Critiques

As is (Tel quel) : Leçon de vie sur le tas

Valérie Remise

C’est en s’inspirant de son expérience personnelle (lorsqu’il avait 18 ans, il a travaillé pour l’Armée du Salut) que Simon Boudreault a écrit As is (tel quel). Il y donne une voix aux laissés pour compte et jette un regard acéré sur les inégalités sociales, le consumérisme, le besoin d’appartenance et de conformité, l’hypocrisie qui se cache parfois derrière les bonnes actions, et la façon dont la vie broie les rêves, les liens et l’espoir. 

Saturnin (Jean-François Pronovost), étudiant en philosophie, se cherche une job d’été, et finit par dénicher un emploi de «trieur de cossins» dans un organisme de charité, l’Armée du rachat. Ses journées d’été, il les passera dans un sous-sol, à farfouiller dans un immense tas d’objets et à décider de ce qui sera vendu et de ce qui sera détruit par le compacteur dont seul lui et le boss ont la clé. Ses collègues, eux, sont à l’image des objets à trier: usés et à la recherche d’une seconde vie.

Il y a Johanne, Suzanne et Diane, qui rangent du linge à la journée longue pour un salaire de misère; il y a celui que l’on surnomme «Pénis», qui pousse des chariots d’étage en étage, tachant de rire de son surnom; il y a Richard, un alcoolique en cure de désintoxication, qui est prié de dîner seul. Tous sont sujets à des vexations, brimades et abus de pouvoir de la part du chef de service, un ancien danseur du 281 qui n’est pas à une magouille près. Tous vivent dans le peur du jugement des «bruns» (les religieux), qui font la pluie et le beau temps. On a beau être dans un organisme de bienfaisance, la compassion, la tolérance et la bienveillance ne sont pas choses du quotidien. Quant à Saturnin le bien-pensant, Saturnin qui cherche à s’intégrer et améliorer les choses, il fera somme toute plus de mal que de bien.

Il y a bien dans ce spectacle quelques maladresses: la répétition parfois artificielle des termes «as is», certains personnages pas tout à fait aboutis (Johanne et Suzanne), des revirements mal amenés, des chansons (à la manière de Belles-Soeurs, les personnages font part de leurs états d’âme en musique) aux paroles un peu faibles et pas toujours très bien interprétées, malgré le coeur qui y est mis… Mais l’ensemble n’en demeure pas moins drôle, mordant et bizarrement réjouissant.

On est particulièrement séduit par la galerie de personnages haut en couleurs sortis de l’imaginaire de l’auteur (ou de son expérience?) et portés par une distribution impeccable (Denis Bernard, coupe mulet, teint orange, bagues aux doigts, est particulièrement mémorable en patron véreux). Il n’y a pas à dire, Boudreault est doué pour donner de l’humanité à ses personnages d’écorchés de la vie, et nous faire tomber sous leur charme, malgré leurs mesquineries et leurs failles. Son sens de la formule fait mouche à répétition.

Quant à la scénographie à étages de Richard Lacroix, elle est magnifique et saisissante et elle contribue à l’utilisation à la fois inhabituelle, ingénieuse et efficace que Boudreault fait de l’espace (l’auteur a également signé la mise en scène). «Le tas», composé d’objets les plus divers, monte jusqu’au plafond du théâtre, se laisse escalader par les comédiens, recèle mille trouvailles qui se répandent jusque sur les sièges et dans les couloirs du théâtre. Il joue ainsi un rôle à part entière tout en symbolisant un rempart, un pilier, et le gardien des secrets et des désirs inavoués. 

As is (tel quel).Texte et mise en scène de Simon Boudreault. Une production Simoniaques Théâtre. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 5 avril 2014.