Critiques

Les Érotisseries : Vie et mort de l’érotisme

Il y a neuf ans, le collectif Carmagnole présentait à la Station C une première mouture des Érotisseries, que je n’ai pas vue. Et c’est, je dois l’avouer, armé de préjugés que je suis arrivé à la Chapelle pour prendre part à ce «happening multidisciplinaire érotique», mon appréhension n’étant pas alimentée par une quelconque pudeur mais parce que j’ai déjà trop assisté à des spectacles qui se vendent et veulent dérangeants et qui, au final, vous laissent de glace; l’attente trash ne finit-elle pas par normaliser l’hors-norme en, paradoxalement, le kitschéïsant?

On sait l’exiguïté de la Chapelle, et, suivant l’intitulé du spectacle, il y avait effectivement quelque chose du poulailler à voir cette foule – la salle était pleine – entassée dans le trop minuscule hall qu’on avait décoré comme pour mettre les sextateurs dans l’ambiance avant de les faire pénétrer dans le motel la Chapelle, tel que l’invitait à le faire le présentateur avec des jeux de mots plus faciles que sexy. Il faisait chaud, les corps se heurtaient souvent, bref : il y avait là un petit quelque chose de l’enfer qu’on associe volontiers, en bien ou en mal, à l’érotisme.

Dans la salle, les «secs» ont pris place dans les estrades alors que les «mouillés» se sont assis tout autour de la scène qui a souvent débordé pour atteindre l’ensemble de l’espace pour ce cabaret circassien d’une quinzaine de numéros dont deux sont dignes de mention vu leur exceptionnelle beauté.

Tout d’abord, le tableau troublant d’un colosse tendre et passionné à qui échappe un corps inanimé. L’érotisme, écrivait d’entrée de jeu Georges Bataille dans son essai éponyme, «est l’approbation de la vie jusque dans la mort», et on est vite saisi, en ce sens, par le duo Assathiany-Bonin qui fait preuve d’une extrême sensibilité pour poser cette question qui se retrouve en filigrane de tout le spectacle : où se trouve l’érotisme, et donc jusqu’où peut-il aller?

Dans Les Érotisseries, le goût pour le plaisir sexuel se manifeste à la fois dans la vue d’une effeuilleuse, dans le mouvement des muscles et de la peau d’un acrobate au corps de dieu grec, ou dans l’aura mystérieuse d’une geisha sanguinaire. Il y a certes quelques malaises – le contraire aurait été décevant… –, mais le spectacle n’en joue pas trop et évite de tomber dans l’exploitation éhontée des tabous.

Et si, vers la fin du cabaret, on commence à décrocher un peu, le sublime numéro de tissu aérien de Marjorie Nantel ramène l’émerveillement. Quittant son rôle un peu stéréotypé de la professeure cochonne, elle incarnera alors, dans sa fluide enveloppe blanche poussée par les spectateurs qu’elle effleure au passage, la naissance des plaisirs. Ce qui n’est pas sans renverser la même question : où commence l’érotisme?

La réponse se trouve peut-être dans le salut final où tous les artisans se retrouvent nus – chose presque cocasse dans la mesure où le nom de leur collectif dérive d’un vêtement ! – sur scène pour se faire voir une dernière fois par le public. Comme pour dire que le show n’est pas fini, ou plutôt qu’il n’a jamais commencé. C’est à cette petite révolution, dont on oublie peut-être trop souvent la valeur au quotidien, que ce fort sympathique cabaret invite à réfléchir, non sans humour, en conviant (presque) tous nos sens.

Les Érotisseries

Création et mise en scène : Manu Cyr et les artistes. Un spectacle des Productions Carmagnole. À la Chapelle jusqu’au 22 février 2014.

Sylvain Lavoie

À propos de

Doctorant en humanités à l’Université Concordia, ses recherches portent sur les représentations de la nature dans le théâtre contemporain. Il collabore notamment au magazine Spirale.