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André Gélineau et les origines

Cofondateur et directeur artistique du théâtre Turcs Gobeurs d’Opium, André Gélineau est notamment l’auteur de Tobacco et le coauteur de Ce qu’on enterre. Rappelons qu’on trouve dans JEU 148 un passionnant échange entre Gélineau et Patrick Quintal, cofondateur et directeur artistique du Théâtre du Double Signe, intitulé « De Sherbrooke, s’ouvrir sur le monde ». André Gélineau profite du 13e Festival du Jamais Lu pour faire entendre son plus récent texte, Raconter le feu aux forêts.

Qu’est-ce qui vous met le feu au cul? Qu’est-ce qui vous donne le gout de mettre le feu autour de vous?

André Gélineau : « Je ne suis pas quelqu’un de très patient. Je suis un butcheux. Il faut que je lutte contre cet aspect de moi-même. Avec moi, c’est vite, ici et maintenant. En ce sens, je suis probablement représentatif de ma génération. Je n’aime pas quand les gens sont lents à me répondre, quand on décide de prendre du temps pour réfléchir à une situation. Je suis pareil en ce qui concerne l’écriture. Retravailler, peaufiner, laisser les choses se déposer, ce n’est pas du tout évident pour moi. Si j’apprenais à respirer, à prendre le temps, ce serait beaucoup plus sain. »

Qu’est-ce qui vous éteint? Qu’est-ce qui vous étouffe? Qu’est-ce qui menace la survie de votre flamme?

A. G. : « Mon repli sur moi-même! J’ai une nette tendance à l’autarcie. Autant j’ai besoin que les choses se fassent vite, autant parfois je me trouve immobile. J’ai de la difficulté à quitter ce que j’aime, de la difficulté à me confronter à ce qui est différent, à ce qui m’est inconnu, parce que ça me rend anxieux. Il faudrait assurément que je bouge plus, que je me mette plus souvent en danger. Cela dit, j’y arrive tout de même un peu. La preuve, je vais faire entendre ma pièce au Jamais Lu! Mais je ne vous cacherai pas que ça m’effraie beaucoup. »

Qu’est-ce qui vous donne le feu sacré ou encore le ranime? Qu’est-ce que vous brulez de dire, de créer, de réaliser?

A. G. : « Je trouve qu’on manque d’enchantement dans notre société. J’ai envie qu’on se souvienne de nos origines. Même si elles sont bestiales, même si elles sont toutes croches. Quand on ne comprend plus trop comment les choses sont en train de s’échafauder, je pense qu’il est bon de se rappeler la base, de la revisiter et même de la célébrer un peu plus. C’est un objectif qui m’anime beaucoup en ce moment. Quand je pense aux origines, je pense aussi à ma famille, à là d’où je viens. Chaque fois que j’écris, ces thèmes me rattrapent. C’est plus fort que moi. Ce que j’ai été comme enfant et ce que j’ai compris à cette époque-là, c’est probablement ce que je porte de plus important. »

Quel rapport entretenez-vous avec le territoire, la nature, les éléments et les animaux?

A. G. : « J’ai grandi près de la nature, près du bois et des cours d’eau, mais je n’ai jamais été très actif dans cette nature, je n’ai jamais été agile, jamais tenu un rôle crucial par rapport aux éléments. C’est une nature que je voyais, que je contemplais, que j’admirais, mais dont j’ai vite compris qu’elle était plus forte que moi. J’aimerais ça vivre vieux et faire partie de la nature longtemps, mais j’ai toujours eu peur de mourir et je dois avouer que je n’entretiens pas très bien ma propre vie. Vous aurez compris que j’ai un rapport fort, mais aussi complexe avec tout ça. »

Pourriez-vous me décrire votre pièce en trois mots?

A. G. : « Anubis. Anecdote. Feu. »

Pourriez-vous me décrire l’un de vos personnages?

A. G. : « Je choisirai… l’Homme-Chien. C’est un humain avec une tête de chien. Il est né comme ça. On ne cherche pas à expliquer comment et pourquoi. C’est un personnage plus effacé, mais qui révèle les autres à eux-mêmes. Pour certain, cet Homme-Chien est une source de désir, de fascination, une façon de faire le deuil de quelque chose, alors que pour d’autres, la créature inspire l’effroi. C’est un personnage crucial qui apporte quelque chose de beau, de salvateur, mais qui vient également avec son lot de tristesse. »

Pourriez-vous nommer cinq sujets abordés dans votre pièce?

A. G. : « Il est question de deuil, de territoire, de filiation, de souvenir et d’américanité. »

Raconter le feu aux forêts

Texte et mise en lecture : André Gélineau. Distribution : Olivier Aubin, Dany Boudreault, Emmanuelle Laroche, Gabrielle Lessard et Marika Lhoumeau. Musique : Yann Godbout. Aux Écuries le mardi 6 mai 2014 à 20 h.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.