Critiques

L’histoire révélée du Canada français 1608-1998 : Tonique trilogie

Sept heures, dix comédiens, un chien, trois spectacles, un nombre incalculable de personnages et plusieurs moments jubilatoires. Raconter l’histoire du Canada français, façon Nouveau Théâtre Expérimental, se fait dans la démesure ou ne se fait pas.

Dans cette trilogie, l’auteur Alexis Martin revisite dans un joyeux désordre l’histoire du territoire de la Nouvelle-France, de la fondation de la ville de Québec par Champlain en 1608 à la crise du verglas de 1998. Ces deux dates s’interpellent, puisque la première constitue le premier effort pour maintenir un établissement permanent dans un territoire hostile, et la seconde témoigne d’un moment où la nature reprend ses droits.

Alexis Martin explore l’Histoire en se basant sur trois thèmes qui servent à articuler chacun des volets de la trilogie. Les deux premières parties, l’Invention du chauffage central en Nouvelle-France – plutôt lente à trouver son rythme lors de la première – et Les chemins qui marchent, créées en 2012 et 2013, traitent du froid et des cours d’eaux. Le dernier volet, Le pain et le vin, qui vient tout juste d’être créé, s’attarde à la nourriture. Cette façon de couvrir une même période sous trois angles différents, le climat, la façon de parcourir ou de cultiver un territoire, permet de s’approprier l’Histoire de l’intérieur, en mettant l’accent sur la façon de vivre des habitants.

Ainsi, le spectacle se veut un enchevêtrement d’épisodes de l’Histoire et de moments du quotidien sur une période de près de 400 ans. Amérindiens, Jésuites, Seigneurs, mais aussi des héros plus contemporains tels Gaston Miron ou Jehane Benoit, les grands personnages côtoient les petites gens, travailleurs à la station d’épuration des eaux, petits mafieux, homme en mal de confidences dans une taverne. L’écriture relève le pari de jouer avec l’Histoire, les références sont parsemées d’humour. On pousse aussi la chansonnette dans les deux premiers volets, et les chansons, qui confèrent un côté poétique à la première partie, deviennent carrément le déclencheur du rire dans la deuxième, qui prend des accents de comédie musicale. Elles sont remplacées en troisième partie par des morceaux de flûte à bec, interprétés par les comédiens, pour notre plus grand plaisir.   

La mise en scène, assurée par Daniel Brière, est efficace et inventive. Les tableaux se succèdent avec fluidité, on saute aisément d’une époque à l’autre et plusieurs images fortes sont du lot. Pensons seulement à cette tempête de neige créée à l’aide d’aspirateurs et de flocons de neige, à ces chorégraphies loufoques de bûcherons, à ce cochon qu’on égorge avec le même rituel que celui utilisé pour trancher la tête à Papineau.

Le dispositif scénique dans lequel se joue le spectacle, sorte de boite rectangulaire dont le périmètre est tantôt enneigé, rempli d’eau ou couvert d’un tapis vert, dispose le public de façon bi-frontale, permettant une réelle proximité avec les acteurs. Transformable à souhait, l’espace de jeu, tout en trappes, auquel les comédiens accèdent par un escalier situé sous la scène, permet des apparitions rapides dont l’orchestration force l’admiration. Côté costumes, les comédiens portent tous un même habit de base, unifiant la troupe, par-dessus lequel ils enfilent éléments de costumes et perruques, évoquant de façon simple et efficace personnages et époques. Sur un espace de projection situé en haut du dispositif, on a recourt aux surtitres pour situer certains moments historiques ou projeter des vidéos filmées en direct sur scène.

La distribution est sans faille, les dix comédiens endossent leurs multiples rôles avec un plaisir évident, que ce soit des rôles mineurs (on pense au Ti-Man d’Alexis Martin ou la mairesse de Danielle Proulx) ou des morceaux plus importants (Gary Boudreault en homme esseulé dans une taverne, François Papineau en Frontenac dans un numéro chanté et dansé, Alexis Martin dans un lipsync improbable). Le trait est parfois gros, les personnages sont esquissés, mais le tout est fait d’une façon si généreuse qu’on adhère à l’ensemble.

Ce joyeux bric-à-brac, fidèle à l’esprit du NTE, nous happe et nous propulse dans un véritable tourbillon historique. On ne peut souhaiter, face au plaisir évident que prenaient les étudiants du secondaire à assister au spectacle, que l’Histoire leur soit toujours transmise de cette façon, avec cette fougue et cette folie.

L’Histoire révélée du Canada français 1608-1998

Texte d’Alexis Martin. Mise en scène de Daniel Brière. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental. À Espace Libre, les 25, 30, 31 mai et 1er juin.

 

Emilie Jobin

À propos de

Émilie Jobin est professeure au département de littérature et de français du Cégep Édouard-Montpetit.