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Gabriel Robichaud et la mer

© Marianne Duval

Gabriel Robichaud est né en 1990 à Moncton. D’abord comédien, il lui arrive aussi de donner dans la poésie et la musique. Le jeune Acadien profite du 13e Jamais Lu pour faire entendre Crow Bar, son troisième texte pour le théâtre.

Qu’est-ce qui vous met le feu au cul? Qu’est-ce qui vous donne le goût de mettre le feu autour de vous?

La bêtise, l’ignorance volontaire, tout ce qui limite, place une frontière, et plus que tout me placer devant une situation où je me sens impuissant, non par manque de contrôle, mais par impossibilité d’agir.

Qu’est-ce qui vous éteint, vous étouffe, menace la survie de votre flamme?

La même chose que ce qui me brûle. Reste que jusqu’à présent le souffle est arrivé à temps pour que l’inspiration demeure et que je reste dans l’action.

Qu’est-ce qui vous donne le feu sacré ou encore le ranime? Qu’est-ce que vous brulez de dire, de créer, de réaliser?

Je ne sais pas comment le nommer. L’espoir, la foi dans quelque chose de mieux, l’entêtement de dire que rien n’est jamais terminé et que tout sert à quelque chose. Peut-être aussi la naïveté, ou même l’innocence. Mais je ne peux pas m’empêcher de croire à quelque chose de mieux. Ça me garde en vie, et ça donne tout son sens à tenter de rester constamment vivant.

Quel rapport entretenez-vous avec le territoire?

J’entretiens un rapport assez flou avec le territoire, et j’identifie le tout à mes origines acadiennes. Parce que je suis de ceux qui n’identifient pas l’Acadie à un territoire fixe, puisque même le territoire historique de ce que fut l’Acadie demeure flou. J’attribue au territoire la possibilité du voyage, et comme je ne prône pas la frontière, je vois aussi dans le territoire la possibilité du partage.

Quel rapport entretenez-vous avec la nature?

J’entretiens un fort rapport à la mer. Étant Acadien, on pourrait rapidement tomber dans le cliché du pêcheur, hors il n’en est rien. Je n’ai jamais aspiré au métier ni baigné moindrement là-dedans. C’est plus la mer comme lieu poétique, un rapport avec l’horizon par moment infini, ou encore avec l’espoir d’une terre ferme, la mer calme ou tempête, qui est maitresse de ses humeurs. La mer qui apporte à manger et qui en même temps ronge le territoire. La mer qui nous porte ou qui nous coule.

Quel rapport entretenez-vous avec les éléments?

Je suis très sensible aux quatre éléments que les grecs nous ont légué pour près de 2000 ans: l’eau, le feu, la terre et l’air. L’eau qui épouse bien la mer, l’eau qui berce et qui noie, à ne pas prendre à la légère. La terre comme l’ancre, la solidité, comme l’élément qui caractérise le capricorne que je suis. L’air comme ce qui nous secoue ou nous soulève, ce qui nous porte ou encore nous emporte, avec ou contre notre gré. Et puis le feu, celui qui nous nourrit plus que celui qui nous dévore, celui qui nous réchauffe en braise et qui ne demande qu’à bruler encore, celui qui garde des traces de lumière un peu partout. Bref, tout ce que ces éléments ont de mythique, parce que c’est bien, le mythe.

Pourriez-vous me décrire votre pièce en trois mots?

Mer. Bar. Cimetière-des-Joe.

Pourriez-vous me décrire l’un de vos personnages?

La Vieille au bar. Dans ses mots, c’est un meuble de la place. Du Crow Bar. Un meuble qui jase. C’est un peu la femme sage, la raconteuse, celle qui sait tout, qui explique, qui donne les clés de la mythologie du village, qui explique comment et pourquoi se passent les choses, quand et si ça lui tente. Elle connait tout et tout le monde. Ex-alcoolique, elle boit à journée longue des virgin tonic. Pas du tonic, un virgin tonic, parce qu’il y a le mot gin dedans. Pas un virgin gin tonic non plus, parce que ça fait gin deux fois, et que ça sonne cave.

Pourriez-vous nommer cinq sujets abordés dans votre pièce?

Les défis de s’installer dans un lieu inconnu. La vie rurale dans un nulle-part où on peut tous se reconnaître. Le réalisme magique. Ce qui nous garde en vie ou ce qui nous empêche de mourir. Les enjeux des rumeurs/superstitions qui habitent une communauté.

Crow Bar

Texte: Gabriel Robichaud. Mise en lecture: Claude Poissant. Avec Lucien Bergeron, Robin-Joël Cool, Martin Desgagné, Murielle Dutil et Isabelle Roy. Aux Écuries le jeudi 8 mai à 20h.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.