Film poignant et puissant de John Cassavetes, sorti en 1977, Opening Night met en scène Gena Rowlands, interprétant Myrtle Gordon, une actrice célèbre répétant une pièce de théâtre, à quelques jours de la première. Une adolescente, venue demander un autographe à son idole, se fait renverser par une voiture en sortant du théâtre et meurt des suites de l’accident.
Chez Myrtle, cette mort soudaine déclenche une crise d’angoisse, une prise de conscience existentielle, tout en réveillant une immense souffrance. Le fantôme de l’adolescente la hante, la torture. L’image de sa jeunesse perdue… Le texte de la pièce qu’elle répète évoque justement l’inéluctable vieillissement, « le lent naufrage » d’une actrice qui veut d’abord et avant tout être aimée. Et pour cela, il faut rester jeune, et belle, et désirable. C’est ainsi que le metteur en scène tente de la rassurer, en lui disant qu’elle est la femme la plus excitante qu’il connaît.
Myrtle ne se reconnaît pas dans le personnage de Victoria. Elle, qui refuse de dire son âge, joue le rôle d’une femme plus vieille. Dilemme : si elle se révèle convaincante dans ce rôle, le public la verra vieille. Et le public, c’est son miroir. Se pose alors la question de l’intégrité : peut-on jouer un texte qu’on n’assume pas ?
Le risque était grand de vouloir adapter ce film au théâtre. Fanny Britt, la traductrice et adaptatrice, l’avoue elle-même dans le programme, c’est « une entreprise périlleuse ». Ce que montre Cassavetes, en filmant de près l’actrice et la femme, cette plongée dans les affres du doute, de la peur, de l’autodestruction, comment le rendre en scène ? Eric Jean se heurte ici aux limites du théâtre, sans réussir à les transcender. Un halo de lumière sur le visage de Sylvie Drapeau n’a pas la même expressivité qu’un gros plan sur les traînées de mascara diluées de larmes de Gena Rowlands…
La scénographie, composée de panneaux pivotants, évoque les différents lieux : le plateau de répétition, la loge, une chambre. Délimitant des espaces restreints, elle rend bien l’enfermement des personnages dans ce qu’ils font, dans ce qu’il sont ou voudraient être. En revanche, les changements (trop) fréquents hachurent le récit, lui donnant certes un rythme, mais à la limite de l’essoufflement.
Si la mise en scène a le mérite de ne jamais perdre le spectateur dans cette mise en abîme à la fois vertigineuse et très maîtrisée, la direction d’acteur, elle, est très inégale. Sylvie Drapeau, bien sûr, attire tous les regards et, il faut le dire, elle est parfaite. Féminine, sensuelle et désespérée. La démarche titubante, les gestes erratiques, la voix brisée, elle donne à cette femme qui se noie sous le regard désabusé, parfois exaspéré, de ses partenaires de jeu, une grandeur et une décadence touchantes, malgré quelques passages en force.
Autour d’elle, la distribution est malheureusement sans grand relief, donnant l’impression que les comédiens, un peu remis à eux-mêmes, marchent à côté de leur personnage. À côté de l’immense actrice qu’est Sylvie Drapeau, qui porte le spectacle avec un talent et une force remarquables, le contraste n’en est que plus évident. Dommage.
D’après le film de John Cassavetes. Traduction et adaptation de Fanny Britt. Mise en scène d’Eric Jean. Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 27 septembre 2014.
Film poignant et puissant de John Cassavetes, sorti en 1977, Opening Night met en scène Gena Rowlands, interprétant Myrtle Gordon, une actrice célèbre répétant une pièce de théâtre, à quelques jours de la première. Une adolescente, venue demander un autographe à son idole, se fait renverser par une voiture en sortant du théâtre et meurt des suites de l’accident.
Chez Myrtle, cette mort soudaine déclenche une crise d’angoisse, une prise de conscience existentielle, tout en réveillant une immense souffrance. Le fantôme de l’adolescente la hante, la torture. L’image de sa jeunesse perdue… Le texte de la pièce qu’elle répète évoque justement l’inéluctable vieillissement, « le lent naufrage » d’une actrice qui veut d’abord et avant tout être aimée. Et pour cela, il faut rester jeune, et belle, et désirable. C’est ainsi que le metteur en scène tente de la rassurer, en lui disant qu’elle est la femme la plus excitante qu’il connaît.
Myrtle ne se reconnaît pas dans le personnage de Victoria. Elle, qui refuse de dire son âge, joue le rôle d’une femme plus vieille. Dilemme : si elle se révèle convaincante dans ce rôle, le public la verra vieille. Et le public, c’est son miroir. Se pose alors la question de l’intégrité : peut-on jouer un texte qu’on n’assume pas ?
Le risque était grand de vouloir adapter ce film au théâtre. Fanny Britt, la traductrice et adaptatrice, l’avoue elle-même dans le programme, c’est « une entreprise périlleuse ». Ce que montre Cassavetes, en filmant de près l’actrice et la femme, cette plongée dans les affres du doute, de la peur, de l’autodestruction, comment le rendre en scène ? Eric Jean se heurte ici aux limites du théâtre, sans réussir à les transcender. Un halo de lumière sur le visage de Sylvie Drapeau n’a pas la même expressivité qu’un gros plan sur les traînées de mascara diluées de larmes de Gena Rowlands…
La scénographie, composée de panneaux pivotants, évoque les différents lieux : le plateau de répétition, la loge, une chambre. Délimitant des espaces restreints, elle rend bien l’enfermement des personnages dans ce qu’ils font, dans ce qu’il sont ou voudraient être. En revanche, les changements (trop) fréquents hachurent le récit, lui donnant certes un rythme, mais à la limite de l’essoufflement.
Si la mise en scène a le mérite de ne jamais perdre le spectateur dans cette mise en abîme à la fois vertigineuse et très maîtrisée, la direction d’acteur, elle, est très inégale. Sylvie Drapeau, bien sûr, attire tous les regards et, il faut le dire, elle est parfaite. Féminine, sensuelle et désespérée. La démarche titubante, les gestes erratiques, la voix brisée, elle donne à cette femme qui se noie sous le regard désabusé, parfois exaspéré, de ses partenaires de jeu, une grandeur et une décadence touchantes, malgré quelques passages en force.
Autour d’elle, la distribution est malheureusement sans grand relief, donnant l’impression que les comédiens, un peu remis à eux-mêmes, marchent à côté de leur personnage. À côté de l’immense actrice qu’est Sylvie Drapeau, qui porte le spectacle avec un talent et une force remarquables, le contraste n’en est que plus évident. Dommage.
Opening Night
D’après le film de John Cassavetes. Traduction et adaptation de Fanny Britt. Mise en scène d’Eric Jean. Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 27 septembre 2014.