Elle est fraîchement diplômée de l’École nationale de théâtre du Canada. Alix Dufresne. Retenez bien ce nom, car il y a fort à parier que ce n’est pas la dernière fois que vous l’entendrez. Que sa première mise en scène professionnelle (le spectacle a initialement été créé à l’école, et la directrice du Théâtre Prospero, Carmen Jolin, l’a invitée à le reprendre en ses murs) puisse être aussi aboutie et singulière est tout bonnement stupéfiant, propre à susciter l’enthousiasme.
Les Paroles, de Daniel Keene, n’est pas une pièce facile d’accès. Ce texte de moins de 20 pages, écrit en réponse à une commande du Théâtre de Nîmes (France) en 2002, est une sorte de parabole des temps modernes, évoquant le désarroi de l’homme face au mutisme de Dieu. C’est une histoire d’amour, d’errance, de quête de sens donnant le vertige.
Paul est prêcheur, il va de ville en ville, de place publique en place publique, tentant de se faire entendre des hommes à qui il parle de Dieu. Les hommes l’ignorent, voire le conspuent et Dieu demeure bien silencieux face à sa foi qui vacille. Hélène, la femme de Paul, a pour lui une fidélité sans faille et un amour démesuré, mais elle parle un autre langage, celui du corps qui a faim et froid, qui vieillit et s’épuise. En la matière, Dieu ne lui est pas d’un grand secours.
Dans l’esprit de Keene, Paul était noir et Hélène blanche, mais Dufresne a décidé d’évacuer cette différence. Après tout, parler de Dieu dans un Québec qui s’est tranquillement débarrassé de la religion est en soi suffisant pour être ostracisé.
Ce texte avare de mots, la metteure en scène lui donne forme par la gestuelle, le mouvement, le travail du corps tout entier, à mi-chemin entre le mime et la danse. Les corps sont voûtés, recroquevillés, ils se portent, s’entremêlent, s’arc-boutent sur ce bloc de béton/valise symbole à la fois du nomadisme, de la pauvreté et de la ténacité.
Ce parti pris donne à l’ensemble une force visuelle et spirituelle à couper le souffle. Ce qui se passe devant nos yeux offre une image sans concession de la condition humaine, mais ne vous attendez pas à verser une larme. Dufresne nous sort du registre émotif pour nous emmener ailleurs, dans un univers qui n’est pas sans évoquer celui de Claude Régy.
Dans un tel contexte, Marc Béland était tout désigné pour le rôle de Paul, mais la jeune Rachel Graton n’est pas en reste. Au fur et à mesure que le spectacle avance, la pyrite qui recouvre la scène (splendide scénographie de Max-Otto Fauteux) noircit leurs pieds, se dépose sur leurs vêtements, salit leurs visages et leurs mains.
Les éclairages d’Erwann Bernard (semi-obscurité, spots de lumière, rais de couleur) et l’environnement sonore de Gonzalo Soldi ajoutent à l’impression de solitude, de découragement et d’apocalypse qui se dégage du spectacle et contribuent à en faire une œuvre magnifique en tout point.
Texte de Daniel Keene. Mise en scène d’Alix Dufresne. Une production J’le dis là. Au Théâtre Prospero jusqu’au 1er novembre 2014.
Elle est fraîchement diplômée de l’École nationale de théâtre du Canada. Alix Dufresne. Retenez bien ce nom, car il y a fort à parier que ce n’est pas la dernière fois que vous l’entendrez. Que sa première mise en scène professionnelle (le spectacle a initialement été créé à l’école, et la directrice du Théâtre Prospero, Carmen Jolin, l’a invitée à le reprendre en ses murs) puisse être aussi aboutie et singulière est tout bonnement stupéfiant, propre à susciter l’enthousiasme.
Les Paroles, de Daniel Keene, n’est pas une pièce facile d’accès. Ce texte de moins de 20 pages, écrit en réponse à une commande du Théâtre de Nîmes (France) en 2002, est une sorte de parabole des temps modernes, évoquant le désarroi de l’homme face au mutisme de Dieu. C’est une histoire d’amour, d’errance, de quête de sens donnant le vertige.
Paul est prêcheur, il va de ville en ville, de place publique en place publique, tentant de se faire entendre des hommes à qui il parle de Dieu. Les hommes l’ignorent, voire le conspuent et Dieu demeure bien silencieux face à sa foi qui vacille. Hélène, la femme de Paul, a pour lui une fidélité sans faille et un amour démesuré, mais elle parle un autre langage, celui du corps qui a faim et froid, qui vieillit et s’épuise. En la matière, Dieu ne lui est pas d’un grand secours.
Dans l’esprit de Keene, Paul était noir et Hélène blanche, mais Dufresne a décidé d’évacuer cette différence. Après tout, parler de Dieu dans un Québec qui s’est tranquillement débarrassé de la religion est en soi suffisant pour être ostracisé.
Ce texte avare de mots, la metteure en scène lui donne forme par la gestuelle, le mouvement, le travail du corps tout entier, à mi-chemin entre le mime et la danse. Les corps sont voûtés, recroquevillés, ils se portent, s’entremêlent, s’arc-boutent sur ce bloc de béton/valise symbole à la fois du nomadisme, de la pauvreté et de la ténacité.
Ce parti pris donne à l’ensemble une force visuelle et spirituelle à couper le souffle. Ce qui se passe devant nos yeux offre une image sans concession de la condition humaine, mais ne vous attendez pas à verser une larme. Dufresne nous sort du registre émotif pour nous emmener ailleurs, dans un univers qui n’est pas sans évoquer celui de Claude Régy.
Dans un tel contexte, Marc Béland était tout désigné pour le rôle de Paul, mais la jeune Rachel Graton n’est pas en reste. Au fur et à mesure que le spectacle avance, la pyrite qui recouvre la scène (splendide scénographie de Max-Otto Fauteux) noircit leurs pieds, se dépose sur leurs vêtements, salit leurs visages et leurs mains.
Les éclairages d’Erwann Bernard (semi-obscurité, spots de lumière, rais de couleur) et l’environnement sonore de Gonzalo Soldi ajoutent à l’impression de solitude, de découragement et d’apocalypse qui se dégage du spectacle et contribuent à en faire une œuvre magnifique en tout point.
Les Paroles
Texte de Daniel Keene. Mise en scène d’Alix Dufresne. Une production J’le dis là. Au Théâtre Prospero jusqu’au 1er novembre 2014.