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Marcelle Dubois et la francophonie

Eugene Holtz

«Marcelle Dubois, la femme derrière tant de rencontres inouïes, tant de premières fois incandescentes, tant de victoires et tant de voix enfin entendues!» C’est en ces termes fort bien choisis que Véronique Côté, codirectrice de la 13e édition du Festival du Jamais Lu, a présenté la grande prêtresse de l’événement qui se tient Aux Écuries du 2 au 9 mai. Cette année, Marcelle Dubois ouvre le bal avec La soirée des manifestes.

Pour l’occasion, 16 auteurs francophones de 9 pays seront rassemblés sur une même scène pour prendre la parole au nom d’un collectif auquel ils appartiennent. Marc-Antoine Cyr et Marcelle Dubois représentent le Québec. Céline Delbecq et Veronika Mabardi, la Belgique. Sœuf Elbadawi, les Comores. Bernard Lagier, Frantz Succab et Évelyne Trouillot, les Caraïbes. Faustin Keoua Leturmy, le Burkina Faso. Marie-Louise Bibish Mumbu, la République démocratique du Congo. Natacha de Pontcharra et Nathalie Fillion, la France. Jean-Philippe Raîche et Gabriel Robichaud, l’Acadie. Jérôme Richer et Antoinette Rychner, la Suisse.

Qu’est-ce que rend cette soirée si particulière?

Si j’ai voulu reprendre ici cette formule qui est née au 30e Festival des francophonies en Limousin, c’est que je considère que nous sommes souvent au Québec dans une francophonie de résistance. Je trouve qu’à force de survivre on oublie d’appartenir. Le temps d’une soirée, qui sera unique par son envergure et son contenu, 9 pays francophones vont appartenir au même mouvement, au même souffle. C’est très excitant.

Ces auteurs appartiennent à des collectifs. Quelles sont les positions de ces collectifs?

Ce sont des collectifs qui résistent aux institutions de leurs propres pays. Ils souhaitent réinventer la place de l’auteur et de sa parole dans leur communauté. Tout comme nous le faisons avec le Jamais Lu depuis 13 ans. Ces artistes que nous réunissons, ce sont ni plus ni moins que des frères de combat. Ils sont tous dramaturges, mais certains sont aussi journalistes, poètes, activistes et féministes. Je suis très fier que nous ayons réussi à les réunir tous. Croyez-moi, ce n’a pas été simple!

Qu’est-ce que vous leur avez demandé?

Je leur ai tout d’abord demandé d’écrire et de venir livrer le manifeste poétique et politique qui guide leurs actions! Mais je leur ai aussi soumis un questionnaire auquel ils pouvaient répondre de toutes sortes de manières. Il y aura donc des scènes de théâtre, de la poésie et même des chansons. Je ne voulais pas des essais, pas de la théorie. Ce que je voulais entendre, c’est leurs paroles d’auteurs. Vous allez voir, ce sont pour la plupart des personnages. Ils ont des personnalités fortes, beaucoup du charisme.

Est-ce que vous pouvez nous donner une idée des questions précises que vous leur avez posées?

Pourquoi se rassembler pour prendre la parole? Pourquoi créer des collectifs? Pour résister à quoi? Qu’est-ce qui constitue une menace? Est-ce que le mot “pays” veut encore dire quelque chose dans cette ère où les frontières tombent? À quel moment de l’histoire de votre pays prenez-vous la parole, dans la foulée et à la veille de quoi? Comment l’écriture peut-elle répondre au social, au politique, à l’identitaire? Quelle posture prenez-vous dans ces débats? J’ai même osé leur demander de dire ce qu’on ne devrait normalement pas dire dans un rassemblement de francophones du monde entier.

La soirée aura forcément une teneur politique?

Sans avoir de drapeaux avec eux, ces artistes sont les représentants d’un peuple, de ses désirs politiques et culturels. Ce sera donc politique, bien entendu, mais on est aussi là pour déconstruire les clichés, faire des révélations, débouter quelques idées reçues. Moi je suis un peu la “peace and love” de la bande. Marc-Antoine Cyr, c’est le déraciné qui cherche sa place entre la France et le Québec. Les gens de la Martinique, Guadeloupe et Haïti se demandent s’ils sont des Européens ou des Américains. Ce qui me semble le plus intéressant, c’est de comparer nos situations, de voir ce qu’elles ont de semblable. Après tout, nous appartenons tous au même monde.

La soirée des manifestes

Conception et mise en lecture : Marcelle Dubois. Aux Écuries le 2 mai 2014 à 20 h.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.