ajoute le vide d’une image fabriquée. Le projet critique de Falk Richter amorcé avec Electronic City, entend démonter «Das System» dans ses aberrations. On comprend dès lors que cette pièce s’inscrit de plein pied dans la ligne critique de Guy Debord sur la société du spectacle. Le dispositif mis en place par le système ne vise que la continuité du système, à travers une apologie de l’image, dans la confusion du panoptique planétaire à travers la similarité des lieux. Tom ne sait plus dans quelle ville il se trouve. Ce pourrait être n’importe laquelle des grandes villes, interchangeables.
Tom et Joy ne sont plus que des jouets d’une machinerie qui les engloutit et dont seul l’amour pourrait les sortir, pour leur redonner un semblant d’humanité. À part l’anecdote de la bagarre, petite scène purement théâtrale, la pièce expose plus qu’elle n’explore les méandres de l’incommunicabilité et la dérisoire tentative de retrouver son humanité dans une réalité qui ne soit pas entièrement déterminée par le rendement des affaires, par le carcan de l’économie.
La démultiplication des voix à travers huit comédiens rend compte des niveaux de discours. Il y a peu de dialogues véritables dans cette pièce, mais plutôt des sentences, des aphorismes, des critiques, des énoncés, des narrations. Mais il me semble que la vacuité des personnages ne trouve pas son adéquation dans la mise en scène que propose Pelletier. Il y a des images remarquables, notamment lors des tentatives de rencontres avortées par des rejets ou des ruptures de ton (intervention brutale du réalisateur, par exemple), mais le débit parfois déclamatoire agace.
Malgré des tableaux puissants prenant appui sur des structures géométriques, la mise en scène ne parvient pas à mettre en évidence cette dimension du paraître qui place désormais l’humanité dans l’ère du vide. Comme si de trop vouloir ancrer le texte dans le corps des comédiens, on avait évacué complètement la dimension des espaces virtuels qui sont ici évoqués, mais jamais intégrés visuellement dans le spectacle. Comme si la confusion de Tom et Joy entachait la pièce d’une confusion semblable.
Enfin, soulignons le bel environnement musical de cette production, incluant les clins d’œil à Eurythmics, que signe Uberko. Et le remarquable travail d’éclairage de Jean-François Labbé qui délimite en taches géométriques les aires d’apparition et de disparition des comédiens, comme s’ils traversaient des zones ambiguës. Cette mise en scène de Pelletier nous invite à imaginer d’autres structures soulignant la complexité de ce théâtre post-dramatique, de ce système engorgé de lui-même.
Electronic City. Texte de Falk Richter. Mise en scène de Jocelyn Pelletier. Une production de tectoniK. Au Théâtre Périscope jusqu’au 1er mars.
Il n’y a pas de personnages dans Electronic City, il n’y a que des figures emblématiques d’un mode de vie qui s’appuie sur le déracinement et le nomadisme forcé. Les travailleurs sont devenus membres d’un prolétariat mondial dont la flexibilité et la mobilité sont les vertus principales. Harnachés à leurs outils de communication instantanée, bombardés d’informations, saturés de données, impuissants devant les ratés des technologies, Tom et Joy déambulent dans un monde fait d’hétérotopies. Ils sont résidents en permanence de non-lieux et n’ont plus aucune référence. La déroute de Tom n’a d’égale que la quête désespérée de Joy pour retrouver cet amoureux qu’elle a connu dans une bagarre alors que les deux voulaient prendre le dernier vol pour un rendez-vous d’affaires important, ou autre nécessité.
Cette trame sur l’inconsistance des néo-humains est doublée d’une mise en abyme orchestrée par une équipe de tournage qui prépare un documentaire sur la vie de ces êtres sans épaisseur. À l’absence d’un corps inhabité, on ajoute le vide d’une image fabriquée. Le projet critique de Falk Richter amorcé avec Electronic City, entend démonter «Das System» dans ses aberrations. On comprend dès lors que cette pièce s’inscrit de plein pied dans la ligne critique de Guy Debord sur la société du spectacle. Le dispositif mis en place par le système ne vise que la continuité du système, à travers une apologie de l’image, dans la confusion du panoptique planétaire à travers la similarité des lieux. Tom ne sait plus dans quelle ville il se trouve. Ce pourrait être n’importe laquelle des grandes villes, interchangeables.
Tom et Joy ne sont plus que des jouets d’une machinerie qui les engloutit et dont seul l’amour pourrait les sortir, pour leur redonner un semblant d’humanité. À part l’anecdote de la bagarre, petite scène purement théâtrale, la pièce expose plus qu’elle n’explore les méandres de l’incommunicabilité et la dérisoire tentative de retrouver son humanité dans une réalité qui ne soit pas entièrement déterminée par le rendement des affaires, par le carcan de l’économie.
La démultiplication des voix à travers huit comédiens rend compte des niveaux de discours. Il y a peu de dialogues véritables dans cette pièce, mais plutôt des sentences, des aphorismes, des critiques, des énoncés, des narrations. Mais il me semble que la vacuité des personnages ne trouve pas son adéquation dans la mise en scène que propose Pelletier. Il y a des images remarquables, notamment lors des tentatives de rencontres avortées par des rejets ou des ruptures de ton (intervention brutale du réalisateur, par exemple), mais le débit parfois déclamatoire agace.
Malgré des tableaux puissants prenant appui sur des structures géométriques, la mise en scène ne parvient pas à mettre en évidence cette dimension du paraître qui place désormais l’humanité dans l’ère du vide. Comme si de trop vouloir ancrer le texte dans le corps des comédiens, on avait évacué complètement la dimension des espaces virtuels qui sont ici évoqués, mais jamais intégrés visuellement dans le spectacle. Comme si la confusion de Tom et Joy entachait la pièce d’une confusion semblable.
Enfin, soulignons le bel environnement musical de cette production, incluant les clins d’œil à Eurythmics, que signe Uberko. Et le remarquable travail d’éclairage de Jean-François Labbé qui délimite en taches géométriques les aires d’apparition et de disparition des comédiens, comme s’ils traversaient des zones ambiguës. Cette mise en scène de Pelletier nous invite à imaginer d’autres structures soulignant la complexité de ce théâtre post-dramatique, de ce système engorgé de lui-même.
Electronic City. Texte de Falk Richter. Mise en scène de Jocelyn Pelletier. Une production de tectoniK. Au Théâtre Périscope jusqu’au 1er mars.