À quoi différencie-t-on le simple touriste du grand voyageur ? À Cuba, choisiriez-vous les plages domestiquées de Cayo Coco ou les quartiers chauds et revêches de La Havane ? D’entrée de jeu, avec humour et finesse, Jean-Philippe Lehoux nous adresse ce faux dilemme et, par le biais de ce spectacle autobiographique, nous induit à nous questionner intimement et sociologiquement sur notre rapport à l’altérité.
Avec ce « one-man-show touristique », l’auteur en résidence à La Manufacture nous ouvre les pages de ses carnets de voyage pour mieux abattre les cloisons artificielles qui se dressent entre les notions de touriste et de voyageur. Et si, au fond, ce n’était pas tant le prestige de l’accumulation des destinations et des conquêtes, plutôt que les petits riens, les vertiges, les amitiés fortuites et les errances qui constituaient la quintessence du voyage ?
Il faut peut-être préciser d’entrée de jeu que le tourisme est un leitmotiv littéraire pour le dramaturge féru de voyages, auteur du Bras Canadien et autres vanités, où la planète d’un Petit Prince taciturne est prise d’assaut par une horde de touristes, de Comment je suis devenue touriste, présenté à La Licorne en 2012 et en 2013 et de L’écolière de Tokyo, récipiendaire du prix Gratien-Gélinas en 2013.
Avec Napoléon voyage, l’auteur dit avoir travaillé de façon moins préméditée du point de vue formel, adoptant le ton plus direct et spontané du récit autobiographique, ce qui confère à l’œuvre une humanité désarmante. Toutefois, structure moins formaliste ne rime pas avec inachèvement du texte, car la beauté et la singularité poétique des images que son écriture convoque sont les principales forces d’attraction du spectacle.
Dans ses récits de voyage, où les petites histoires s’enchevêtrent à la grande (Bosnie post-génocidaire, monastère de la Syrie datant du 11e siècle, etc.), Jean-Philippe Lehoux met l’accent sur ce que d’ordinaire, on choisit de dissimuler : la solitude, les malaises physiques et éthiques et les malchances. Or, c’est précisément cette vulnérabilité et cette candeur qui font le charme du spectacle.
La mise en scène dépouillée de Philippe Lambert laisse la parole de conteur de Lehoux se déployer dans l’espace avec amplitude, soutenue et ponctuée par la musique de Bertrand Lemoyne, qui se fait même tour à tour ami et narrateur. Dans l’ensemble, la présence du musicien polyvalent s’intègre avec fluidité au spectacle, hormis une ou deux interventions qui gagneraient à être légèrement écourtées, pour éviter quelques ruptures de ton momentanées.
Quelques objets rappellent l’univers du voyage : des photos, archives visuelles faisant écho aux archives littéraires des carnets, un sac à dos, un bâton de marche, une affiche des Voyages Sears, une liste de destinations et leurs prix, plus ou moins exorbitants selon le fait qu’elles soient jugées incontournables ou contournables (habile clin d’œil d’ailleurs à l’autre projet en cours de Lehoux, Les Contournables).
Au sol et sur les murs, des trajectoires en pointillés parcourent l’espace scénique à l’image des itinéraires de Bosnie, de Syrie, du Japon et de Norvège qui se télescopent. On aurait pu facilement perdre le fil avec toutes ses ellipses, mais Lambert et Lehoux nous font valser d’un espace mémoriel à un autre sans heurts. Le choix de la craie dessinée semble judicieux : il s’agit d’un matériau qui s’effrite comme la mémoire ou le temps et dont les traits délébiles font écho au caractère éphémère des expériences de voyage. Ces dessins naïfs soulignent intelligemment les aspects ludique, fragile et sans prétention des récits de Lehoux.
En remplaçant la figure de Napoléon par un touriste « inconnu qui n’a jamais voulu tuer de Prussiens» (dixit le sous-titre du spectacle), Lehoux s’attaque au mythe romantique du voyageur conquérant. Avec une autodérision tendre et jubilatoire, il charcute les images génériques fabriquées par l’industrie du tourisme et cède la place aux questions de la curiosité et de l’éthique vis-à-vis de l’altérité.
À une époque où le spectateur traque le meilleur spectacle, en quête d’une valeur sûre à la manière du voyageur qui magasine le meilleur hôtel d’une destination incontournable, Lehoux nous rappelle que certaines expériences, à l’instar du voyage ou du spectacle théâtral, requièrent une certaine prise de risque pour accéder à la grâce.
Texte de Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène de Philippe Lambert et Jean-Philippe Lehoux. Une production du Théâtre Hors Taxes. À la Petite Licorne jusqu’au 12 septembre 2014.
À quoi différencie-t-on le simple touriste du grand voyageur ? À Cuba, choisiriez-vous les plages domestiquées de Cayo Coco ou les quartiers chauds et revêches de La Havane ? D’entrée de jeu, avec humour et finesse, Jean-Philippe Lehoux nous adresse ce faux dilemme et, par le biais de ce spectacle autobiographique, nous induit à nous questionner intimement et sociologiquement sur notre rapport à l’altérité.
Avec ce « one-man-show touristique », l’auteur en résidence à La Manufacture nous ouvre les pages de ses carnets de voyage pour mieux abattre les cloisons artificielles qui se dressent entre les notions de touriste et de voyageur. Et si, au fond, ce n’était pas tant le prestige de l’accumulation des destinations et des conquêtes, plutôt que les petits riens, les vertiges, les amitiés fortuites et les errances qui constituaient la quintessence du voyage ?
Il faut peut-être préciser d’entrée de jeu que le tourisme est un leitmotiv littéraire pour le dramaturge féru de voyages, auteur du Bras Canadien et autres vanités, où la planète d’un Petit Prince taciturne est prise d’assaut par une horde de touristes, de Comment je suis devenue touriste, présenté à La Licorne en 2012 et en 2013 et de L’écolière de Tokyo, récipiendaire du prix Gratien-Gélinas en 2013.
Avec Napoléon voyage, l’auteur dit avoir travaillé de façon moins préméditée du point de vue formel, adoptant le ton plus direct et spontané du récit autobiographique, ce qui confère à l’œuvre une humanité désarmante. Toutefois, structure moins formaliste ne rime pas avec inachèvement du texte, car la beauté et la singularité poétique des images que son écriture convoque sont les principales forces d’attraction du spectacle.
Dans ses récits de voyage, où les petites histoires s’enchevêtrent à la grande (Bosnie post-génocidaire, monastère de la Syrie datant du 11e siècle, etc.), Jean-Philippe Lehoux met l’accent sur ce que d’ordinaire, on choisit de dissimuler : la solitude, les malaises physiques et éthiques et les malchances. Or, c’est précisément cette vulnérabilité et cette candeur qui font le charme du spectacle.
La mise en scène dépouillée de Philippe Lambert laisse la parole de conteur de Lehoux se déployer dans l’espace avec amplitude, soutenue et ponctuée par la musique de Bertrand Lemoyne, qui se fait même tour à tour ami et narrateur. Dans l’ensemble, la présence du musicien polyvalent s’intègre avec fluidité au spectacle, hormis une ou deux interventions qui gagneraient à être légèrement écourtées, pour éviter quelques ruptures de ton momentanées.
Quelques objets rappellent l’univers du voyage : des photos, archives visuelles faisant écho aux archives littéraires des carnets, un sac à dos, un bâton de marche, une affiche des Voyages Sears, une liste de destinations et leurs prix, plus ou moins exorbitants selon le fait qu’elles soient jugées incontournables ou contournables (habile clin d’œil d’ailleurs à l’autre projet en cours de Lehoux, Les Contournables).
Au sol et sur les murs, des trajectoires en pointillés parcourent l’espace scénique à l’image des itinéraires de Bosnie, de Syrie, du Japon et de Norvège qui se télescopent. On aurait pu facilement perdre le fil avec toutes ses ellipses, mais Lambert et Lehoux nous font valser d’un espace mémoriel à un autre sans heurts. Le choix de la craie dessinée semble judicieux : il s’agit d’un matériau qui s’effrite comme la mémoire ou le temps et dont les traits délébiles font écho au caractère éphémère des expériences de voyage. Ces dessins naïfs soulignent intelligemment les aspects ludique, fragile et sans prétention des récits de Lehoux.
En remplaçant la figure de Napoléon par un touriste « inconnu qui n’a jamais voulu tuer de Prussiens» (dixit le sous-titre du spectacle), Lehoux s’attaque au mythe romantique du voyageur conquérant. Avec une autodérision tendre et jubilatoire, il charcute les images génériques fabriquées par l’industrie du tourisme et cède la place aux questions de la curiosité et de l’éthique vis-à-vis de l’altérité.
À une époque où le spectateur traque le meilleur spectacle, en quête d’une valeur sûre à la manière du voyageur qui magasine le meilleur hôtel d’une destination incontournable, Lehoux nous rappelle que certaines expériences, à l’instar du voyage ou du spectacle théâtral, requièrent une certaine prise de risque pour accéder à la grâce.
Napoléon voyage
Texte de Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène de Philippe Lambert et Jean-Philippe Lehoux. Une production du Théâtre Hors Taxes. À la Petite Licorne jusqu’au 12 septembre 2014.